Barack Obama au Ghana : Une prime à la démocratie

Le choix du Président Barack Obama de réserver sa première visite à l’Afrique au Sud du Sahara au Ghana ne relève pas du hasard. Dans la politique, et encore moins dans la politique étrangère des Etats-Unis où la stratégie est le maître-mot, le hasard n’existe pas. Dans l’histoire de l’Afrique noire, le Ghana occupe une place centrale : c’est le pays de Kwame Nkrumah qui fut le leader des indépendances des pays du continent, au sud du Sahara. C’est le premier pays au sud du continent à avoir accédé à l’indépendance, et de ce fait à ouvrir la voie dès 1957.

C’est pourquoi, quand, en pleine guerre froide, l’un des plus grands intellectuels noirs américains, sinon le plus grand intellectuel de notre point de vue du continent comme de sa diaspora, W.E.B. Du Bois, était menacé, faussement accusé de servir la cause de l’ennemi soviétique, persécuté dans son propre pays où le noir n’était pas encore citoyen, et s’est vu enfin confisquer son passeport, c’est au Ghana qu’il a choisi de se réfugier. Il a ensuite demandé à être dépossédé de sa « nationalité » américaine pour devenir ghanéen. Et c’est au Ghana qu’il a choisi de finir ses jours. Cet homme est un exemple non seulement pour les intellectuels du continent comme de sa diaspora, mais aussi et peut-être surtout pour les politiques qui, bien souvent, choisissent de passer leurs vieux jours ailleurs que sur la terre de leurs ancêtres…

C’est tout cela qui fait que le Ghana est le pays d’Afrique au Sud du Sahara qui accueille le plus de visiteurs noirs américains, devant l’Afrique du Sud et le Kenya. Un grand nombre de Noirs américains ont en effet choisi de s’y installer au point qu’il y existe une communauté noire américaine bien intégrée, qui s’y sent parfaitement chez elle aujourd’hui.?Aujourd’hui, le Ghana est l’un des pays les plus démocratiques du continent. Pour avoir réussi une alternance démocratique, sans avoir changé les règles du jeu démocratique, le Ghana est en train de se faire une tradition démocratique, car il faut au moins une alternance démocratique à une alternance démocratique pour pouvoir commencer à parler de tradition démocratique dans un pays. Sinon l’alternance démocratique peut n’être qu’une exception et non la règle.

Pourtant, le Ghana revient de loin, il y a tout juste moins d’une décennie, le pays subissait une dictature militaire des plus violentes sur le continent. Un peu d’histoire : En 1960, Kwame Nkrumah, le père de l’indépendance, devient président, mais il est renversé en 1966 par l’armée. En 1981, Jerry Rawlings arrive au pouvoir par un putsch et instaure un régime de répression et de terreur. Il se fait élire et réélire jusqu’en 2000. C’est seulement en novembre 2000 que le pays réussit la première transition politique de son histoire : John Kufuor, leader du Nouveau Parti Patriotique (Npp) est démocratiquement élu président.

Kufuor est animé d’une volonté politique sincère : il commence par abolir la loi sur la diffamation criminelle par laquelle de nombreux journalistes avaient été jetés en prison. Les affrontements interethniques et politiques qui avaient fait plusieurs dizaines de morts et des milliers de réfugiés sont largement contenus. L’état d’urgence est levé et la paix sociale retrouvée. Kufuor est réélu en décembre 2004. Au bout de deux mandats de quatre années chacun, il a passé la main en décembre 2008 à John Atta-Mills du Congrès National Démocratique (NDC). Malgré quelques irrégularités observées dans le déroulement du scrutin, le candidat du NPP, Nana Akufo-Addo, soutenu par le président sortant, a reconnu sa défaite.

Le passage de témoin s’est fait sans heurts et il est à mettre au crédit de la classe politique ghanéenne qui a joué franc-jeu. En particulier le président Kufuor qui n’a pas cherché à se maintenir plus longtemps que ne le lui autorisait la Constitution de son pays ni à chercher à imposer le candidat de son parti…?

Sur le plan économique, le Ghana accuse un retard étant donné qu’au moment où il accédait à l’indépendance en 1957, le pays était du même niveau de sous-développement que des pays qui le dépassent de très loin aujourd’hui, comme la Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan. Mais comme on le sait, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Le drame pour un pays, c’est bien de faire des reculs quand, après un progrès décisif, on n’a plus le droit de revenir en arrière. ?
Le Ghana est globalement sur la bonne voie. Deuxième producteur mondial de cacao, le pays est en plus devenu l’un des plus importants producteurs d’or sur le continent. Aussi, la prospection pétrolière se poursuit et les perspectives de découvertes font rêver. Le pays disposerait d’un fort potentiel dans ce domaine. Mais davantage que ses ressources minières et énergétiques, ou encore ses infrastructures fraîches, le pays est riche de ce que le politologue américain Joseph Nye appelle les ressources intangibles du pouvoir, à savoir la culture démocratique et les institutions sans lesquelles toute gestion des ressources matérielles risque d’être faussée.

C’est de ce fait que des pas importants ont été franchis dans la lutte contre la corruption et pour une bonne gouvernance effective. C’est pourquoi le pays a été classé dans le peloton de tête des pays les moins corrompus sur le continent par Transparency International. Face au Nigeria, dont l’évolution est incertaine en raison des tensions latentes et des conflits ethniques et religieux, et face à la Côte-d’Ivoire dont l’évolution va dépendre des élections prévues en novembre de cette année, le Ghana nourrit de réelles et légitimes ambitions de puissance sur la scène africaine pour figurer parmi les pays à revenus intermédiaires d’ici à l’horizon 2020. C’est déjà demain et il faudra compter avec le Ghana !?

C’est donc à ce pays marqué par son leadership dans l’histoire du continent, ce pays cher au cœur des Noirs américains, et qui pourrait encore devenir leader par son économie, que Barack Obama, avocat, constitutionnaliste, légaliste, respectueux des Droits de l’homme et homme politique ambitieux pour son propre pays a choisi d’aller symboliquement apporter son appui en juillet prochain, quand, pour la première fois, il traversera l’Atlantique pour venir en Afrique au Sud du Sahara. Il y dévoilera la politique africaine des Etats-Unis pour les années à venir.

* - Abou Bakr Moreau est professeur d’Etudes américaines à la Faculté des Lettres et Sciences humaines, à l’Univesité Cheikh Anta Diop de Dakar

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