Coup d’Etat au Mali : La fin d’un mythe
ATT , le président déchu du Mali, qui voulait dédouaner les militaires, avait dit au sommet de sa gloire que les coups d’Etat étaient la conséquence de la faillite des politiques. Il n’avait jamais pensé que cela pouvait lui être appliqué un jour surtout à quelques semaines de la fin de son mandat. Triste destin que celui d’un homme dont la réputation « démocratique » avait été surfaite. Il suffit de faire le bilan de son parcours pour s’en convaincre.
Les occidentaux, pour les besoins de la nouvelle cause démocratique qu’il avait façonnée pour l’Afrique, après avoir soutenu des décennies durant les coups d’Etat et dictatures sanglantes qui avaient essaimé le continent, décidèrent de breveter des hommes et des régimes sortis de leurs laboratoires politiques en les érigeant en modèle de démocratie en Afrique. ATT en a été longtemps le porte flambeau.
On fit croire à son renoncement volontaire à exercer le pouvoir à la fin de la Transition au Mali en 1992. On falsifia le fait que la chute du régime de Moussa Traoré intervint à la suite de luttes populaires héroïques de la part des Maliennes et des Maliens et que l’armée ne retournera qu’à la dernière minute les armes contre le régime que pour sauver les meubles. C’est dans ce contexte politique que le puissant mouvement démocratique d’alors lui a imposé la fin de la transition malgré la réticence de certains militaires et hommes politiques d’alors. ATT comprit rapidement que le rapport de force ne lui était point favorable. Il accepta de reculer pour mieux sauter. La gestion hasardeuse du pouvoir par Alpha Oumar Konaré lui fit un boulevard pour revenir au pouvoir, paré cette fois-ci de la victoire au sortir des urnes. Le manteau démocratique lui fut taillé sur mesure.
Très rapidement il dilapida l’immense capital de sympathie et de popularité qu’il avait su acquérir auprès des Maliens, même si l’opinion publique internationale continuait à lui tresser des lauriers. Le bilan de sa gestion du pouvoir fut une calamité pour le Mali : mauvaise gouvernance, gestion patrimoniale du pouvoir, gabegie, corruption généralisée, impunité, discrédit général de l’Etat, affairisme politique, faillite morale… La liste est longue. Les Maliens, un peuple si fier de son histoire et de ses valeurs de civilisation finirent par baisser la tête. On avait désormais honte d’être Malien.
ATT avait créé autour de son régime un véritable clan de prédateurs qui avaient fait main basse sur les institutions politiques et les secteurs juteux de l’économie. Il fabriqua une majorité politique en achetant les leadeurs politiques de l’ancien parti majoritaire, l’ADEMA, et ses démembrements, le RPM et l’URD. La sauce fût agrémentée avec d’autres partis comme le CNID, son revers le PARENA et toute une flopée de partis alimentaires créés à l’occasion, comme le Mouvement Citoyen et dernièrement le PDES.
Il fabriqua à plein régime toute une caste de généraux et d’officiers supérieurs tout aussi voraces qu’incompétents. Faute de bataillons, de compagnies, de brigades et de corps d’armée à commander, il multiplia des postes au sein de l’appareil administratif de l’Etat en guise de prébende. Presque à l’improviste, l’administration du pays fut militarisée avec la complicité de la classe politique dans sa grande majorité. De nombreux cadres firent la politique du ventre. L’accès aux postes de responsabilité fut conditionné à l’aptitude à devenir un courtisan plat et vide. Les media publics devinrent les instruments de la griotique officielle pour soigner l’image internationale d’un tyran que détestait son peuple, tandis qu’à l’extérieur du pays il continuait à faire illusion.
Sa gestion des enlèvements d’otages occidentaux, son laxisme face à AQMI, sa complicité souvent insinuée par la presse occidentale quant au trafic de drogues et autres activités maffieuses dans le Sahel finirent par le rattraper. Critiqué par ceux qui l’avaient fabriqué et lâché par ses amis occidentaux, il fût obligé de croiser le fer avec le MNLA sous la pression populaire. Soupçonné par les siens d’être de mèche avec la rébellion, il biaisa comme d’habitude. Les « replis tactiques » successifs, les massacres de Aguelhoc et la déroute de Taoudénit firent par sceller son destin.
A l’analyse des faits, le coup d’Etat était inévitable. Aux raisons évoquées s’ajoute la volonté déguisée de ne pas quitter en réalité le pouvoir tant les intérêts en jeu étaient colossaux. Ceux qui en avaient fait leur parrain le pressaient de prolonger son mandat. Arguant de sa popularité on lui fit croire qu’il était indispensable. Le coup d’Etat intervenu au Niger voisin brisa leur élan. Le projet de referendum populaire pour relecture de la Constitution aux fins de réviser le nombre de mandat fut rapidement enterré. La pression internationale de ses amis occidentaux déçus par sa roublardise fit le reste. On lui signifia nettement qu’il devait quitter la scène. On lui tressa de nouveau des fleurs déjà fanées de démocrate exemplaire.
Mais visiblement ATT n’avait pas dit son dernier mot. La préparation des élections fut bâclée. Le processus électoral était devenu un véritable champ de mines. Les appétits voraces des prétendants au pouvoir, tous pressés et certains de l’emporter à coup sûr fit le reste. Les contestations violentes des résultats électoraux étaient désormais inscrites à l’ordre du jour. Les débordements et la pagaille qui devaient s’en suivre serviraient de prétexte à ses généraux à l’affût pour reprendre la main. Tel était le schéma machiavélique qu’il avait tissé.
La mutinerie du 21 mars déjoua complètement le complot manigancé contre son propre peuple. Le régime s’effondra comme un château de sable. Les insurgés étonnés par la facilité avec laquelle ils s’emparèrent du pouvoir furent les premiers surpris. Les actes qu’ils posèrent relèvent d’une improvisation évidente.
Face à une telle situation, la réponse des institutions africaines et internationales furent classiques : condamnation du coup d’Etat, exigence de restauration de l’ordre constitutionnel, suspension des aides, etc. Certains partis politiques de la place, éternels complices de ATT s’en firent l’écho comme il fallait s’y attendre. On sait depuis belle lurette qu’ils ne représentent qu’une minorité vorace comme des requins, largement discrédités par leurs pratiques connues de l’opinion publique nationale. Continuer à présenter le régime ATT comme démocratique constitue une insulte à l’endroit du peuple malien qui a enduré tant de choses sous l’ère ‘démocratique’ à tel point que certains courants en son sein n’hésitent plus à dire qu’ils regrettent la période de dictature de Moussa Traoré. La ‘démocratie’ est elle pire que la dictature ? Question hallucinante que les Maliens se posent désormais.
Déjà des schémas sont esquissés. ‘Gouvernement d’union nationale’ chantent déjà certains courants politiques soutiens bruyants de ATT hier et membres de la majorité sortante. En aucun moment, au plus fort de la crise au nord, ils ne posèrent un acte patriotique, résolus qu’ils étaient à cautionner le régime déchu. Reprendre les mêmes et recommencer la même chose c’est perpétuer le système ATT sans ATT.
Le redressement de la démocratie malienne et la restauration de l’Etat passent nécessairement par une période de transition dirigée par des patriotes sincères n’ayant aucunement trempés dans la gabegie actuelle. Eux seuls sont à même de nettoyer le pays et de le remettre sur les rails. Il faut tourner définitivement la page de la classe politique actuelle, faire appel à des hommes neufs et intègres et redéfinir un nouvel espace à la vie publique en changeant de façon novatrice les conditions mêmes de l’exercice démocratique au Mali. C’est la seule façon pour le Mali de renouer avec l’Histoire.
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** Issa N’Diaye est professeur de philosophie à l’Université nationale du Mali. Il fut ministre de l’Education nationale sous la transition avec ATT (1991-1992), en 1992-1993, il est ministre de la Culture et de la Recherche scientifique dans le premier gouvernement d’Alpha Konaré. De 1994 à 1998, il est contrôleur général d’Etat.
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