Dans la période préélectorale que connaît la Côte d’Ivoire, la presse se lance à nouveau dans les invectives et les écarts de langage qui, naguère, avaient contribué à pousser ce pays dans les déchirements et les violences qui l’ont laissé exsangue. Avec le nouvel épisode de tension qui se dessine autour de la suspension du quotidien privé d'opposition Le Patriote, Reporters sans frontières craint le pire et plaide pour la retenue.
Dans ce contexte politique de précampagne tendu, que la polémique sur les listes électorales a exacerbé, les écarts de langage et les invectives personnelles ne sont pas de nature à calmer les tensions. Nous appelons une nouvelle fois les professionnels des médias à respecter l'éthique journalistique et à ne pas attiser les haines. Pour autant, si le CNP a la tâche difficile de réguler la presse écrite et d'en sanctionner les écarts, il doit le faire de la manière la plus juste possible pour ne pas lui-même nourrir les tensions.
Dans sa décision n° 004 du 1er février 2010, le CNP reproche notamment au Patriote un article paru en une dans l'édition des 23 et 24 janvier et illustré par les photos de plusieurs officiels ivoiriens, intitulé "Ils sont tribalistes, ivoiritaires et xénophobes – Voici les nouveaux ennemis de la paix". Plus loin, dans un encadré, le journal, proche d'Alassane Dramane Ouattara et du Rassemblement des Républicains (RDR), indique : "Voici la liste de ceux qui organisent la fraude". Le CNP a estimé que ces termes étaient "incitatifs à la révolte" et susceptibles de livrer les personnes visées "à la vindicte populaire."
Le CNP dénonce par ailleurs la publication, dans la même édition du journal, d'un article intitulé "Tagro, le pyromane qui va perdre Gbagbo" jugeant les propos à l'encontre du ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation, Désiré Tagro, "gravement diffamatoires et injurieux".
Le 27 janvier, Le Patriote avait déjà reçu un blâme pour cet article. Le CNP condamne également un article paru le 28 janvier faisant référence aux "massacres d'octobre 2000 et de mars 2004" et accusant Laurent Gbagbo d'avoir "fait tuer des Ivoiriens pour rien". Enfin il déplore qu'un autre article, paru le lendemain, présente Charles Blé Goudé, le leader des Jeunes patriotes, comme "Le petit voleur qui veut être grand". Le texte accuse Charles Blé Goudé d'avoir acheté son diplôme à l'université, et emploie, pour le décrire, des termes particulièrement durs.
Interrogé par Reporters sans frontières, un journaliste d'Abidjan insiste : "Les faits relatés sont prouvés. Blé Goudé a bien triché pour obtenir sa licence et le professeur incriminé avait été radié. Il s'agit donc d'une information. N'est-ce pas plus grave quand certains journaux ne font que divulguer de fausses informations basées sur des faits imaginaires ‘"
Ainsi le quotidien Notre Voie, proche du Front populaire ivoirien (FPI, au pouvoir), accusait récemment Alassane Ouattara de ne pas être Ivoirien mais Burkinabé, dans le but de décrédibiliser sa candidature à l'élection présidentielle. De même, le quotidien Le Temps titrait récemment "Bédié et Ouattara sèment la terreur". "Le ton de la presse est peut-être outrancier, mais pourquoi les sanctions ne s'appliquent-elles pas à tous ‘", s'interrogeait enfin le journaliste.
Régulièrement critiqué par la presse d'opposition, le CNP se défend d'avoir une politique du "deux poids deux mesures". "On peut dire beaucoup de choses, mais avec la manière. Le Patriote a fait excès d'impertinence", souligne le CNP. La décision du CNP note qu'en raison "du caractère sensible de la période actuelle de précampagne, la presse a été appelée à œuvrer à un climat social apaisé".
Fin janvier, l'opposition ivoirienne avait manifesté à Abidjan pour dénoncer la "caporalisation" de la télévision publique RTI par le camp du président Laurent Gbagbo.
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