Encensé pour "Timbuktu", lauréat de sept Césars 2015, Abderrahmane Sissako, cinéaste amnésique, est l'ami des dictateurs et le "conseiller culturel" du président mauritanien Aziz.
Sans même entrer dans les qualités supposées d'un film (Ndlr : Timbuktu) juste ennuyeux, bourré de clichés et qui donne du drame malien des images léchées et sans contextualisation, il faut rappeler qui est vraiment l'auteur de l’œuvre, Abderrahmane Sissako. Toujours paré d'une chemise blanche immaculée et largement ouverte, ce BHL des dunes n'est cinéaste qu'à ses heures perdues. Ce qui le nourrit ces dernières années, ce sont ses fonctions de conseiller "culturel" attitré du président Mohamed Ould Abdel Aziz, le chef d'État mauritanien qui a imposé à son peuple une médiocre dictature de sous-préfecture, en faisant main basse sur les richesses de son pays.
Tous les ans, le président Aziz organise une grande mascarade appelée "Rencontre avec le peuple", où il est censé dialoguer directement avec des personnes "spontanément" sélectionnées de toutes les régions. L'an dernier, la manifestation avait eu lieu à Néma, dans l'est du pays. L'année précédente, ce fut à Atar, au nord du pays. C'est un grand show où l'improvisation se cumule à la médiocrité du discours. Soit dix heures de direct à la télévision, façon Moscou ou Prague des années de plomb. Pour le rassemblement d'Atar, le plus grand cinéaste africain que serait désormais Sissako était à la manœuvre, pathétique éclairagiste des mises en scène du régime.
Lorsqu'on se rendait ces dernières années à Nouakchott, comme l'auteur de ces lignes en 2012, on apercevait le "grand", l'immense cinéaste plutôt oisif, qui recevait les rares journalistes étrangers dans les cafés chics de la capitale mauritanienne. Il fallait entendre Sissako défendre le bilan d'un régime répressif et corrompu, mais tellement utile, faisait-il valoir, dans la lutte contre les forces du mal. Au point d'ailleurs que la Mauritanie d'Aziz n'a pas envoyé un seul soldat au Nord-Mali combattre les djihadistes aux côtés de l'allié français. Et ne parlons pas du pacte discret conclu par ce pouvoir avec le salafisme dont les prédicateurs sont omniprésents dans les mosquées et avec les groupuscules violents, qui épargnent étrangement ce pays aux frontières pourtant poreuses.
DES MILITAIRES DEVENUS ACTEURS
L'alliance de Sissako avec le pouvoir mauritanien est d'autant plus choquante que ce cinéaste a réalisé un très bon film dans sa — courte — vie de cinéaste, à savoir "Bamako", un Scud efficace contre les biens mal acquis par les dictatures africaines.
Comme les temps changent ! Et comme les chemises blanches se déboutonnent ! Ne parlons même pas du bilan insignifiant de son action comme "conseiller culturel" d'un président sans culture. Lui-même le reconnait en privé, mais évidemment pas dans la presse française.
L'ami Sissako n'a rallié la présidence que pour utiliser la logistique de l'armée mauritanienne afin de tourner son film réalisé à la frontière mauritano-malienne et recevoir, pendant toutes ces années grâce à sa sinécure, un confortable traitement. Ce sont des militaires mauritaniens qui, dans son film, jouent le rôle des hommes de la police islamique. Quand on sait le penchant répressif de cette armée mauritanienne, encore démontré le 12 novembre lors d'une manifestation antiesclavagiste dispersée brutalement, on comprend pourquoi dans "Timbuktu", les nervis de la "police islamique" ont l'air si méchants. Mais l'ami Sissako n'est apparemment pas regardant sur les Cv de ses "acteurs."
SISSAKO, LE BHL DES DUNES
On pouvait croire que le président Aziz, ce militaire parvenu au pouvoir par un coup d'État et blanchi par Paris, avait nommé Sissako à ses côtés pour imposer une "vitrine" présentable à son régime qui ne l'est pas. On a vu le cinéaste à la chemise blanche, cet automne, parader aux cotés de "son" président au sommet organisé par le président Obama pour les chefs d'État africains. Au départ, le président Aziz ne recherchait pas, via le cinéaste, à vendre une image de son pays. Ce militaire casanier, qui a très peu voyagé, a toujours utilisé, en termes de communication, des méthodes moins sophistiquées. Le pays est en effet largement fermé à la presse étrangère. Et en privé, les représentants de l'Organisation internationale de la francophonie se plaignent que la Mauritanie soit un des rares pays où ils ne puissent pas contrôler les processus électoraux, fussent-ils entachés de fraude massive comme ce fut le cas l'année dernière.
Si le président Aziz a tenu à promouvoir son ami Sissako, le BHL des dunes, c'est parce qu'au départ le cinéaste voulait réaliser un film sur l'esclavage, resté autorisé en Mauritanie jusqu'en 1981 et réprimé pénalement seulement en 2007 ! Et encore, la loi est-elle à peine appliquée. Voici en effet le venin qui mine la société mauritanienne en profondeur. Chacun sait que les descendants d'esclaves qui se mobilisent actuellement massivement pourraient bien faire vaciller ce régime militaire. Pas question que Sissako tourne sur un pareil sujet. Le deal était ainsi parfaitement clair: "Nous t'aiderons, lui a expliqué le président Aziz, si tu parles des méchants djihadistes qui inquiètent tant nos amis occidentaux. Mais l'esclavage doit rester tabou".
Ce qui fut fait et avec le succès que l'on sait, lorsqu'on voit l'avalanche de louanges sur ce mauvais et ennuyeux péplum qu'est Timbuktu, ce film de "résistance" contre le mal.
En attendant, la résistance contre les immenses séquelles de l'esclavage en Mauritanie attendra. Habitué des geôles mauritaniennes, Biram Dah Ould Abeid, leader de "l'Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste" (Inra), vient d'être à nouveau arrêté le 11 novembre dernier. Sa faute ? Ce leader charismatique et populaire, arrivé deuxième à l'élection présidentielle malgré la fraude, menait avec d'autres militants une campagne de sensibilisation contre l'esclavage foncier. Détenu à Rosso, il ne peut même pas recevoir de visites.
Peut-être que ce grand humaniste qu'est Abderrahmane Sissoko aura une pensée pour ce courageux militant emprisonné. Ou mieux encore, le BHL des dunes aura-t-il l'audace, durant ses innombrables interviews en France, d'évoquer la situation de l'esclavage dans son pays ?
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** Nicolas Beau, ancien du “Monde”, de “Libération” et du “Canard Enchainé”, a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l’Institut Maghreb (Paris 8) .
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