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Aljazeera

Celui ou celle qui quitte son pays pour se réfugier à l’étranger vit dans la crainte perpétuelle de la reconduite à la frontière, du racisme et de la violence. Arrivés en Europe, les réfugié-e-s vivent dans des conditions désastreuses et doivent vivre de longues années sans savoir s’ils finiront par obtenir le droit de rester ou s’ils devront repartir. Les femmes réfugiées sont particulièrement défavorisées.

La route pour l’Europe est celle de tous les dangers. La peur nous accompagne à chaque tentative de traverser la frontière et ne fait que grandir même lors que nous y parvenons. Nous vivons dans la peur perpétuelle de la reconduite dans nos pays d’origine car nous sommes officiellement discriminé-e-s en étant qualifié-e-s de « réfugié-e-s économiques ». Nous avons aussi peur de l’énième reconduite dans d’autres pays « sûrs » de l’Union européenne et de devoir y vivre dans des conditions encore plus déplorables. Nous luttons chaque jour avec la peur des agressions corporelles et des actes racistes dans les rues de l’Europe. Chaque jour, chacun-e d’entre nous doit lutter contre toutes ces menaces.

Les difficultés rencontrées par les Africain-e-s pour affronter ces obstacles ne sont pas un secret. Chaque jour, nombreux sont ceux et celles qui meurent en tentant de rejoindre l’Europe.

Les migrations sont le résultat de la politique des gouvernements européens, des multinationales et des pays soi-disant « développés » qui influencent directement ou indirectement l’économie et la gouvernance de nos pays d’origine. Il est bien sûr plus facile de la part des Européen-e-s d’argumenter que leur gouvernement soutient financièrement ces pays et que les multinationales y créent des emplois. Il est plus facile pour eux de refouler l’histoire, de taire le prix payé par les pays africains pour ces subventions et de passer sous silence la façon dont leurs gouvernements exploitent les Africain-e-s et leurs pays.

Des conditions déplorables pour les demandeurs-euses d’asile

Après avoir survécu à des voyages dangereux, nous sommes baladés en Europe d’un centre d’hébergement à un autre, la plupart du temps éloignés des quartiers résidentiels, des écoles, des supermarchés et des gares. Cela n’est qu’un exemple des expériences auxquelles est confronté un-e demandeur-euse d’asile. Font objet de site d’hébergement, des tentes et des containers, ou bien d’anciennes baraques militaires et des immeubles dans lesquels deux à quatre demandeurs-euses d’asile sont logés dans chaque pièce. Ce système isole les personnes qui restent sans perspective de pouvoir apprendre la langue, de travailler ou de se former. Dans ce monde reclus, nous n’avons aucun contact avec la société allemande. Dans ces conditions, nous, les femmes, sommes particulièrement exposées au danger des agressions racistes.

Vivre dans ces logements communautaires signifie partager une chambre (nous n’avons le droit qu‘à 6m2, voire moins dans certains Länder), la cuisine, la salle de bain, les toilettes, les longs couloirs – et surtout l’absence de sphère privée. Les employé-e-s de ces logements peuvent pénétrer à chaque instant dans nos chambres sans frapper et sans se préoccuper de savoir si tu es habillé-e ou nu-e. Tu n’as pas le droit de recevoir de la visite. Quand cela est autorisé, les visiteurs-euses doivent arriver avant 10h et payer une taxe s’ils restent pour la nuit. La nuit, le bruit dans les couloirs nous empêche de dormir. Les enfants scolarisés ne peuvent pas se concentrer sur leurs devoirs. Les parties communes sont souvent le lieu de disputes qui se transforment en bagarres ou du harcèlement sexuel et de la maltraitance des femmes.

Le racisme est partout dans les rues et il est ancré structurellement dans ce système. Les employé-e-s des logements communautaires ou des administrations et les autres réfugié-e-s discriminent les demandeurs-euses d’asile en les traitant comme des criminel-le-s ou en considérant qu’ils ne sont venus que pour percevoir les aides sociales et n’ont rien d’autre à faire ici. Les administrations ont les pleins pouvoirs pour décider ce à quoi tu as le droit, du logement au traitement médical en passant par l’accompagnement psychologique.

Division entre « utilisable » et « inutilisable »

Du fait de l’absence de perspectives et d’espoir dans ces conditions, de nombreux demandeurs-euses d’asile souffrent de stress et de dépression qui ne font que s’aggraver au vu de ce qu’ils ont déjà vécu.  Les demandeurs-euses d’asile sont classés selon des critères d’« utilité » : les portes sont grand ouvertes à ceux-celles qui sont jeunes et qualifiés. Pour les autres, les frontières sont fermées.

Même les chances de succès des demandes d’asile dépendent des intérêts économiques de l’État allemand : une procédure accélérée permet par exemple aux réfugié-e-s syriens de voir leurs demandes qualifiées automatiquement de « manifestement justifiées ». Elles le sont en effet. Mais pourquoi une telle procédure n’a-t-elle pas lieu aussi pour les réfugié-e-s venus de zones en guerre comme le Tchad, le Soudan ou le Congo ? La réponse est simple : une grande partie des réfugié-e-s syriens dispose d’une bonne formation académique. A l’inverse, les demandes d’asile des Roms venus des Balkans sont qualifiées automatiquement de « manifestement non justifiées », parce que les Roms, exclus des systèmes d’éducation de leurs pays d’origine, n’apportent aucune qualification intéressante pour l’économie allemande.

Le statut de ces réfugié-e-s jugés « inutilisables » est encore aggravé par les discriminations racistes au quotidien, les contrôles de police et les agressions et insultes racistes de la part d’une partie de la population allemande.

Les femmes demandant l’asile ont très peu de chance dans ce système de sélection inégalitaire, car peu ont accès à l’éducation dans leurs pays d’origine. Peu importe si l’on considère l’interdiction de travailler ou l’intégration, la protection des réfugié-e-s ou leur reconduite à la frontière, leur emprisonnement ou leur autorisation au séjour, le système d’asile allemand divise les réfugié-e-s et les migrant-e-s. La législation actuelle repose sur une hiérarchisation des catégories : les migrant-e-s « utiles » qui peuvent être intégrés, « vrais réfugié-e-s » qui ont besoin d’une protection au moins temporaire et les soi-disant escrocs sont rangés dans différentes cases. En même temps, toute une série de règlements et de lois exceptionnelles visent à un isolement des demandeurs-euses d’asile du reste de la société.

Les discriminations des femmes

Dans ces conditions, les femmes sont doublement défavorisées. Ce sont elles qui souffrent le plus car ce sont elles qui ont la responsabilité de leurs familles. De plus, elles doivent lutter non seulement en tant que réfugiées et illégalisées mais aussi comme femmes. Beaucoup de femmes ne connaissent pas leurs droits et ont peur de réduire leurs chances d’être régularisées en s’engageant politiquement. D’autres aimeraient seulement pouvoir vivre en paix après avoir tant souffert avant et après être arrivées. Les mouvements politiques et les luttes sont souvent dominées par les hommes et les problèmes spécifiques des femmes sont souvent ignorés ou considérés comme secondaires.

Les femmes sont non seulement confrontées à des lois migratoires racistes mais aussi à la violence sexuelle et au harcèlement ainsi qu’aux agressions physiques au sein et en dehors des camps. Ces problèmes ne sont pourtant pas pris en compte par les mouvements de réfugié-e-s « classiques ». C’est pourquoi nous avons décidé de nous organiser pour lutter pour nos droits en tant que femmes. Nous avons décidé de nous informer nous-mêmes sur les lois concernant les réfugié-e-s. Ainsi, nous pouvons également informer les autres femmes réfugiées et les conseiller quand elles sont confrontées à des problèmes administratifs ou sociaux. Dans cet objectif, nous organisons des séminaires et des ateliers pour informer les femmes de leurs droits, les soutenir et les renforcer. Notre idéal politique est celui d’une société juste sans exclusion ni discrimination. C’est pourquoi nous luttons pour l’abolition des lois qui desservent les demandeurs-euses d’asile et les migrant-e-s.

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS



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** Bethi Ngari vient de Kenya. Elle vit en Allemagne depuis 1996. Elle est cofondatrice de Women in Exil, une organisation des réfugiées en Allemagne (www.women-in-exile.net) - Traduit de l’allemand par Marion Davenas

Cet article a été déjà publié en Allemagne par AfricAvenir and Südlink. Il a été écrit dans le cadre du projet  «Why we are here – African perspectives on flight and migration» / «Pourquoi nous sommes là!? Perspectives africaines sur la fuite et la migration » mené par AfricAvenir in 2015/16.[K1]  Avec l'aimable soutien de la Landesstelle für Entwicklungszusammenarbeit (LEZ) et d’Engagement Global

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