«Nous allons nous battre pour faire partir les militaires du pouvoir en Guinée

Le président de l’Union des Forces Démocratiques de la Guinée (UFDG), Cellou Dalein Diallo, est un miraculé. Au sortir des sanglants du 28 septembre, où plus de 150 personnes périrent, il a retrouvé bonne mine après avoir reçu des coups qui lui valurent quatre côtes cassées, de nombreuses blessures graves, suite à un tabassage en règle orchestré par des membres de la junte militaire au pouvoir en Guinée. Finalement évacué sur Dakar puis Paris, il retrouve la santé. Plus de trois mois après, cette figure de proue de l’opposition guinéenne, ancien employé de banque qui a occupé d’importantes fonctions ministérielles dans le gouvernement de Lansané Conté, avant d’accéder au poste de Premier ministre, en remplacement de François Lonseny Fall parti en exil, ne ménage aucun effort pour que son pays vive demain la triptyque «liberté, justice et unité» prônée par l’UFDG. Dans cet entretien, il revient sur les questions de l’heure.

Cellou Dalein Diallo : Pouvez-vous revenir sur les circonstances de votre agression ?

Lorsque les militaires ont fait irruption dans le stade, ils sont venus nous chercher à la tribune, après avoir tiré un peu partout. Le chauffeur du capitaine Dadis Camara, qui se nomme Sankara, m’a agressé en me frappant à la tête. Il a sorti son arme et a tiré sur moi. Mon garde du corps s’est interposé et il a pris la balle au niveau de l’épaule. Alors, il s’est retourné contre mon garde du corps en lui disant : «Tu veux mourir à sa place ?» Ensuite, il a encore tiré sur lui avant de venir me prendre en charge. Ils m’ont frappé, m’ont cassé les côtes et m’ont maltraité. C’est lorsqu’ils m’ont pris pour mort, qu’ils m’ont jeté et abandonné.

Ils sont ensuite allés chez vous ?

Vers 14 heures, ils sont venus à la maison prendre les nombreux véhicules qui étaient garés sur la route. Parce que beaucoup de manifestants étaient venus garer dans ma cour. Ils sont entrés dans ma maison et ont pris pas mal d’objets et ont tiré sur les véhicules qu’ils ne pouvaient pas emporter. (…)
Sékouba Konaté, qui assure la transition en l’absence de Dadis Camara, est-il pour vous l’homme de la situation ?
Je ne sais pas. Cela dépendra du programme qu’il va présenter à la Guinée. Je ne me prononce pas sur la base des hommes, mais sur leur programme. S’ils ont un programme qui rejoint mes préoccupations, je le soutiens. C’est comme cela qu’au début, avec la prise du pouvoir par l’armée, nous avions décidé de soutenir Dadis Camara. Ce n’est pas Dadis que nous avions soutenu, mais le programme qu’il avait présenté à la Guinée. C'est-à-dire : organiser très vite des élections libres et transparentes sans y prendre part. Dès lors qu’il avait trahi ses propos, nous avons cessé de le soutenir pour le combattre. Maintenant nous attendons. Si Sékouba prend le pouvoir et nous présente un programme cohérent qui répond à nos attentes et à nos préoccupations, nous n’avons pas de raisons de le rejeter. Ce que nous voulons, c’est que les militaires rejoignent les casernes et que l’on mette en place une autorité civile, pour gérer la transition.

Selon vous, c’est le fait que Sékouba Konaté soit militaire qui dérange le plus ?

Non. En tant que militaire, il a son mot à dire. Dès lors, s’il prend par exemple le pouvoir, nous allons lui demander d’œuvrer pour la mise en place d’une autorité civile de transition (Ndlr : Jean-Marie Doré, un des leaders de l’opposition, a été nommé) Premier ministre du gouvernement de transition). Et nous allons être ouverts pour reprendre le dialogue dès lors qu’il s’engagerait à interdire la candidature des militaires. Pour le reste nous pourrons négocier.

Accepteriez-vous qu’un homme de tenue autre que Dadis puisse se présenter à l’élection présidentielle ?

Non. Je pense que le conflit avec Dadis Camara est né du fait de son intention de se présenter aux élections. Il n’est pas possible qu’un militaire se présente à l’élection présidentielle.

Ce n’est pas possible dans la Constitution guinéenne ?

Dans la Constitution, il y a beaucoup de conditions. Cela suppose qu’il démissionne de l’armée, attende et remplisse certaines conditions. Il y a quand même des règles à observer.

Et si un ancien militaire décidait de se présenter, accepteriez-vous sa candidature ?

Il y a eu dans le passé des anciens militaires qui se sont présentés. Feu le président Lansana Conté avait démissionné avant de se présenter. Le colonel Faciné Touré, devenu général maintenant, avait démissionné avant de se présenter comme candidat.

Est-ce qu’avec la situation actuelle, vous pensez qu’il est possible de tenir des élections ?

Pour moi, s’il y a une volonté politique réelle, oui. Si le pays est dirigé par des gens qui ont le souci de promouvoir la démocratie, il n’y a pas de raisons pour ne pas tenir des élections. Les Guinéens attendent et souhaitent ces élections. Ils se battent pour exercer leur droit de choisir leurs dirigeants. Il n’y a pas de problèmes majeurs avec une volonté politique réelle, d’organiser des élections et de laisser le soin au peuple de Guinée de choisir ses dirigeants. (…)

N’est-ce pas un handicap que l’opposition ne puisse pas avoir un leader ?

(…) Je pense que nous (partis de l’opposition) n’avons pas la même vision. Nous sommes nombreux à vouloir briguer la magistrature suprême dans notre pays. Chacun ayant son projet et sa vision. C’est normal. Nous ne pouvons pas dire que nous pouvons regrouper toutes ces sensibilités derrière une seule. (…) Nous pouvons avoir des coalitions, des alliances en fonction des contraintes et des problèmes du moment. La démocratie suppose que toutes les sensibilités puissent s’exprimer et que le peuple choisisse.

Plusieurs figures de proue de l’opposition sont à l’étranger. Pensez-vous que le combat à distance peut se révéler efficace ?

Il y a eu un contexte qui a fait que nous avons quitté la Guinée. Nous allons rentrer. Nous n’allons pas continuer à rester éternellement à l’étranger, mais il faut qu’il y ait d’abord un peu d’ordre pour permettre d’agir librement sans risquer nos vies dans la pagaille qui règne actuellement avec toute la crispation et la haine que l’on a cultivée. C’était très difficile d’être là. On a détruit ma maison, on a voulu me fusiller et je l’ai échappé de justesse. Tant qu’il n’y a pas l’ordre et un peu plus de sérénité, c’est difficile.

Dès fois, l’opposition et les forces vives ne parlent pas le même langage. Pourquoi ?

Au sein des Forces vives, il y a souvent des dissidences ou en tour cas des incompréhensions. Cela arrive. Il ne faut pas perdre de vue qu’en Guinée-Conakry il y a près de soixante-deux partis, neuf centrales syndicales et toutes les organisations de la société civile qui sont membres des Forces vives. C’est une machine lourde et c’est difficile d’obtenir le consensus. Il y a donc souvent des divergences et c’est cela aussi la démocratie.

Si les militaires refusent de quitter le pouvoir. Quelle serait, selon vous, l’attitude des Forces vives guinéennes ?

Nous continuerons la lutte, pour les obliger à le faire. Parce que nous ne pouvons pas laisser le pays aux mains de gens qui n’ont aucune légitimité, aucune compétence pour le diriger.

Quel devrait être aussi dans ce cas, le rôle de l’Union africaine, de l’Union européenne et des Nations unies ?

Les organisations internationales et la CEDEAO ont joué leur rôle. Elles ont condamné le putsch, exclu la Guinée de leurs instances et jusqu’à présent, je crois qu’elles sont pour le retour de la démocratie et de l’ordre constitutionnel dans notre pays. Elles font beaucoup d’efforts et il faut s’en féliciter.

Pensez-vous que l’on peut aller jusqu’à l’envoi d’une troupe d’interposition ?

Nous avons souhaité une force d’observation militaire et civile pour garantir la sécurité des témoins dans le cadre des enquêtes qui sont menées à la suite des évènements du 28 septembre. Pour la sécurité des leaders, mais aussi pour éviter les conflits entre les différents groupes armés, les militaires et les milices qui existent aujourd’hui. Ce serait bon qu’il y ait une force d’observation pour essayer de prévenir ce genre de conflits qui pourraient conduire le pays dans le chaos. (…)

Que pensez-vous des sanctions qui sont brandies par les organismes internationaux, certains pays et autres ?

Je pense que cela fait partie des pressions que la communauté internationale exerce sur la junte afin que celle-ci accepte et diligente le retour à l’ordre constitutionnel.

Est-ce que ce n’est pas le peuple qui va subir ces pressions ?

Non, ce n’est pas le peuple. Les sanctions ciblées qui concernent les voyages et les avoirs financiers de la junte et des membres du gouvernement ne vont pas toucher le peuple. C’est vrai que la suspension de la coopération financière par certains bailleurs de fonds peut affecter la population, mais en ce qui concerne l’Union européenne il est bien dit que l’humanitaire est exclu du champ couvert par ces sanctions.

Quel rôle les pays voisins de la Guinée peuvent-ils et doivent-ils jouer pour que la paix définitive revienne et éviter que le conflit déborde chez eux ?

Toutes les bonnes volontés doivent s’impliquer pour aider au retour à l’ordre constitutionnel dans ce pays. Chacun utilisant son influence pour persuader et infléchir les positions rigides et encourager toute initiative qui tendrait au retour à l’ordre constitutionnel et à l’organisation d’élections libres et transparentes.

Que faudrait-il faire pour rendre la dignité perdue aux victimes des évènements du 28 septembre ?

La première chose, c’est d’identifier et de punir les coupables qui qu’ils soient et à n’importe quel niveau de responsabilité. Il faut mettre fin à l’impunité en Guinée. C’est pourquoi le rapport de la commission d’enquête internationale vient à point nommé. Je pense que ces travaux vont aider à identifier les principaux responsables de ce carnage et de ces viols. Pour que ceux-ci répondent devant des tribunaux compétents.

On parle actuellement de la constitution de milices, qu’en est-il réellement ?

Nous l’avons toujours dénoncée au niveau des Forces vives. Comme nous dénonçons la tribalisation du débat politique et le recrutement de milices ethniques qui sont consignés dans le document que nous avons remis au président Blaise Comparé et à la CEDEAO.

Ce qui s’est passé le 28 septembre n’a-t-il pas une connotation ethnique, comme le souligne le rapport de Human Rights Watch ?

Les leaders politiques qui sont responsables doivent éviter de tribaliser les questions. Malheureusement, il existe des responsables qui souhaitent utiliser ces préjugés ethniques pour trouver des soutiens, parce qu’ils n’ont pas de projets à présenter au peuple. C’est dommage car nous devons tous nous donner la main pour combattre la tribalisation du débat politique.

Si demain Cellou Dalein Diallo devient président de la République de Guinée-Conakry, qu’est-ce qu’il va changer ?

Bien sûr que j’ai un programme et que je vais changer beaucoup de choses. Je vais améliorer la gouvernance avec une administration efficace. Mettre un système éducatif performant. Moderniser les infrastructures, trouver une solution à l’eau et à l’électricité. Rendre performants les infrastructures de transports. Développer l’agriculture en améliorant les rendements. Mais le plus important, c’est d’assurer la sécurité des Guinéens, créer l’Etat de droit pour le citoyen, les entreprises, les investisseurs… Une justice efficace, fiable et crédible. Une police professionnelle, capable de garantir la sécurité des citoyens. Une administration efficace capable de saisir toutes les opportunités pour promouvoir un développement durable.

* Cellou Dalein Diallo est le président de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée - Cette interview, dans sa version intégrale, est parue dans le journal Première ligne. Elle a été réalisée par Ambroise Mendy et Amadou Diouf

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