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Si le protectionnisme et la répression ont pu jusqu’à maintenant tenir lieu de politique migratoire, en suscitant et en jouant sur les peurs et les fantasmes des peuples occidentaux, la présente «crise des migrants» met l’Europe au pied du mur, confrontée à ses propres valeurs de civilisation ainsi qu’à ses responsabilités géopolitiques.

Il faut bien reconnaitre qu’il y a, et depuis bien longtemps, chez les «Occidentaux», Européens continentaux, Anglo-Saxons et Américains, un vieux réflexe non pas seulement xénophobes mais carrément raciste qui refait surface régulièrement chaque fois qu’il s’agit de l’accueil «de peuples de couleur» sur leurs sols.

Un confrère américain rappelait récemment que le Congrès des Etats Unis adoptait en 1882 le Chinese Exclusion Act, «la première législation sur l’émigration visant à interdire l’entrée dans le pays d’un groupe ethnique spécifique», qui prétendait empêcher la «pollution de la culture américaine» et préserver les emplois…

C’est de ce même reflexe que participe essentiellement toutes ces politiques migratoires mises en œuvre au cours de ces dernières décennies, partout dans le monde occidental, de l’Europe, aux États-Unis en passant par l’Australie. Il s’agit désormais d’arrêter physiquement les «nuées» de nouveaux barbares aux portes de l’Occident. C’est ainsi qu’on a érigé partout des «murs» et des barbelés.

Dès 1995, on a encerclé l’enclave de Ceuta et Melilla d’une double enceinte. La Grèce a élevé plus de 10 kilomètres de murs et de barbelés sur sa frontière avec la Turquie. La Bulgarie a de son côté entrepris d’en construire un sur plus de 100 kilomètres sur sa frontière sud avec ce même pays. La Hongrie, quant à elle, s’investit à présent dans l’érection de barbelés sur 120 kilomètres le long de sa frontière sud avec la Serbie. Les États-Unis ont entrepris de construire depuis 2005 un mur qui à terme s’allongera sur 3145 kilomètres le long de leur frontière avec le Mexique. Les gouvernements français et britannique viennent de débloquer 10 millions de dollars pour «améliorer» la barrière de barbelés autour de la ville de Calais afin de «sécuriser» le tunnel sous la Manche.

Pendant ce temps, on prétend que le monde est devenu un seul et même village, les marchandises et les flux financiers ne connaissent pas de barrières, l’Europe établit avec l’Afrique des accords dit de «libre échange» et les Etats Unis adoptent le traité nord-américain de libre échange (Nafta) avec… le Mexique.

Dans le même temps partout, aux États-Unis comme en Europe ou en Australie, c’est le discours raciste décomplexé qui domine depuis de nombreuses années le débat sur l’immigration et il n’est plus tenu seulement par les partis d’extrême droite mais aussi par ceux des droites et gauches «traditionnelles».

C’est ainsi que Donald Trump (Ndlr : candidat à la candidature des Républicains pour la présidentielle américaine), parlant au nom du Parti républicain peut tranquillement proposer de «déporter» tous les 11 millions d’Américains de première génération, la présidente du Front national français dénoncer la «submersion migratoire» de l’Europe, le Premier ministre britannique parler de «nuées» de migrants clandestins s’abattant sur la Grande Bretagne. Or si le protectionnisme et la répression ont pu jusqu’à maintenant tenir lieu de politique migratoire, en suscitant et en jouant sur les peurs et les fantasmes des peuples occidentaux, la présente «crise des migrants» met l’Europe au pied du mur, confrontée à ses propres valeurs de civilisation ainsi qu’à ses responsabilités géopolitiques.

C’est que les 300 000 personnes qui, depuis le début de cette année, tentent désespérément d’entrer dans l’Union européenne par mer ou à travers la Turquie, ne sont pas simplement des migrants, ce sont des réfugiés. Ces hommes, femmes et enfants ont été chassés pour la plupart de Syrie, d’Iraq, d’Afghanistan et de Libye principalement par la guerre qui ravage ces pays depuis plusieurs années. Leurs maisons et les infrastructures de leurs villes ont été détruites, leurs vies étaient constamment menacées par les attentats aveugles ou ciblés. Plusieurs millions de personnes ont donc dû fuir leurs pays. Le Haut-commissariat pour les réfugiés (Hcr) en recense 3 millions en provenance de la seule Syrie.

Or qui pourrait occulter la responsabilité totale de l’Europe et des États-Unis, en tout premier plan, dans les guerres qui ravagent encore l’Irak, la Syrie, le Soudan, le Yémen et tout le Moyen Orient, jetant leurs peuples sur les chemins de l’exil ? On ne peut plus, comme face aux migrants venus d’Afrique, prétendre qu’il s’agit de gens chassés par la misère dont les gouvernants de leurs pays sont seuls responsables. Il s’agit ici d’une tragédie humanitaire qui est la conséquence directe de l’agression et de la destruction délibérée de l’Afghanistan, de l’Irak puis de la Syrie, de la Libye et aujourd’hui du Yémen par tout l’Occident coalisé. Il s’agit de Droits de l’homme. Du Droit des réfugiés codifié par une convention spécifique des Nations Unies et dont l’Europe est l’un des tous premiers rédacteurs et signataires.

L’Europe est donc aujourd’hui interpellée. Elle doit, au risque de renier ses valeurs de civilisation les plus fondamentales, non pas seulement faire face à ses néo nazis et à ses extrémistes de tous poils mais faire face à ses responsabilités en faisant respecter les droits de ces réfugiés. «Les droits civils universels étaient jusqu’ici étroitement associés à l’Europe et à son territoire. Si elle échoue sur la question des réfugiés, ce lien étroit se briserait et ce ne serait plus l’Europe telle que nous la représentons», fait observer justement Angela Merkel.

Le Haut-commissaire des Nations Unies aux réfugiés, Antonio Guiterres, appelle quant à lui l’Union européenne à faire face : «Nous voulons adresser un message commun à l’Union européenne : cette crise est gérable. On parle de 290 000 personnes qui sont arrivées par la mer en Europe, où résident 508 millions d’habitants. Cela représente un habitant pour 1 000. Au Liban, par exemple, c’est un tiers de la population qui est désormais syrienne ou palestinienne. Alors, comparé à d’autres crises dans le monde, c’est une crise parfaitement gérable, s’il y a coordination, responsabilité, solidarité et répartition équitable entre les pays européens…»

Cependant ainsi que l’a fait observer le Rapporteur spécial de l'Onu sur les Droits de l'homme des migrants, François Crépeau, il s’agit concrètement pour l’Europe, non pas seulement de lutter plus vigoureusement qu’elle ne l’a fait jusqu’à présent contre «le racisme, la xénophobie et les crimes de haine à l'encontre des migrants», mais pour ses dirigeants politiques de faire preuve de «leadership moral et politique» et de définir une politique migratoire «plus humaine, cohérente et exhaustive».

Une telle politique qui répondra aussi bien aux défis posés par les réfugiés que par ceux posés par les migrants économiques permettra d’une part «en coopération avec d'autres pays du Nord, un programme de réinstallation massive destiné aux réfugiés tels que les Syriens et Érythréens afin d'offrir une protection à 1,5 ou 2 millions d'entre eux au cours des cinq prochaines années» et d’autre part «l'ouverture du marché du travail européen, notamment par le bais de visas spécifiques octroyés aux migrants, leur permettrait de venir chercher du travail tout en les incitant à repartir s'ils ne trouvent pas d'emploi…».

Outre la formulation et l’adoption urgente d’une telle politique migratoire à laquelle l’adhésion formelle et solennelle de tous les États du Sud, à travers l’Organisation des Nations unies, ne fait pas doute, l’Europe se doit de reconnaitre que son engagement au nom des droits de l’homme dans la guerre civile en Syrie, contre le régime en place dans ce pays, a été contreproductif.

Elle doit donc mettre fin à son intervention militaire sans condition dans ce pays et œuvrer à sa reconstruction.

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS



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** Alymana Bathily est éditorialiste de Seneplus (www.seneplus.sn)

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