Gisement pétrolier à la frontière - Le pire est à craindre entre la Côte d’Ivoire et le Ghana
La Côte d’Ivoire et le Ghana vont-il s’affronter autour du pétrole découvert à la frontière des deux pays ? La polémique est lancée, même si Abidjan et Accra jouent la carte de la diplomatie dans la gestion de ce dossier. Bertrand Gueu note que, vue d’Abidjan, la question fait plus l’objet de silences que de positions ouvertement affichées, et s’inquiète de la «malédiction du pétrole» qui alimenté bien des conflits en Afrique.
« Monsieur le Président, Akwaba, Welcome. Soyez le bienvenu ici. Vous êtes chez vous en Côte d’Ivoire... » Ces sentiments ont été exprimés par le chef de l’Etat ivoirien Laurent Gbagbo lors du dîner gala offert à son homologue ghanéen, Atta-Mills. Et pour célébrer cette amitié ivoiro-ghanéenne, une chanson spéciale a été composée par l’orchestre qui a animé la soirée en interprétant les relations entre ces deux hommes. Voici son refrain : « Laurent Gbagbo and Atta-Mills, two brothers today and forever ». En Français : Laurent Gbagbo et Atta-Mills, deux frères aujourd’hui et pour toujours ». C’était en avril 2009.
Le 4 novembre 2009, c’est au tour du chef de l’Etat ivoirien de se rendre à Accra pour une visite de travail. Se prononçant sur le champ pétrolifère que les deux pays ont en commun, Laurent Gbagbo confiait qu’il en a discuté avec son homologue Atta Mills. Un entretien qui a porté sur les moyens efficaces à mettre en place afin que l’exploitation de l’or noir à la frontière commune ne soit pas source de conflit entre ces deux pays frères.
"J’ai bien dit au Président Atta Mills qu’il ne faudrait pas que la Côte d’Ivoire et le Ghana deviennent comme le Nigeria et le Cameroun ; qu’on ne connaisse pas de crise. Nous sommes deux pays jumeaux dont l’un a été élevé par les Français, l’autre par les Anglais", soutenait Laurent Gbagbo, à sa descente d’avion. Mais derrière ce beau décor, se cache un véritable malaise entre Abidjan et Accra. Retour sur les faits.
En février 2009, la compagnie pétrolière nationale Ghana National Petroleum (GNPC) annonce la découverte d’un important gisement pétrolier récemment mis au jour par le géant russe Loukoil et son partenaire américain Vanco Energy. Selon les estimations, le gouvernement envisage une production journalière de 100 000 barils au début de l’exploitation, en 2010, et la production devrait atteindre les 200 000 barils/jour au bout de cinq ans, propulsant le Ghana au septième rang des producteurs de pétrole d’Afrique (…) Une quantité qui couvrirait largement les besoins intérieurs du pays, estimés à 11 000 b/j, et pourrait être exportée.
Alors que les Ghanéens jubilent, cette nouvelle a fait grincer des dents du côté d’Abidjan. Et pour cause !
La Côte d’Ivoire revendique une partie de l’espace maritime où a été découvert ce pétrole off-shore. Dans ce sens, les autorités ivoiriennes décident de saisir par courrier non seulement le Ghana, mais aussi les instances onusiennes. Mais avant, Abidjan met en place une commission composée d’experts pour faire des propositions. Cela aboutit à l’idée qu’il faille revoir la frontière maritime entre ces deux pays. Si ces nouveaux tracés sont respectés, le Ghana perd une partie de son espace, fut-il maritime. Les deux parties ne tombent pas d’accord sur ce découpage. Le règlement prend donc une autre trajectoire. La voie diplomatique et politique est privilégiée. Mais pour l’aboutissement des négociations, tous les experts sont invités au silence sur ce dossier.
Eviter la « malédiction du pétrole »
Tous ceux que nous avons tenté de rencontrer ont poliment refusé de se prononcer sur l’affaire. « Ce dossier est très sensible. Nous laissons le soin au chef de l’Etat et au gouvernement de mener les démarches pour lever tous les obstacles. Une réaction de notre part sera mal vue par les autorités ghanéennes », explique un expert du côté du ministère des Mines et de l’Energie de Côte d’Ivoire. Même réaction au niveau de l’ambassade du Ghana à Abidjan.
Tous s’accordent donc à reconnaître la délicatesse du dossier. « La Côte d’Ivoire est devenue un petit producteur de pétrole. Le Ghana aussi. Il ne faut pas que le pétrole envoie des problèmes entre nous », a fait savoir M. Gbagbo, en présence de son homologue ghanéen. Cette prudence observée par Abidjan a un seul objectif : parvenir à un accord et éviter la « malédiction pétrolière ». Dans un discours prononcé au forum des industries extractives, en mars 2008, l’ex-président ghanéen, John Kufuor, a prévenu qu’au « lieu d’être une bénédiction, le pétrole a parfois été une malédiction pour bon nombre de pays qui ont découvert ce précieux produit ».
Déjà, le ton a été donné par le ministre ghanéen des Ressources naturelles, Collins Dauda. « Brusquement, avec cette découverte de pétrole, la Côte d’Ivoire revendique une partie de l’espace maritime, en dépit de cette ligne médiane que nous avons toujours respectée », a-t-il déclaré sur la radio indépendante City FM. Abidjan se dit surpris par de telles déclarations qui pourraient remettre en cause des acquis. Toutefois, on se dit optimiste.
Pour le Pr. Kouassi Yao, tout conflit entre le Ghana et la Côte d’Ivoire est à écarter. « Je ne vois pas comment ces deux pays arriveront à un affrontement », a fait savoir ce spécialiste en Relations internationales de l’université de Cocody. Quand un autre, sous le couvert de l’anonymat, dit craindre le pire, se référant à la géopolitique du pétrole. « L’or noir est devenu un enjeu très stratégique dans la projection de puissance des Etats. Il faut donc faire très attention car le contrôle de cette ressource est parfois source de tensions à travers le monde », a-t-il averti.
* Bertrand Gueu est un journaliste ivoiren. Cet article publié par le journal «L’Inter» d’Abidjan
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