Comment discuter sans passion de l’homosexualité au Sénégal

En janvier 2009, en pleine vague d’homphobie au Sénégal, neuf hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (MSM, Men having Sex with Men) sont interpellés et jetés en prison. Traduit devant le juge, ils sont condamnés à huit ans de prison. Certains d’entre eux sont des acteurs de la lutte contre le sida menant des activités de sensibilisation et de mobilisation auprès de leurs pairs. Si la communauté internationale s’était emparée de l’affaire pour condamner le Sénégal et exiger une dépénalisation de l’homosexualité, des organisations de la société civile sénégalaise ont aussi joué leur partition. Notamment ceux qui interviennent dans la lutte contre le sida. Leur activisme a participé à la libération de ces MSM, mais pour Innocent Laison, cet épisode doit aussi servir à poser le débat sur l’homosexualité au Sénégal, notamment par rapport à la réponse au VIH et sida.

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Quand vous interrogez la question du VIH au Sénégal vous vous référez d’abord à la prévalence. Vous constaterez que c’est une prévalence très faible au niveau de la population générale. Mais vous allez vous rendre compte que les groupes dits vulnérables, notamment les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (Men having Sex with Men) et les travailleuses du sexe (TS), ont des prévalences très élevées qui dépassent 20%. Ceci est important à relever dans la mesure où cette situation doit dicter notre approche et nos interventions. Ne dit-on pas qu’il faut connaitre son épidémie pour mieux y répondre ? Il me semble donc qu’au Sénégal, si la problématique des groupes vulnérables (MSM et TS) n’est pas au cœur de la réponse, elle devrait susciter des interrogations quant à la cohérence et à l’efficacité de cette réponse.

Maintenant, il demeure que des réalités socioculturelles font que ces groupes sont difficiles à aborder.

(…) Avec les MSM, nous parlons de questions d’orientation sexuelle. De questions d’intimité, certes, mais qui n’engagent pas que la personne seulement. D’une part, les questions liées à la sexualité sont recouvertes du voile de la soutoura (Ndlr : discrétion en langue locale wolof), confinées donc dans le domaine de l’intimité. D’autre part, dans nos sociétés sénégalaises, l’orientation sexuelle d’un individu est souvent considérée comme le produit de son éducation. Les parents se sentent alors responsables.

Or, en considérant l’homosexualité comme une déviation sexuelle, une tare, aucun parent au Sénégal ne serait prêt à imaginer son enfant entretenant des rapports sexuels avec une autre personne du même sexe, encore moins l’accepter. Il y a donc une coercition qui se fait au sein de la famille afin d’étouffer toute affirmation de cette orientation sexuelle. Au-delà de cette cellule familiale, l’environnement immédiat, le quartier, est souvent très hostile à l’expression d’une identité sexuelle considérée comme anormale. Enfin, la législation du Sénégal réprime tout rapport contre nature, et dans ce lot les rapports entre personnes du même sexe. Vous voyez donc la complexité du problème. En tenant compte de tout cela, l’on peut comprendre que les interventions en direction de la cible MSM ne soient aisées.

Mais, cela ne doit pas être une excuse pour ne pas agir. Certaines organisations arrivent à trouver les bonnes stratégies. Il reste qu’il faut continuer le plaidoyer pour améliorer l’environnement juridique et parallèlement faire un travail de sensibilisation auprès des populations. Cela prendra certainement du temps. Mais il est nécessaire d’entamer la discussion de manière rationnelle et sans passion.

Il faut d’abord dire que dans cette affaire, il y a eu beaucoup d’amalgames et de confusion. Le comité de crise qui a été mis sur pied suite à l’arrestation de jeunes homosexuels n’avait pas pour mission de faire la promotion de l’homosexualité au Sénégal, encore moins de la légitimer, comme certains l’ont déclaré dans la presse. Ce comité était composé d’organisations de la société civile, d’agences du système des Nations unies, de représentations diplomatiques, du conseil national de lutte contre le sida, du ministère de la Santé et de la Prévention médicale, qui interviennent dans la réponse nationale au VIH. Il s’agissait simplement, pour ce comité, d’aider à la manifestation de la vérité et de préserver les acquis du Sénégal dans la réponse au VIH. Ces jeunes sont pour la plupart des médiateurs de santé et sont très actifs dans les activités de prévention ciblant les MSM.

La lourde peine qui leur a été infligée en première instance (1), avait suscité l’inquiétude de tous les acteurs soucieux d’apporter une réponse cohérente au VIH au Sénégal, et, bien entendu, l’indignation de quelques partenaires. Appel a été fait de ce jugement et un vice de forme a été relevé qui rendait donc l’acte nul. Beaucoup disent d’ailleurs que ces jeunes ont été dénoncés, mais jusqu’à aujourd’hui nous n’avons pas vu le ou les dénonciateurs. Grâce au travail du comité et à la perspicacité des avocats, ces jeunes qui devaient passer injustement huit années de leur existence en prison ont été libérés.

Par ailleurs, la souveraineté du Sénégal et l’indépendance de la justice sénégalaise ont été préservées. Car les pressions extérieures et les tentatives d’ingérence étaient très fortes. Mais le comité a su les contenir pour permettre aux juges de dire le droit. Toutefois, cette affaire a soulevé des questions liées au respect des droits humains et à la détention arbitraire. Il y a des raisons de s’inquiéter quand il reste possible au Sénégal, sur simple dénonciation, de se voir cueillir par la police, d’être jugé et condamné pour acte contre nature.

Dans le cadre de la réponse au VIH, ces arrestations perturbent, comme nous l’avons vécu, les intervenions en direction des groupes vulnérables. Elles installent la peur chez les membres de ces groupes qui finissent par déserter les services de prévention, de traitement, de soins et de soutien. A terme, cela risque d’annihiler tous les efforts du Sénégal dans la réponse au VIH et de compromettre les bons résultats obtenus. Il est vrai que nous faisons face à une problématique complexe. Mais je retiens de cette affaire que le plaidoyer pour l’amélioration de l’environnement légal et sociétal doit être continu et soutenu auprès du gouvernement et du parlement.

Il y a une nécessité et une urgence d’impliquer et de former davantage les autorités en charge de la Justice et de l’Intérieur sur la problématique des MSM dans le cadre de la réponse au VIH. Enfin, il me semble également important de réveiller la tolérance et la solidarité dans les cœurs et les esprits par une information juste et décente, (…) de mettre en avant les aspects liés au respect et à la protection des droits humains, de réduire la stigmatisation et la discrimination.

Il faudra certainement soulever les contraintes de l’article 319 du Code pénal (sénégalais). Mais, je pense qu’il faut d’abord et surtout informer et informer juste sur l’épidémie au Sénégal. Nous devons travailler à ce que tout le monde comprenne véritablement de quoi il s’agit, les services disponibles et les barrières à leur accès. Nous ne pouvons pas laisser prospérer l’ignorance et l’intolérance. Pour ce faire, nous avons besoin de l’appui des autorités religieuses. Celles-ci doivent être impliquées dans le processus d’information et de communication. Nous devons pouvoir bénéficier de leur capacité de mobilisation et d’éducation des masses.

En réalité, même si les questions légales et juridiques sont réglées, le principal reste les questions sociétales. L’intolérance se manifeste d’abord dans les familles et les quartiers. Ces autorités religieuses qui sont écoutées et respectées peuvent donc contribuer à faire germer la tolérance et la solidarité dans les cœurs et les esprits. Car nous devons bien apprendre à vivre ensemble en acceptant nos différences.

Le Sénégal faisait figure de modèle en matière d’intervention en direction des groupes vulnérables. L’équipe de Enda Santé a été honorée pour la qualité et la pertinence de ses interventions en faveur de ces groupes. Malheureusement, avec les séries d’arrestations enregistrées dernièrement, cette perception s’étiole. Quand nous considérons l’arsenal légal et juridique, l’homosexualité est fortement réprimée en Gambie, au Burkina Faso, au Niger, au Cameroun, au Maroc, en Tunisie, en RD Congo, aux Comores. En Mauritanie et au Nord du Nigeria, c’est la peine de mort qui est réservée aux homosexuels. Je ne retiens que l’Afrique du Sud et la Côte d’Ivoire comme pays africains où l’homosexualité est admise.

(...) En plus de la nécessité d’un plaidoyer continu et d’une meilleure implication des autorités religieuses pour l’amélioration de l’environnement légal et sociétal, je pense que les organisations de la société civile intervenant sur les questions de défense des droits humains et celles intervenant dans la réponse au VIH doivent s’entendre autour d’une stratégie commune pour réduire, voire supprimer, les différentes formes de violation des droits humains dans le cadre de la réponse nationale. Dans un autre registre, les organisations communautaires doivent documenter leurs interventions en direction des groupes vulnérables et informer les populations sur la pertinence de celles-ci dans le domaine de la santé publique.

* Innocent Laison est Senior Programs Manager du Conseil africain des ONG d’action contre le sida (Africaso) - Ce texte a été publié sous forme d'entretien par le bulletin de liaison de l'Alliance nationale du lutte contre le sida au Sénégal

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