L’ère du président mal élu !
http://www.pambazuka.org/images/articles/537/june_23_d_tmb.jpgSi le projet de loi proposé par Abdoulaye Wade passe, il suffirait de 25% des suffrages exprimés pour devenir président de la République. Dans un pays qui compte 12 millions d’habitants, pour un corps électoral de 4 millions 917 160 électeurs, il suffirait alors de 1 million 229 290 voix pour être élue au premier tour. Pour Alioune Sarr, jamais on n’aurait vu un président aussi mal élu.
http://www.pambazuka.org/images/articles/537/june_23_large_d.jpg« Monsieur le président, je vous avais prévenu. Vous êtes mal élu, vous vous êtes accroché au pouvoir, maintenant tout est gâché » (Chanteur ivoirien).
Avec l’examen et l’adoption, par le Conseil des ministres du 16 juin 2011, du projet de loi constitutionnelle instituant le ticket de l’élection simultanée au suffrage universel du président et du vice-président de la République du Sénégal, se joue au Sénégal, un scénario politique inédit de confiscation et de conservation durable du pouvoir par le Parti démocratique sénégalais. L’exposé des motifs de ce projet de loi cache mal son véritable objectif politique et stratégique : en 2012, faire élire au premier tour le président de la République du Sénégal, par 25 % des suffrages exprimés, pour ensuite transférer le pouvoir à un dauphin choisi.
Dans l’article 2 dudit projet de loi, il est stipulé : «Le président de la République et le vice-président de la République sont élus pour la même durée au suffrage universel direct et au scrutin majoritaire à deux tours, assorti d’un minimum bloquant de 25 % des suffrages exprimés. » Si les électeurs se comportent en 2012 comme lors des dernières élections locales de mars 2009, où 2 millions 109 498 suffrages ont été valablement exprimés, la liste qui arrivera en tête au premier tour avec 527 374 voix, soit 4,39 % de la population sénégalaise, remportera la présidentielle au premier tour ! Manifestement, ce projet de loi est un recul démocratique notoire et un grave affaiblissement de notre système électoral. Quel manque d’ambition pour un pays qui se veut chantre de la démocratie, où son peuple vote quand même depuis 1848 !
Mais encore, le second tour de l’élection présidentielle est supprimé de fait, car il n’est envisagé que dans l’hypothétique cas de figure où, au premier tour, aucune liste ne réunit autour de son programme le quart des suffrages exprimés. Jamais une telle situation ne s’est produite dans l’histoire politique récente du Sénégal : en 2000, le candidat Abdou Diouf avait collecté 41,3 % des suffrages contre 31 % pour Abdoulaye Wade ; en 2007, le candidat Abdoulaye Wade élu au premier tour, avait obtenu 55,86 % contre Idrissa Seck 14,93 % ; les récents sondages sur la présidentielle de 2012 classent les principaux candidats au-delà de ce seuil.
Le plus étonnant, c’est que les concepteurs de ce projet de loi n’ont même pas eu le courage d’assortir le minimum bloquant au quart du corps électoral estimé à ce jour à 4 millions 917 160 électeurs. Cela exigerait à la liste victorieuse 1 million 229 290 voix pour être élue au premier tour. Mais de quoi ont-ils donc eu réellement peur ? Car les architectes de ce projet de loi et leurs défenseurs auront beaucoup de mal à convaincre les Sénégalais sur l’opportunité de cette modification constitutionnelle de faire élire au premier tour le président de la République par 25 % des suffrages exprimés.
A partir d’une simple lecture des évènements, nous sommes fondés à croire que les concepteurs de ce projet de loi sans ambition aucune pour la démocratie sénégalaise, comptent s’appuyer sur les leviers de la puissance publique, sur une multiplicité des candidatures et sur une dispersion des voix pour permettre au candidat du Pds d’arriver en tête au premier tour avec 25 % des suffrages exprimés. Ils sont sans doute convaincus que le candidat Me Abdoulaye Wade n’est plus en mesure de réunir plus de 31 % de l’électorat comme en 2000. Mais, en acceptant, sous la contrainte de ses séides, de dérouler en 2012 un tel scénario de confiscation du pouvoir politique, le candidat sortant Me Abdoulaye Wade est conscient qu’il se sera libéré de toute légitimité morale, livré le Sénégal à la risée du monde démocratique, s’émancipant du coup de toutes les contraintes d’une éthique de la responsabilité théorisée par Max Weber et qui doit animer tout dirigeant politique dans l’appréciation des conséquences parfois dramatiques pour son peuple, des actes qu’il pose.
Car si ce projet de loi est voté et promulgué, les dirigeants issus de ce système électoral déséquilibré manqueraient cruellement de la crédibilité nécessaire, en raison de la faiblesse de leur assise populaire. Les corps constitués de l’Etat ainsi que les forces de sécurité et de défense nationale seraient bien fondés à se demander pourquoi ils devraient obéir à un président de la République élus par 25 % des suffrages exprimés, représentant parfois moins de 5 % de la population sénégalaise. C’est l’ère du président mal élu. C’est aussi l’avènement des leaders politiques régionaux ou communautaristes et des candidatures fantômes.
Le sens des responsabilités doit l’emporter. Il est impératif que tous les démocrates s’accordent sur des principes républicains de respect du suffrage universel et de bonne gouvernance démocratique qui exigent une réelle légitimité populaire, sans laquelle les dirigeants politiques manqueraient fatalement de base politique et sociologique pour mobiliser le peuple vers des destinées meilleures. Mais aussi, il va falloir collectivement fixer des règles et des limites déontologiques communes actées, construites comme une protection de notre pays et comme des remparts contre la perpétuation d’une oligarchie au sommet de l’Etat et surtout contre une monarchisation de la République du Sénégal.
En définitive, ce projet de loi constitutionnelle interpelle tous les démocrates, mais plus particulièrement l’opposition réunie dans Bennoo Siggil Senegaal (ensemble pour relever le Sénégal). C’est un test de sa capacité d’indignation et de résistance face à l’inacceptable dans une démocratie : la remise en cause des règles et principes démocratiques au mépris d’une concertation avec le peuple. L’opposition devra mener simultanément plusieurs combats politiques : s’opposer de manière déterminée et résolue au présent projet de loi constitutionnelle ; en même temps s’organiser et se battre pour gagner l’élection présidentielle et les législatives de 2012. Elle a son destin en main. Son attitude active ou passive dans cette lutte imprimera au Sénégal un mouvement démocratique progressif ou régressif, qui forgera durablement l’avenir politique et institutionnel du pays. Si ses dirigeants ne portent pas cette bataille politique avec ardeur et abnégation, à travers une mobilisation populaire exceptionnelle partout au Sénégal et à l’étranger, alors les mécanismes démocratiques d’une alternance politique crédible s’éloigneront durablement et l’élection présidentielle de 2012 sera une promenade de santé pour le candidat du Parti démocratique sénégalais. Ainsi donc, Me Abdoulaye Wade, président de la République, aura réussi son vœu de maintenir son parti au pouvoir pendant cinquante ans, au grand dam de la démocratie sénégalaise.
* Alioune Sarr est coordonnateur des Cadres de l’Alliance des forces de progrès, un parti d’opposition au Sénégal
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