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CFO

Le débat sur les réformes institutionnelles au Sénégal est certes excitant. Mais il serait dommage de se focaliser uniquement sur la réduction du mandat du président de la République, car cela masque la portée des réformes envisagées qui visent toutes à consolider la démocratie, élargir les espaces de libertés et à renforcer, pour tout dire, les droits citoyens.

Comme il est de droit dans une démocratie majeure comme la nôtre, le débat sur les réformes institutionnelles suit son cours, avec cependant une tonalité nouvelle depuis l’adresse à la nation du 31 décembre du président de la République.

Ceux que certains politologues français désignent comme les professionnels de la prise de parole publique à savoir les acteurs politiques, journalistes et intellectuels occupent le devant de la scène dans une dialectique de confrontation entre deux blocs majeurs dont les animateurs ont tendance à réduire le débat à la question du mandat présidentiel.

Ce sujet est certes plus excitant, mais il serait dommage que cette focalisation absolue sur la réduction du mandat du président de la République (Ndlr : de 7 ans à 5 ans) masque la portée des réformes envisagées qui visent toutes à consolider notre démocratie, approfondir notre politique de décentralisation, élargir les espaces de libertés et à renforcer, pour tout dire, les droits citoyens.

La réforme de la loi fondamentale d’un pays est un projet si lourd de conséquences qu’il importe de convenir que le débat qu’il engendre soit, non seulement tenu dans la sérénité, le sérieux et la rigueur qui s’imposent dans une telle circonstance, mais qu’il appelle aussi la participation de toutes les composantes de la nation, dans ses segments les plus représentatifs en particulier.

Cette précaution s’impose d’autant que tout le monde s’accorde pour admettre qu’il y a lieu désormais de garantir la stabilité de notre Loi fondamentale, tout au moins dans certaines de ses dispositions essentielles, notamment le caractère républicain de notre Etat, le nombre de renouvellements ainsi que la durée du mandat présidentiel.

Nous ne prétendons donner de leçon à personne mais nous pensons en toute sincérité que pour l’instant il y a bien une possibilité de faire mieux.

Entendons-nous avant tout sur le fait que c’est faire un mauvais procès au président Macky Sall que de vouloir l’accabler à tout prix de l’intention de renoncer à son engagement de réduire son mandat de 7 à 5 ans.

Quoiqu’on en dise, en effet, il n’a, en aucune circonstance, varié dans sa position, y compris dans son discours à la nation du 31 décembre 2015.

L’option simplificatrice qui prédomine auprès de la plupart des acteurs qui s’acharnent à réduire tout l’enjeu de la réforme constitutionnelle à une question morale de "respect de la parole donnée" ne peut suffire pour considérer le débat sans objet, autant sur la pertinence de l’option de rétroactivité que sur la praticabilité de l’opération.

Aucune analyse un peu sérieuse du sujet ne peut évacuer la contrainte majeure du débat sur la primauté du serment du président sur l’engagement du candidat.

Dés lors que le président Macky Sall a prêté serment sur la base d’une Constitution dont il a la responsabilité de respecter et qui lui confère un mandat de 7 ans, nous sommes objectivement devant une impasse politico-juridique sur le sujet du mandat présidentiel en cours.

Les réformes devant permettre d’acter l’engagement de réduction du mandat dans la Constitution, avant la prestation de serment du nouveau président élu, n’étaient pas techniquement praticables. La seule possibilité qui s’offrait pour les réaliser à chaud était de les conduire avant les législatives ayant suivi les élections présidentielles de la même année (Ndlr : 2012). La conséquence qui en aurait naturellement découlé était la prorogation du mandat des députés de la majorité sortante de l’époque qui présentait une toute autre couleur politique.

N’ayant pu prendre aucune de ces deux options, on se trouve confronté, aujourd'hui, à la réalité juridique qu’on ne peut évacuer d’un revers de la main d’un conflit objectif entre l’engagement d’un candidat de ramener son mandat en cours à cinq ans et le serment d’un président jurant devant la cour constitutionnelle et la nation de "respecter et de faire respecter la constitution" qui lui confère un mandat de sept ans !

Sans prétendre à aucune compétence juridique particulière , je ne puis m’empêcher de croire qu’il serait difficile pour le Conseil constitutionnel, que le chef de l’Etat a l’obligation constitutionnelle de consulter, d’aller dans le sens "d’autoriser" la violation d’une quelconque disposition de la loi fondamentale telle qu’elle est en l’état et l’était alors .

Et si on persiste à considérer qu’en cas de constat d’une non applicabilité de la réduction du mandat, le président Macky Sall devrait passer outre en recourant immédiatement à la voie référendaire, il se pose là deux problèmes de caractère plutôt politique dont on ne peut non plus nier et évacuer la réalité.

La première remarque porte sur l’idée que l’on se fait souvent dans nos pays de la responsabilité de ceux qui gouvernent. Si le désir et la volonté d’abréger le mandat du président de la République devrait entraîner une banalisation de la fonction de nos institutions politiques et judiciaires, le risque serait gros de fragiliser notre Nation qui s’est jusque-là adossée sur la robustesse de ses institutions et la vitalité de sa démocratie maintes fois éprouvée.

Et au cas ou la Cour constitutionnelle venait à objecter sur le sujet de la réduction du mandat présidentiel, je ne vois pas en quoi il n’y aurait pas lieu que le président de la République en prenne acte pour reconsidérer, avec ses alliés, l’opposition, la société civile et les autres composantes de la Nation, les conditions, les délais et les modalités de mise en œuvre des réformes institutionnelles qu’il entend promouvoir.

Il sera d’autant plus à l’aise sur le sujet qu’il était seul parmi les candidats de l’époque de l’agitation pré-électorale de 2012 à prendre acte et à appeler au strict respect de l’avis du Conseil constitutionnel sur la validité de la candidature du Président Wade en 2012.

On peut parfaitement convenir que le candidat Macky Sall ne puisse être plus légaliste et plus respectueux de notre justice que le président Macky Sall qui en est le garant et le premier magistrat.

Il aurait tort à mon sens et nous aurions tort tout autant avec lui d’ignorer l’avis du Conseil sous prétexte de respect aveugle d’un engagement électoral dans un contexte où d’autres priorités interpellent aujourd'hui notre Nation.

Aborder ces sujets dans la sérénité, c’est tenir compte de l’ampleur des réformes économiques et sociales en cours dans le contexte d’un environnement sous régional particulièrement agité dans lequel notre pays a la particularité de constituer l’un des principaux pôles de stabilité.

C’est toute cette perspective qui ouvre l’étendue du champ des responsabilités du président de la République et qu’il convient d’intégrer dans l’appréciation de la nature des actes qu’on l’invite à poser.

Notre sens des responsabilités politiques nous interdit, sous ce rapport, de faire l’économie de la réflexion sur les conséquences de l’option référendaire en vue de faire abréger le mandat du président de la République de sept à cinq ans.

Effectuer ce choix aura pour conséquence immédiate de faire des années 2016 et 2017 deux années de fièvre électoraliste au cours desquelles les logiques de pouvoir vont nécessairement reléguer les logiques de développement au second plan.

Ce sont là les termes concrets et les enjeux réels du débat sur l’option référendaire.
C’est pourquoi il y va, à mon avis, de la responsabilité du camp majoritaire dans son ensemble, notamment la coalition Bokk Yakaar qui gouverne le Sénégal depuis trois ans. Il est de notre devoir à nous tous de nous emparer de la question pour en faire un débat national dont l’enjeu doit intégrer et dépasser le mandat pour embrasser l’ensemble des défis de caractère politique et sécuritaire, économique et social auxquels le pays est confronté.

C’est, d’autre part, envisager de façon tout à fait réductrice la question du mandat présidentiel en termes d’interpellations musclées de l’ancien candidat Macky Sall. Au-delà de sa personne, c’est bien la majorité qui l’a accompagné au pouvoir et qui l’exerce avec lui depuis lors qui est interpellée dans son ensemble.

Toutes les ruptures envisagées dans le cadre de ce qu’on pourrait appeler les "chantiers institutionnels" du président de la République associées aux réformes de grande portée économique et sociale engagées avec le Plan Sénégal émergent et le Programme d’urgence de développement communautaire constituent une base solide de consensus national possible qui nous garantirait indubitablement les conditions d’une croissance durable et d’une émergence certaine dans une nation réconciliée et une démocratie apaisée.

Et si on s’engageait plutôt dans cette voie ?

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** Abdou Fall, ancien ministre d’Etat du Sénégal, membre du Secrétariat national de l’Alliance pour la République (au pouvoir)

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