Au 21ème siècle, l’Afrique n’a nul besoin de tous ces cadres, vestiges du colonialisme, qu’ils se nomment Commonwealth, Francophonie ou Lusophonie, etc. Nous avons deux raisons pour lesquelles l’Afrique devrait particulièrement tourner le dos à la Francophonie.
La Francophonie englobe un vaste réseau d’institutions et de projets qui visent à développer les liens économiques, politiques et culturels entre la France et ses anciennes colonies par le biais de soutien à la formation et aux institutions académiques et aux échanges estudiantins, de la promotion de la langue française, d’expositions culturelles, de subsides et ainsi de suite. (Renou 2002) La Grande Bretagne a aussi établi des relations particulières avec ses anciennes colonies africaines à travers le Commonwealth, le Portugal avec la "Lusophonie" ou communauté des pays de langue portugaise.
Ce sommet a été salué par le gouvernement de la RD Congo comme "un grand succès diplomatique" qui a projeté le pays sur la scène internationale, particulièrement en ce moment où la population du Congo oriental endure "les atrocités les plus barbares [aux mains des insurgés tutsis soutenus par le Rwanda]", selon les termes de l’ancien président sénégalais Abou Diouf, actuel secrétaire général de la Francophonie, dans son discours d’ouverture (Radio Okapi Live, Kinshasa, 12 octobre 2012), comme une cure pour le "Congo pessimisme" ou le "dénigrement du Congo" et le début de l’ouverture pour ce pays.
Le Sommet a donc demandé la fin de l’impunité pour le meurtre de plus de 5 millions de Congolais, le viol systématique des femmes - le viol étant utilisé comme arme de guerre - et le pillage systématique des ressources naturelles et minérales du Congo, particulièrement du coltan nécessaire à la fabrication de téléphones mobiles, d’ordinateurs, de satellites… Le Sommet a donc réaffirmé l’attachement de la Francophonie à l’intégrité territoriale du Congo qui doit être préservée à tout prix, alors que le président Kabila indiquait qu’il considérait trois solutions possibles pour neutraliser ces "forces négatives" du Rwanda : solutions politique, diplomatique et militaire. (Radio Okapi Live, Kinshasa, 12 octobre 2012)
"Nous avons été accusés de trop d’ouverture en faveur d’autres partenaires, y compris la Chine, mais maintenant, attendez ! L’ouverture a aussi lieu vers nos partenaires traditionnels, les pays francophones au nord et au Sud", a déclaré Isidore Ndaywel, historien et écrivain, commissaire congolais du Sommet, dans un entretien accordé à Colette Braeckman du quotidien belge Le Soir. (Braeckman 2012)
Alors, pourquoi le choix de la RDC en ce moment ? La RDC (aussi grande que toute l’Europe occidentale) est une ancienne colonie belge (non pas française) avec ses 70 millions d’habitants francophones. Le français est la langue officielle du Congo et dans la plupart des pays africains de langue française les parents n’enseignent plus leur propre langue africaine à leurs enfants, y compris en RDC. Un fait qui contribue à l’aliénation culturelle. En même temps, des Occidentaux se dirigent vers la Chine pour apprendre le chinois. Ceci devrait être une leçon pour les Africains.
La France, par conséquent, craint de perdre un grand pays francophone comme la RDC si celui-ci devait s’orienter vers le camp du Commonwealth. L’arrivée de la Chine en RDC donne des sueurs froides aux Occidentaux. L’importance de la RDC découle aussi de sa position géopolitique et stratégique au cœur du continent, de ses terres fertiles, du climat, de ses attractions touristiques naturelles et, particulièrement, de ses ressources minérales.
S’adressant au Sommet, le président français François Hollande a déclaré : "Le futur de la francophonie est ici, en Afrique. C’est vous qui porterez en même temps le français, ses valeurs, sa diversité et ses exigences. Notre patrie commune, selon les mots du grand écrivain français Albert Camus, est la langue française "(Radio Okapi Live, Kinshasa, 12 octobre 2012).
Qu’est-ce qui est commun ?
La vérité est que l’Occident en général et la France en particulier ne peuvent pas faire sans l’Afrique. Surtout maintenant que la crise financière globale, causée par la corruption du système financier occidental, est accablante et menace la viabilité économique de nombreux pays de l’OTAN pour lesquelles l’Afrique est indispensable, compte tenu de leurs intérêts significatifs sur le continent. En fait, le thème du Sommet était : "Défis économiques et environnementaux de la gouvernance globale". La guerre menée par les Etats-Unis et ses alliés de l’OTAN contre la Libye et la Côte d’Ivoire, pour du pétrole, en dit long. Les incessantes incursions militaires ougandaises et rwandaises, soutenues par l’Occident, afin de piller les minerais, sont un autre fait.
L’ancien président Jacques Chirac a reconnu que "sans l’Afrique, la France glisserait vers les rangs d’un pays de troisième ordre ". (Leymarie 2008, 58) C’était en 2008. Maintenant la France est la 5ème puissance économique au monde (donc grâce à l’Afrique), mais le Brésil, puissance du Tiers Monde, qui vient juste de dépasser la Grande Bretagne pour être la 6ème puissance économique, est aussi en position pour dépasser la France et devenir la 5ème économie du monde (Guichard 2012).
Le prédécesseur de Chirac, François Mitterand, avait déjà prédit en 1957 que "Sans l’Afrique, la France n’aura pas d’histoire au 21ème siècle". (Mitterand 1957, 237)
L’ancien ministre des Affaires étrangères, Jacques Godfrain, a pour sa part confirmé que "petit pays [la France], avec peu de pouvoir, nous pouvons mobiliser une planète en raison de nos …relations avec 15 ou 20 pays africains". Ceci concorde avec la politique française de la "Françafrique" qui vise à perpétuer une "relation spéciale" particulière avec ses anciennes colonies africaines. (Mbeki 2011)
Donc pourquoi l’Afrique est-elle si importante pour la France ? Renou propose trois raisons :
- le maintien d’un status international indépendant de l’influence américaine ou chinoise (et hier l’Union soviétique) ;
- garantir l’accès permanent aux ressources stratégiques ;
- bénéficier d’un monopole. Afin d’atteindre ces trois objectifs et de garder le pouvoir sur ses anciennes colonies, la France doit poursuivre une politique globale de nature économique politique et culturelle. (Renou 2002)
C’est notre profonde conviction, qu’au 21ème siècle l’Afrique n’a nul besoin de tous ces cadres, vestiges du colonialisme, qu’ils se nomment Commonwealth, Francophonie ou Lusophonie et ainsi de suite. Nous avons deux raisons pour lesquelles l’Afrique devrait particulièrement tourner le dos à la Francophonie.
LA FRANCE NE RESPECTE PAS L’AFRIQUE
En fait, la France considère toujours les pays africains comme ses colonies. A la différence de ses prédécesseurs, l’ancien président français Nicolas Sarkozy a été jusqu’à insulter l’Afrique lorsque, dans un discours délivré à Dakar, capitale du Sénégal, il a dit : "L’Afrique n’a pas d’histoire et l’homme africain n’est pas encore entièrement entré dans l’histoire". (Ankomah 2007) Sarkozy a copié le philosophe français Victor Hugo qui, lors d’un banquet d’Etat, le 18 mais 1879, a dit exactement la même chose : "L’Afrique n’a pas d’histoire… Au 19ème siècle l’homme blanc a fait un homme de l’homme noir. Au 20ème siècle, l’Europe créera un monde nouveau à partir de l’Afrique en la connectant au monde civilisé". (Hardy 2008)
Nous croyons que si vous niez à l’Afrique, le berceau de l’humanité, et au peuple africain, constructeurs de l’Ancienne Egypte, une histoire (comme les premiers colons européens ont nié aux Amérindiens leur histoire), vous lui niez aussi son humanité. Les conséquences sont inestimables. !
Certains auteurs ont vu la politique africaine traditionnelle française comme étant l’équivalent de la doctrine américaine de Monroe. Bien que différentes dans leurs objectifs, les deux doctrines justifient, principalement par des arguments historiques et géographiques, le contrôle exclusif par la France et les Etats-Unis (dans ce cas l’Amérique latine) de ce qu’il considère comme leur arrière-cour particulière. Ceci est reflété dans nombre d’expressions françaises comme "domaine réservé" ou "pré carré". Ce qui signifie que l’arrière-cour est intouchable par les autres grandes puissances.
Raison pour laquelle la présence au gouvernail d’une ancienne colonie française d’un leadership indépendant, non manipulable, doté de principes et expérimenté, est considéré comme un obstacle en tant que tel. L’installation de pions dépendants, faibles et inexpérimentés, qui peuvent être guidés afin de remettre le pays dans les mains des super puissances occidentales sur un plateau d’argent, se poursuit à nos jours.
La soi-disante "relation spéciale" est plus propice aux intérêts nationaux de la France qu’aux intérêts des pays africains. C’est donc une relation "un-Commonwealth" (qui ne sert pas la richesse commune), comme le formulent les Zimbabwéens depuis que leur pays s’est retiré du Commonwealth en 2003. Si vous considérez l’intégration économique des pays qui adhèrent à la Communauté Financière d’Afrique (CFA) comme monnaie commune, vous remarquerez que le Trésor français détient dans ses comptes des milliards de dollars dus aux Etats africains des pays de la francophonie de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, qui sont investis à la Bourse française. Les Africains déposent dans ces comptes l’équivalent de 85% de leurs réserves annuelles, suite à un accord post-colonial, et n’ont jamais reçu de décompte des sommes détenues en leurs noms par la France. Comment elles ont été investies et quel profit en a été tiré ou quelles pertes elles ont subi ? En fait ces pays requièrent la permission de la France avant de signer un contrat avec la Chine ! (Lokongo 2012) Où est la liberté ?
Avant que de se rendre à Kinshasa, le président François Hollande a proclamé, à Dakar, la fin de la "Françafrique" et appelé à "un nouveau partenariat entre la France et l’Afrique, basé sur le respect, la clarté, et la solidarité ainsi que des relations économiques qui favorisent l’Afrique". (Rapport CCTV : "Hollande defends UN resolution on Mali"14.10. 2012). Que Hollande commence par démanteler l’arrangement colonial du CFA et nous le croirons.
Pour avancer, l’Afrique doit être unie et aller vers la Chine ainsi que vers l’Amérique du Sud. Vers la Chine parce que nous devons nous reposer sur nous-même au lieu de continuer à être dépendant de nos anciens colonisateurs, protéger notre souveraineté et exiger une nouvelle relation basée sur nos propres conditions, dans un respect mutuel et une coopération dans laquelle tout le monde est gagnant. Nous devons faire comprendre à la France et aux autres pays européens "qu’ils doivent arrêter de couper la branche sur laquelle ils sont assis". (Proverbe africain)
Les pays sud-américains réussissent précisément parce qu’ils ont atteint leur propre consensus au lieu de faire confiance au Commonwealth, à la Francophonie, à la Lusophonie, au Washington Consensus et ainsi de suite. Comme l’a formulé Noam Chomsky au cours de la dernière décennie, pour la première fois en cinq cents ans, l’Amérique du Sud a pris des mesures efficaces pour se libérer de la domination occidentale, une autre perte sérieuse pour les Etats-Unis. La région a progressé vers l’intégration et a commencé à aborder ses terribles problèmes internes de sociétés principalement dirigées par des élites européanisées, minuscules îlots d’extrême richesse dans un océan de misère. Ils se sont aussi débarrassés de toutes les bases militaires américaines et du contrôle du FMI. Une organisation nouvellement formée, la CELAC, inclut tous les pays de l’hémisphère à l’exception des Etats-Unis et du Canada. Si cela fonctionne, c’est un nouveau pas dans le déclin américain qui se fait jour dans ce cas, ce qui a toujours été considéré comme "l’arrière-cour" (Chomsky 2012).
Au regard de tout cela, nous sommes d’accord avec l’écrivain algérien Kateb Yacine qui écrivait que "la Francophonie est une machine politique néocoloniale, qui ne fait rien d’autre que perpétuer notre aliénation. Mais l’usage du français ne signifie pas pour autant qu’on est un agent d’une puissance étrangère. J’écris en français pour dire aux Français que je ne suis pas Français". (Djaout 1987, 9) La colonisation n’a pas été juste "une erreur historique", comme l’a dit le président François Hollande à Dakar avant de se rendre à Kinshasa. C’était la négation de l’humanité de la personne africaine.
RÉFÉRENCES
- Ankomah, Baffour. 2007. Shame On You, Mr Sarkozy! New African Magazine. October 30.
- Braeckman, Colette. 2012. Isidore Ndaywel: la réunion la plus importante jamais tenue au Congo. lesoir.be. October 7.
- Chomsky, Noam. 2012. The Imperial Way: American Decline in Perspective. TomDispatch.com.
- Djaout, Tahar. 1987. Un film sur Kateb, dans "Hommage à Kateb Yacine", Kalim n° 7, Alger, Office des Publications Universitaires, 1987.
- Guichard, Guillaume. 2012. Économie : le Brésil détrônera bientôt la FranceÉconomie : le Brésil détrônera bientôt la France. Le Figaro, le 3 juillet 2012.
- Hardy, Yves. 2008. Afrique : Sarkozy sous le feu des critiques. Alternatives Internationales n° 041 - décembre 2008.
- Leymarie, Philippe. 2008. Manière de voir, n°79, février-mars 2008.
- Lokongo, Antoine Roger. 2012. West Africa: Monetary union ignores its own slavery. Pambazuka News. April 26.
- Mbeki, Thabo. 2011. What the world got wrong in Côte d'Ivoire. Foreign Policy. April 29.
- Mitterrand, François. 1957. Présence française et abandon. Paris: Plon.
- Renou, Xavier. 2002. A New French Policy for Africa? Journal of Contemporary African Studies, 20,1, 2002.
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*** Antoine Roger Lokongo anime le blog «Le Soldat du Peuple», engagé dans la bataille des idées pour un Congo meilleur et partenaire clé de la Chine - Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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