Comment la nouvelle alliance du G8 menace la sécurité alimentaire en Afrique

Rapport : «La faim un business comme un autre» :

Derrière des objectifs affichés de lutte contre la pauvreté, la Nasan met en péril le droit à l’alimentation des plus pauvres

La Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition (Nasan) est une initiative internationale lancée à la réunion du G8 de Camp David en mai 2012. Elle regroupe actuellement les Etats du G8, l’Union africaine, le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), son Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (Pddaa), les gouvernements de dix pays africains et 227 entreprises nationales et internationales.

L’objectif affiché de cette initiative est d’améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition et d’aider quelques 50 millions de personnes en Afrique sub-saharienne à sortir de la pauvreté d’ici 2022, en « libérant le pouvoir du secteur privé », et en poussant les Etats africains à mettre en œuvre des mesures de dérégulation et d’ultralibéralisation de leur secteur agricole.

Or, pour Acf, le Ccfd-Terre solidaire et Oxfam France, tout comme pour leurs partenaires de la société civile africaine, cette initiative met en péril la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations et porte atteinte au droit à l’alimentation des populations les plus vulnérables.

LA POSITION AMBIGÜE DE LA FRANCE :
Stratégies d’influence, diplomatie économique et financements cachés accordés aux multinationales

Le gouvernement de François Hollande a critiqué à de nombreuses reprises la Nasan, négociée par le gouvernement précédent. Pourtant, il a décidé de rester membre de cette initiative, officiellement afin de pouvoir l’influencer de l’intérieur et d’en faire un instrument de renforcement des agricultures familiales et paysannes. Plus de deux ans après le lancement de la Nasan, force est de constater que la France n’a pas pu mettre en place cette stratégie de changement, ou manqué de volonté politique pour le faire.

Pire, les études menées par ACF, le Ccfd-Terre solidaire et Oxfam France montrent que la France occupe en réalité un rôle central dans cette initiative. Elle compte en effet parmi les trois premiers contributeurs de la Nasan et fait preuve d’un manque total de transparence quant aux prêts et garanties accordés aux multinationales membres de l’Alliance via Proparco, la filière de l’Agence française de développement (Afd) dédiée au secteur privé. Au final, la Nasan semble bien constituer l’un des bras armés de la diplomatie économique, dont le gouvernement de François Hollande a fait la colonne vertébrale de sa politique étrangère.

Plus de deux ans après le lancement de la Nasan, force est de constater que la France n’a pas pu mettre en place cette stratégie de changement, ou manqué de volonté politique pour le faire. Où va l’aide publique au développement française ?

LES FINANCEMENTS NON DECLARES DU GROUPE AFD.

Officiellement, les seuls financements que la France déclare dans la Nasan sont ceux directement imputables à son Apd (Ndlr : aide publique au développement), soit 521 millions d’euros qui concernent des projets dans huit des dix pays impliqués. Cependant, si on regarde l’ensemble des outils financiers mis à contribution par la France pour des projets en Afrique, et notamment ceux destinés à des entreprises multinationales via Proparco, la branche secteur privé du groupe Afd, 233 millions supplémentaires pourraient être comptabilisés.

En effet, 5 entreprises membres de la Nasan (Sifca, Olam, Etg, Ethiopian Airlines et Ecobank) ont obtenu des prêts de Prooarco. Selon les informations disponibles sur site de l’Afd, les descriptifs des projets pour lesquels ces financements ont été accordés correspondent aux pays et au type de projet également déclarés par ces entreprises dans le cadre de la Nasann. Cela porterait alors la contribution française à 754 millions d’euros. On est loin d’une implication a minima ou d’une remise en question.

A QUI PROFITE LA NASAN ?
Des agriculteurs locaux marginalisés et un tapis rouge aux grandes multinationales de l’agrobusiness

L’ensemble des études de terrain menées au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Sénégal par les associations signataires du rapport, ainsi que l’analyse détaillée des cadres de coopération mis en œuvre dans les dix pays africains concernés par l’initiative et les entretiens réalisés auprès des acteurs de la société civile africaine révèlent que :

- la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition est une initiative opaque, imposée par le haut, et qui n’implique pas ou très peu la société civile des pays dans lesquels elle est mise en œuvre. Elle met de côté l’agriculture familiale et paysanne, et en particulier les femmes, qui sont pourtant les principales victimes de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle. Elle porte atteinte aux intérêts des Pme et Pmi africaines, au profit des grandes entreprises multinationales. Les réformes consenties par les Etats africains en contrepartie de leur adhésion à l’initiative mettent en péril les droits fonciers des paysans ainsi que leur accès aux semences et aux ressources naturelles.

En outre, les mesures visant à favoriser l’investissement privé, notamment les incitations fiscales, tarifaires et douanières, privent les Etats africains de recettes fiscales qui leur permettraient de renforcer l’investissement agricole public indispensable à la lutte contre l’insécurité alimentaire et nutritionnelle. 


- La Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition incite à la dérégulation et à l’ultralibéralisation des secteurs agricoles africains et profite aux multinationales de l’agroalimentaire et aux grands traders de matières premières agricoles. Elle favorise la mise en place d’un modèle agricole basé sur l’agrobusiness, la privatisation des semences, l’utilisation massive d’intrants chimiques, et le développement des cultures d’exportation et des cultures de rente.

LES MULTINATIONALES PROFITENT DE LA NASAN ET METTENT EN PERIL LES AGRICULTURES LOCALES
Le cas de Louis Dreyfus Commodities en Côte d’Ivoire

L’une des filières privilégiée par la Nasan en République de Côte d’Ivoire est la filière du riz pour laquelle six entreprises se sont engagées, dont trois multinationales ayant d’ores et déjà engagé des projets pilotes. Une répartition géographique des terres pour les investissements a été définie : Novel investira à l’Ouest, Export Trading Group au Nord Ouest, et l’entreprise franco-américaine Louis Dreyfus Commodities (Ldc) au Nord.

C’est ce dernier investissement qui a fait le plus de bruit. Mentionné dans le cadre de coopération dès l’été 2012, le lancement du projet en janvier 2013 a bénéficié d’une importante couverture médiatique en Côte d’Ivoire. La dirigeante de l’entreprise – Margarita Louis Dreyfus - s’est rendue en personne à Abidjan afin de signer avec le président Ouattara un partenariat public-privé.

Alors que l’Etat doit renforcer les infrastructures environnantes (irrigation, transport, etc.), l’entreprise prévoit de développer un projet intégré comprenant une ferme pilote, en partenariat avec des producteurs de riz, et comprenant l’amélioration des moyens de production, la collecte, la transformation et la commercialisation. Les clauses et conditions de cet accord n’ont pas été rendues publiques mis à part le montant total du projet (estimé à plus de 20 milliards de francs Cfa) et la surface prévue de production (de 100 000 à 200 000 hectares, via des contractualisations avec plusieurs dizaines de milliers de petits producteurs).

Selon le rapport intermédiaire de la Nasan, Louis Dreyfus Commodities a finalisé une étude de faisabilité et procède à la recherche de partenaires locaux et le développement de différents modèles de soutiens en faveur des agriculteurs. Pourtant, il semble que sur le terrain l’entreprise soit entrain de remettre en question son investissement. Ainsi, selon les informations publiées dans la Lettre du continent de juin 2014, « près de 18 mois après sa signature, l’accord entre le groupe Ldc et les autorités ivoiriennes visant à tripler la production annuelle de riz du pays n’a pas connu l’ombre d’un début de commencement. Motif ? La grande patronne du groupe de négoce, Margarita Louis Dreyfus, a décidé de mettre ce projet en stand-by car elle est ulcérée par les sollicitations récurrentes - mais non moins amicales - de plusieurs proches d’A. Ouattara. Pour l’heure, le groupe Ldc préfère se concentrer sur l’importation de riz et sur les activités de sa filiale Stepc ».

L’entreprise de trading a ainsi préféré se repositionner sur son cœur de métier.

Ce projet interroge sur le statut des lettres d’intention du secteur privé et le niveau d’engagement réel. Par ailleurs, si tous les acteurs privés de la filière, qui sont du même cœur de métier, agissent de même et se réorientent en importateur de riz pour le marché ivoirien, ils viendront directement concurrencer les productions locales, et les producteurs censés initialement bénéficier d’une contractualisation.

PRINCIPALES RECOMMANDATIONS d’Action Contre la Faim, du Ccfd-Terre solidaire et d’Oxfam France au gouvernement français

La France doit obtenir une réforme radicale de la Nasan afin que soient assurées :

- la transparence, l’inclusion et la participation active de la société civile,
- la traçabilité et la redevabilité de l’initiative ; 

- la réorientation des financements et des engagements politiques en faveur de la sécurité alimentaire et nutritionnelle et de la réduction de la pauvreté ; 

- la cohérence avec les positions françaises déjà établies (favoriser l’agro écologie,
- lutter contre les accaparements de terres et la diffusion des semences Ogm,
- promouvoir le modèle de gouvernance du Cs).

Si ces mesures ne sont pas appliquées, la France doit quitter la Nasan ; à la prochaine réunion du G8, en juin 2015.

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** Julia Belusa, Action contre la Faim ; Karine Appy, Ccfd-Terre Solidaire ; Magali Rubino, Oxfam France

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