Attaque contre Charlie Hebdo et hypocrisie de la « Liberté d'expression »
Dans toute l'Europe et les États-Unis, il est proclamé que l'attaque sur le magazine Charlie Hebdo a été une atteinte à la liberté de la presse et au droit inaliénable des journalistes dans une société démocratique de s'exprimer sans perte de liberté ou crainte pour leur vie. Au milieu de cette orgie d'hypocrisie démocratique, aucune référence n'est relative au fait que l'armée étasunienne, dans le cadre de ses guerres au Moyen-Orient, est responsable de la mort d'au moins 15 journalistes.
L'attaque sur les bureaux de la rédaction de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, a choqué le public, horrifié par la mort violente de 12 personnes dans le centre de Paris. Les images vidéo, vues par des millions de personnes, d'hommes tirant avec leurs armes et tuant un policier déjà blessé ont donné aux événements une extraordinaire actualité.
Au lendemain de la fusillade, l'État et les médias cherchent à exploiter la peur et la confusion du public. Une fois de plus, la faillite politique et le caractère essentiellement réactionnaire du terrorisme sont exposés. Il sert les intérêts de l'État, qui utilise l’occasion offerte par les terroristes pour susciter un soutien à l'autoritarisme et au militarisme. En 2003, lorsque l'administration Bush a envahi l'Iraq, l’opposition populaire française était si écrasante que le gouvernement dirigé par le président Jacques Chirac avait été contraint de s'opposer à la guerre, même face à d'énormes pressions politiques des Etats-Unis. Douze ans plus tard, comme le président François Hollande s'efforce de transformer la France en allié principal des États-Unis dans la « guerre contre le terrorisme", l'attentat de Paris rapporte entre ses mains.
Dans ses efforts, Hollande peut compter sur les médias qui, dans de telles circonstances, dirigent toutes leurs énergies vers la manipulation émotionnelle et la désorientation politique du public. Les médias capitalistes, combinant habilement la censure et les demies vérités, ainsi que les mensonges éhontés, élabore un récit calculé pour faire appel non seulement aux plus vils instincts du large public, mais aussi à ses sentiments démocratiques et idéalistes.
Dans toute l'Europe et les États-Unis, il est proclamé que l'attaque sur le magazine Charlie Hebdo a été une atteinte à la liberté de la presse et au droit inaliénable des journalistes dans une société démocratique de s'exprimer sans perte de liberté ou crainte pour leur vie. La mise à mort des dessinateurs et journalistes de Charlie Hebdo est présentée comme un attaque contre les principes de la liberté d'expression qui sont, soi-disant, si aimés en Europe et aux États-Unis.
L'attaque de Charlie Hebdo est, ainsi, présentée comme un autre outrage par des musulmans qui ne peuvent tolérer les "libertés" occidentales. De là doit être tirée la conclusion que la "guerre contre la terreur"—c’est-à-dire l'assaut impérialiste sur le Moyen-Orient, l'Asie centrale et le Nord et l'Afrique centrale — est une nécessité incontournable.
Au milieu de cette orgie d'hypocrisie démocratique, aucune référence n'est relative au fait que l'armée étasunienne, dans le cadre de ses guerres au Moyen-Orient, est responsable de la mort d'au moins 15 journalistes. Dans le récit en cours de "Liberté de parole attaquée", il n'y a pas place pour la moindre mention de l'attaque d’un missile air-sol de 2003 sur les bureaux d'Al Jazeera à Bagdad, qui a tué trois journalistes et blessés quatre autres.
Rien non plus d’écrit ou de dit au sujet de l'assassinat en juillet 2007 de deux journalistes de Reuters à Bagdad ; le photographe Namir Noor-Eldeen et son chauffeur Saeed Chmagh. Les deux hommes ont été délibérément pris pour cible par des hélicoptères de combat Us Apache alors qu’ils travaillaient à l’est de Bagdad.
Le public américain et international a d'abord été en mesure de voir une vidéo de l'assassinat de sang froid des deux journalistes ainsi que d’un groupe d'Irakiens — tués par le même appareil — à la suite de la diffusion par WikiLeaks de documents classifiés qu'ils avaient obtenus d'un soldat américain, le caporal Bradley Chelsea Manning.
Et comment les États-Unis et l’Europe ont agi pour protéger le travail de WikiLeaks en matière de la liberté d'expression ? Julian Assange, le fondateur et éditeur de WikiLeaks, a été soumis à une persécution implacable. Des politiques et des personnalités des médias aux États-Unis et au Canada l’ont dénoncé comme un « terroriste » et exigé son arrestation, certains même appelant publiquement au meurtre. Assange est poursuivi sous l'inculpation de « viol », accusation frauduleusement concoctée par les services de renseignement américains et suédois. Il a été contraint de chercher refuge dans l'ambassade équatorienne à Londres, qui est sous la surveillance constante par la police britannique, prête à interpeler Assange s’il sortait de l'ambassade. Quant à Chelsea Manning, elle est actuellement en prison, pour une peine de 35 ans pour trahison.
Voilà comment les grands capitalistes des « démocraties » d'Europe et d'Amérique du Nord ont démontré leur attachement à la liberté d'expression et la sécurité des journalistes !
Le récit hypocrite et malhonnête fait par l'État et les médias exige que Charlie Hebdo et ses caricaturistes et journalistes assassinés soient présentés comme des martyrs de la liberté d'expression et des représentants d'une tradition démocratique vénérée du journalisme iconoclaste et percutant.
Dans une chronique publiée dans le Financial Times, l'historien libéral Simon Schama place Charlie Hebdo dans une glorieuse tradition d'irrévérence journalistique qui « est la pierre angulaire de la liberté. ». Il rappelle les grandes satiristes européennes entre les XVIe et XIXe siècles qui soumettaient les grands et les puissants à leur mépris cinglant. Parmi leurs cibles illustres, nous rappelle Schama, se trouvaient le brutal duc d'Albe, qui, dans les années 1500, a noyé dans le sang la lutte des Néerlandais pour la liberté; le « Roi soleil » Louis XIV, le Premier ministre Britannique William Pitt et le Prince de Galles.
« Satire », écrit Schama, « devint l'oxygène de la politique, faisant souffler de sains hurlements de dérision dans les cafés et tavernes où les caricatures circulaient chaque jour et chaque semaine ».
Schama place Charlie Hebdo dans une tradition à laquelle il n'appartient pas. Tous les grands satiristes auquel se réfère Schama étaient des représentants d'un éveil démocratique qui a dirigé leur mépris contre les défenseurs puissants et corrompus de privilèges aristocratiques. Dans ses représentations dégradantes sans relâche des musulmans, Charlie Hebdo a raillé les pauvres et les faibles.
Pour parler franchement et honnêtement, le caractère sordide, cynique et dégradé de Charlie Hebdo ne doit pas faire fermer les yeux sur l'assassinat de son personnel. Mais quand le slogan « Je suis Charlie » est adopté et fortement encouragé par les médias comme le slogan des manifestations de protestation, ceux qui n'ont pas été submergés par la propagande d'État et des médias sont obligés de répondre : "nous sommes opposés à l'agression violente sur le magazine, mais nous ne sommes pas — et n'avons rien en commun avec — « Charlie ».
Les Marxistes ne sont pas étrangers à la lutte pour surmonter l'influence de la religion parmi les masses. Mais ils mènent ce combat en comprenant que la foi religieuse est soutenue par des conditions d'adversité et de misère désespérée. La religion ne doit pas être moquée, mais comprise et critiquée comme Karl Marx l’a comprise et critiquée : "La détresse religieuse est... l'expression de la détresse réelle et la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, le cœur d'un monde sans cœur, tout comme c'est l'esprit des conditions dépourvues d’esprit. C'est l'opium du peuple." Abolir la religion comme l'illusoire bonheur du peuple c’est exiger son bonheur réel. La demande d'abandonner les illusions sur les affaires existantes est la demande de renoncer à un état de fait qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc dans l'embryon de la critique de la vallée de larmes, le halo qu’est la religion." [Contribution à la Critique de la philosophie du droit, de Hegel à Marx et Engels Collected Works, Volume 3 (New York, 1975), pp. 175-76]
On n'a qu'à lire ces mots pour voir le gouffre intellectuel et moral qui sépare le marxisme du milieu malsain du cynisme politique ex-gauche qui a trouvé son expression dans Charlie Hebdo. Il n’y a rien eu d'instructif, encore moins d’édifiant, dans leur dénigrement puéril et souvent obscène de la religion musulmane et de ses traditions.
Les caricatures anti-musulmanes cyniquement provocatrices qui ont paru sur tant de couvertures de Charlie Hebdo ont flatté et facilité la croissance de mouvements chauvinistes de droite en France. Il est absurde de prétendre, par le biais de la défense de Charlie Hebdo, que ses caricatures sont juste "pour rire" et n'ont aucune conséquence politique. Outre le fait que le gouvernement français cherche désespérément un soutien à sa politique militariste croissante en Afrique et au Moyen Orient, la France est un pays où l’influence du Front National néofasciste croit rapidement.
Dans ce contexte politique, Charlie Hebdo a facilité la croissance d'une forme d’anti-islamisme politisé qui a une ressemblance troublante avec l'antisémitisme politisé qui a émergé comme un mouvement de masse en France dans les années 1890.
Dans son utilisation des caricatures grossières et vulgaires qui donnaient une image sinistre et stéréotypée des musulmans, Charlie Hebdo rappelle les publications racistes à bon marché qui ont joué un rôle important dans la promotion de l'agitation antisémite qui a balayé la France au cours de la célèbre affaire Dreyfus, qui a éclaté en 1894 après qu'un officier juif a été accusé et faussement déclaré coupable d'espionnage pour le compte d'Allemagne.
En flattant la haine populaire envers les Juifs, La Libre Parole ["Free Speech"], publié par l'infâme Edoard Adolfe Drumont, a fait une utilisation très efficace de dessins qui ont employé les dispositifs antisémites familiers. Les caricatures ont servi à enflammer l'opinion publique, à inciter à manifester contre Dreyfus et ses défenseurs, comme Emile Zola, le grand romancier et auteur de J'accuse.
Le World Socialist Web Site, sur la base de principes politiques de longue date, s'oppose et condamne sans équivoque l'agression terroriste sur Charlie Hebdo. Mais nous refusons de participer à la représentation de Charlie Hebdo comme un martyr à la cause de la démocratie et la liberté d'expression, et nous mettons en garde nos lecteurs pour qu’ils se méfient de l'agenda réactionnaire qui motive cette campagne hypocrite et malhonnête.
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** David North est le secrétaire national du Parti de l'égalité socialiste des États-Unis et président du comité de rédaction international du World Socialist Web Site.
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