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LMD

Ce livre est une agréable surprise. En voyant qu’il est publié par les éditions « Economia », on se serait attendu à voir l’auteur plonger dans les théories économiques, parler de marine marchande ou, à la limite, de politique. Or, Cheikh Kanté y dévoile plutôt une âme de panafricaniste lucide, dans la lignée des précurseurs Dubois, Padmore, Garvey et Nkrumah à qui il consacre d’ailleurs au moins une dizaine de pages. On s’étonne quand même qu’il n’ait guère parlé de Cheikh Anta Diop. Enfin, le tri est libre.

C’est la libération de l’Afrique qui est au cœur de cet ouvrage dont le titre, « La camisole », est également trompeur, en ce sens qu’il est tout sauf pessimiste. Car, agissant comme dans un long « refutatio », il dit le contraire de ce que suggère la camisole des aliénés, des forçats et autres « personnes dangereuses », et éclaire plutôt sur la vraie situation du sous-développement de l’Afrique enfermée dans des corsets qui se démultiplient à chaque tournant de siècle. Mais c’est juste pour mieux dégager de multiples raisons d’espérer. Et contrairement à bien des discours de nombreux « intellectuels », plus ultranationalistes que simplement patriotes, l’auteur inscrit son message dans une perspective de changement à long terme. Cheikh Kanté, actuel Directeur général du Port autonome de Dakar, se veut ainsi plutôt réaliste, quant au chemin ardu qu’il faudra arpenter pour secouer le joug, voire déchirer la camisole de force dont les pouvoirs dominateurs ont revêtu l’Afrique à chaque étape de son histoire mouvementée. C’est pourquoi, il s’adresse dit-il, « à ses petits-enfants ». On entendra hurler les nombreux « panafricains « immédiatistes » qui citent pourtant le même refrain, « Africa must unite Now ! » de Kwamé Nkrumah.
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DE MULTIPLES RAISONS D’ESPERER

Il y a comme un fil, à la limite romanesque, dans « La camisole », car Cheikh Kanté explore cet enchaînement cruel qui conduit le continent noir de Charybde en Scylla depuis le XVème siècle aux premiers jours de la traite négrière. L’esclavage a vécu, semble-t-il nous dire, débouchant sur la colonisation qui s’est servie à la sueur et au sang noir, alors qu’aujourd’hui, le fardeau de l’endettement qui nous enchaîne et n’est rien d’autre que le prolongement des deux précédentes expériences d’exploitation des Africains par les occidentaux. N’est-ce pas révolutionnaire ? Même si l’auteur qui fait un tour d’horizon dans la veine de « la férocité blanche » de l’avocate colombienne Rosa Amélia Plumelle-Uribé, nourrit en même temps une différence fondamentale -que cette dernière dénonce d’ailleurs-, qui est que Cheikh Kanté se targue des points positifs qu’ont apporté le brassage culturel, l’héritage linguistique, et la possibilité ainsi offerte au continent de contribuer au développement économique universel.

Mieux, ce métis Bambara et Sérère, tel qu’il est présenté, ne maque pas de saluer la contribution remarquable des précurseurs de l’abolition de l’esclavage comme Voltaire, Diderot, Montesquieu et Victor Schœlcher.

CELEBRER NOS HEROS DE LA RESISTANCE

C’est que Cheikh Kanté met au cœur de son analyse, les immenses sacrifices consentis par les abolitionnistes, les résistants africains et les théoriciens de diverses origines, dont l’œuvre remarquable n’a malheureusement pas encore abouti à la libération totale, c’est-à-dire mentale, culturelle, économique.

Ce livre de 140 pages qui se lit comme un roman (ainsi que le suggère le titre), peut être considéré comme un essai venant d’un intellectuel, mais iconoclaste dans le débat panafricaniste. Car certains idéologues de l’unité africaine ne comprendraient pas qu’on puisse remettre à des calendes… pragmatiques l’unification, et réfutent ainsi tant la théorie des cercles concentriques de Senghor, y compris l’évolution actuelle par les cinq régions et la diaspora, que l’intégration version Oua/Ua. De ça, Cheikh Kanté ne parle guère, concentré sur les bons côtés de l’héritage.

Ainsi, tout le monde trouvera le plus grand mérite à l’hommage appuyé fait aux « héros africains », aux précurseurs afro-américains, aux résistants de tous pays, et sans parti pris. L’auteur est en plus, dans cette célébration, lié ni par les oppositions linguistiques, ni par les divisions confessionnelles, encore moins par la balkanisation à laquelle il apporte une lumière toute nouvelle. Est-il dès lors surprenant qu’il s’adresse aux générations futures ? A peine, d’autant que son but est d’armer la jeunesse qu’il appelle à « se battre pour faire émerger une Afrique unie, libre, prospère et définitivement débarrassée des entraves de la camisole de force (…), une Afrique résiliente qui saura puiser dans son histoire la force d’être debout et constructive ».

Dans cet ordre-là : l’unité qui libère d’abord, et la prospérité qui apportera l’autonomie, la véritable indépendance. Un discours autre, bien qu’inscrit dans la continuité de l’idéal panafricaniste.

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** Fara Sambe est journaliste

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