Crise financière actuelle et crise des banques dans l’UMOA des années 80 : Deux poids deux mesures

Au début des années 1980, le système financier des pays de l’UMOA, en Afrique de l’Ouest, plonge dans une crise grave. Pour les institutions financières internationales et les «partenaires au développement», une solution radicale s’impose. Suivant l’orthodoxie libérale, la politique d’assainissement conduit à des liquidation de banques, à des gels d’avoirs, etc. Vingt-cinq après, la crise financière actuel prend les mêmes contours. En réaction, note Diagna Ndiaye ce qui se passe actuellement aux Etats Unis et en Europe est loin de toute orthodoxie et dépasse l’imagination. Au nom du dogme libéral, nos partenaires ne l’avaient jamais (ne l’auraient) jamais accepté pour nos Etats et nos Banques Centrales. Sinon, que de banques auraient pu être sauvées et de dépôts remboursés lors de la crise des années 1980 !

Il convient de se souvenir d’abord que la crise du système bancaire intervenue dans les années 80 dans la zone UMOA (Union Monétaire Ouest Africaine) avait essentiellement été imputée à une politique de crédit laxiste sans rapport avec les ressources disponibles. Cette politique qui avait généré une importante accumulation de créances gelées, avait, en définitive, conduit à une crise financière généralisée de liquidités et de solvabilité des banques de la zone. Nos Etats étaient alors pointés du doigt en raison de leur forte implication dans la gestion des institutions bancaires.

La politique monétaire de la BCEAO fondée sur des règles dites « administratives » ou dirigistes n’avait pas été, non plus, épargnée.

Une politique de redressement du système bancaire avait été alors courageusement mise en œuvre par nos Etats avec l’appui des partenaires au développement. Sous l’inspiration de ces derniers, l’orientation générale retenue consistait à restaurer le marché et ses vertus. Ainsi diverses mesures furent mises en œuvre dont les plus importantes étaient les suivantes :

- Retrait d’agrément et liquidation des banques en difficulté : à l’échelle de l’Union, cette mesure a concerné au moins une vingtaine de banques. L’actif et le passif des établissements dissous ont été transférés à des sociétés de recouvrement créées pour la circonstance avec l’objectif de recouvrer les créances gelées et de réaliser les actifs afin de rembourser progressivement les dépôts gelés de la clientèle. Ces sociétés de recouvrement sont encore en activité ;

- Consolidation sur une durée de 15 ans à la charge des Etats, des concours monétaires de la BCEAO portés sur les établissements liquidés ;

- Dans les rares cas où une réhabilitation individuelle de banque était possible, l’effort de redressement avait été mis à la charge des actionnaires avec, le cas échéant, le soutien des Etats à travers une titrisation partielle des créances gelées.

Pour accompagner la restructuration des banques ainsi engagées et favoriser une relance optimale de l’activité bancaire, les partenaires au développement avaient recommandé plusieurs mesures d’accompagnement dont les plus importantes concernaient le désengagement des Etats du capital des banques, la libéralisation du cadre d’exercice de l’activité bancaire, la mise en œuvre de nouvelles normes comptables, l’institution de fonds d’assurances dépôts, l’amélioration de l’environnement des affaires et la promotion d’un marché financier régional.

L’objectif déclaré était de hisser les banques de la zone au niveau des meilleures pratiques internationales fondées sur les règles du marché. Le désengagement des Etats du capital des établissements financiers devait favoriser une gestion privée et plus saine des banques. Avec la libéralisation de la politique monétaire, les règles administratives étaient abandonnées au profit des mécanismes de marché, notamment l’utilisation des instruments indirects de régulation de la liquidité pour conforter la stabilité monétaire et contribuer au financement non inflationniste de la croissance tels que les taux directeurs, les opérations d’open market et le dispositif de réserves obligatoires.

La politique de crédit des banques n’était désormais plus soumise à aucune orientation particulière de la Banque Centrale. Les conditions des banques appliquées à leur clientèle étaient libéralisées et seules les règles de concurrence entre banques devraient jouer.

Aujourd’hui une crise financière internationale s’est installée. Point n’est besoin de s’attarder sur ses origines. Pour résumer, il s’agit d’une crise systémique, une crise de confiance partie des Etats Unis. Prises par le vertige d’une innovation financière assise sur un processus de titrisation de plus en plus complexe, les banques ont investi fortement sur des crédits risqués dits « subprimes », issus de la titrisation des prêts consentis aux agents économiques américains présentant un historique de crédit détérioré ou une faible solvabilité.. Cette situation, favorisée par une absence de réglementation et les faiblesses de agences de notation a conduit à une prise de risques inconsidérés. Aussi, dès qu’il est apparu que la qualité des crédits primaires titrisés était fortement dépréciée, pour ne pas dire sans valeur, la panique s’est emparée du système, la crise de confiance s’est installée et a gagné les banques qui dès lors refusent de se faire des prêts entre elles.

Depuis le déclenchement de la crise aux USA en août 2007, les mesures mises en œuvre par les Banques Centrales à travers les injections de liquidité sur le marché monétaire et les réductions successives de taux directeurs n’ont pas convaincu les marchés, qui n’ont cessé de se replier.

Des faillites ont commencé à être enregistrées, la crise est propagée outre-Atlantique. Sur toutes les places boursières, les indices n’ont cessé de chuter. Pour l’instant, la mise en œuvre du plan Paulson concomitamment avec l’initiative européenne a permis de maîtriser l’incendie.

Face à cette panique générale, les Etats ont désormais pris la résolution de se mettre en première ligne. Que penser de tout ceci ?

A vrai dire une impression générale s’impose : surprises et comme prises dans la tourmente, les autorités politiques et monétaires de l’Occident manifestent un instinct de conservation. Toutes les solutions semblent être portées par la puissance publique et les Banques Centrales. Quel paradoxe pour nos pays où l’engagement des Etats dans les établissements de crédits a été expressément limité à 25% !

Aux Etats Unis, après plusieurs initiatives engagées sans succès, l’intensification de la crise financière vient de conduire le Congrès à adopter le Plan Paulson, un plan de stabilisation économique d’urgence consistant à créer une structure publique chargée de racheter à hauteur de 700 milliards de dollars les actifs toxiques liés aux prêts hypothécaires détenus par les banques et autres institutions financières américaines. Au Benelux, les Etats volent au secours de Fortis. Au Royaume-Uni, un plan de sauvetage du système bancaire vient d’être annoncé. En Allemagne, la Banque Hypo Real Estate vient d’être renflouée. En France, le gouvernement prend l’engagement de garantir la continuité de l’activité bancaire et la création d’une structure de prise de participation de l’Etat dans les banques vient d’être annoncée. Par ailleurs, pour soutenir l’activité des PME, le gouvernement français a décidé d’instituer un fonds de plus de 20 milliards d’euros.

Partout, la volonté de l’Etat est la même. La puissance publique, entièrement solvable par définition, apporte sa garantie au sauvetage des banques. En Europe une garantie de dépôts harmonisée à 50.000 euros est instaurée pour rassurer les déposants. Dans nos pays, la solution préconisée par ces mêmes partenaires avait consisté en la création de sociétés de recouvrement dont les performances sont apparues fort modestes. En d’autres termes, la plupart des déposants de nos anciennes banques dissoutes attendent encore d’être remboursés.

Et comme si cela ne suffisait pas, certaines règles de bonne gestion indispensables pour la gestion de la monnaie commune, l’Euro en l’occurrence, feront l’objet d’aménagements temporaires, en particulier en ce qui concerne la concurrence, le pacte de stabilité et croissance ainsi que les critères de convergence, pour justifier les aides publiques apportées aux Banques et permettre au déficit public d’excéder le seuil de 3%.

Au plan comptable, alors que depuis ces dernières années de fortes pressions sont exercées sur nos entreprises et nos banques pour la mise aux normes IFRS, voilà que l’Europe envisage d’en revenir !

A l’instar des Etats, les Banques Centrales des pays développés se sont inscrites dans la même logique de sauvetage. En effet, confinées au départ dans leur position traditionnelle de prêteur en dernier ressort, elles ont semblé progressivement être emportées par la tourmente. Le cas de la FED est particulièrement révélateur à cet égard. Après avoir procédé à des baisses successives de son taux objectif des FED funds à partir du mois de septembre 2007, pour le ramener à fin avril 2008 jusqu’à 2%, la FED, face à la persistance des tensions sur les marchés financiers, a mis en place, à partir du mois de décembre 2007, un guichet temporaire de refinancement dénommé « Term Auction Facility », destiné aux banques de dépôt et à accroître les injections de liquidité en dollars US et à mettre fin aux tensions sur le marché interbancaire aux Etats-Unis et à l’extérieur.

A cet égard, des sommes ont été dégagées sur le guichet du « TAF » pour satisfaire les besoins en dollars US des banques établies en dehors des Etats-Unis. Ainsi, des lignes de swap de devises ont été octroyées à la Banque Centrale Européenne et la Banque Nationale Suisse contre euro et franc suisse, sous la forme de lignes de refinancement.

Pis, la FED a créé deux guichets de refinancement additionnels, le Term Securites Lending Facility et le Primary Dealer Credit Facility, destinés d’une part, aux banques pour leur permettre d’échanger, contre des obligations d’Etat, des titres de « rating » triple A, devenus peu liquides, en particulier les titres des agences gouvernementales ou issus de titrisations hypothécaires (residential mortgage backed securities) et d’autre part, aux spécialistes en Valeurs du Trésor, pour le refinancement d’une gamme plus étendue de collatéraux dont les obligations municipales, les actifs « corporate » ainsi que les Asset Backed Securities. Par ailleurs, la FED a rallongé les maturités des facilités d’emprunt, en particulier sur le guichet de l’escompte (d’un jour à 30 jours au mois d’août 2007, puis de 30 jours à 90 jours depuis le 16 mars 2008).

Toutefois, les initiatives les plus spectaculaires de la FED, qui semblent être prises loin de toute orthodoxie pour une Banque Centrale, résident cependant dans son implication dans le rachat de Merrill Lynch par Bank of America, l’ouverture d’une ligne de crédit de 30 milliards de dollars US à JP Morgan pour le rachat de la banque d’affaires Bears Stearns, l’aide d’urgence de 85 milliards de dollars octroyée au premier assureur mondial AIG, la mise sous tutelle des banques d’investissement Morgan Stanley et Goldman Sachs et, plus récemment, sa décision de racheter des billets de trésorerie c’est-à-dire de financer directement l’économie en lieu et place des banques commerciales.

Parallélement, l’Etat américain s’est illustré par la mise sous tutelle publique des deux agences de refinancement hypothécaire, Fannie Mae et Freddie Mac. Ces deux sociétés privées, bénéficiant de la garantie implicite de l’Etat, étaient des acteurs clés du marché immobilier et ont largement contribué à son essor. Elles détiennent 45% de l’encours total de créances hypothécaires, soit 5.300 milliards de dollars.

Comme on peut le constater, pour un observateur averti de la restructuration du système bancaire de l’UMOA, ce qui se passe actuellement aux Etats Unis et en Europe est loin de toute orthodoxie et dépasse l’imagination. Au nom du dogme libéral, nos partenaires ne l’auraient jamais accepté pour nos Etats et nos Banques Centrales. Que de banques auraient pu être sauvées et de dépôts remboursés ! Mais hélas, la main invisible est défaillante et il n’y a plus de principe : la fin justifie les moyens. A vrai dire, l’on ne peut manquer de ressentir une certaine amertume et de se dire : deux poids, deux mesures.

Après le diagnostic, quelle thérapie pour l’avenir ? Comment conjurer pour les temps qui viennent les conséquences dramatiques de ce qui apparaît en vérité comme une triple crise, financière bien sûr mais surtout économique et sociale, avec des effets cumulatifs dans le quotidien des gens ? Il me parait urgent que soient repensés les fondements, j’allais dire, les fondamentaux du libéralisme économique. Par son ampleur et sa soudaineté, cette crise vient à rebours de la thèse de Fukuyama sur la fin de l’histoire et de l’idée que le marché allait supplanter l’Etat dans les mécanismes de l’économie moderne.

Voilà que le dogme sur la nécessité du dépérissement salutaire de l’Etat vole en éclat. Il faut en tirer les leçons. Le sauvetage de l’économie mondiale consacre paradoxalement le retour de l’Etat comme instrument indispensable de solution et de régulation. Lorsque certaines frontières sont franchies, l’économie se venge.

Il n’y a pas de rupture en économie. Tout repose sur des lignes d’équilibre sans lesquelles, il n’y a pas d’issue raisonnable. Il en est de l’économie comme de la vie. Ni certitudes closes, ni illusions de réconfort. Pour durer il faut se prémunir de ces pièges. La seule vérité susceptible de trouver grâce aux yeux de ceux qui ont en charge le destin des peuples tient en trois mots : ni dépendance idéologique, ni culte de l’Etat, mais vision pragmatique de l’économie.

* Diagna Ndiaye est financier, administrateur de banque

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