Tchad-Cameroun : Un échec, mais le pétrole continue de couler
Le 12 juin 2004, l’oléoduc Tchad-Cameroun est inauguré par les présidents Paul Biya et Idriss Deby du Tchad. Pour la Banque Mondiale qui soutient le projet et pour les multinationales Exxon Mobil, Chevron et Petronas qui assurent l’exploitation, il s’agit d’un modèle en matière de développement. Le pétrole devait enrichir le Tchad et contribuer directement à la réduction de la pauvreté. Mais l’échec prédit par les mouvements sociaux est aujourd’hui patent. Un an après que la Banque mondiale s’est retirée, le 9 septembre 2008, Nicholas Jackson jette un regard sur les causes d’une telle faillite.
Je me souviens avec acuité du fonctionnaire de douane blanc américain qui, en 1990, à l’aéroport de Dallas, me demandait si j’étais Nigérian et si je transportais des drogues dans ma valise. Pour lui, les Africains se ressemblaient tous et la nationalité n’avait pas d’importance. Pour moi, ceci renforçait l’idée que tous les Africains étaient susceptibles d’être soumis aux préjugés, au racisme et à la suspicion de la part d’une certaine partie de l’administration américaine. Sans considération pour la classe sociale, l’âge, le genre. La singularisation raciale existait longtemps avant le 11 Septembre et maintenant, avec l’arrestation d’Umar Farouk Abdulmulltallab, qui a tenté de se mettre le feu à bord du Vol 253 à Détroit, le 25 décembre 2009, les conséquences pour les Africains et le continent africain deviennent plus graves.
Jusque là, le visage du terroriste était arabe, puis asiatique (particulièrement au Royaume Uni où quelques musulmans britanniques ont été impliqués dans des incidents terroristes), maintenant il est aussi nigérian. Et pour beaucoup d’Européens et d’Américains qui tendent à voir l’Afrique comme un pays, ‘’Nigérian’’ signifie sans distinction ‘’Africain’’.
Deuxièmement, depuis cet incident effrayant, des mesures rapides ont été prises dans les capitales occidentales, en particulier au Royaume Uni et aux Etats-Unis. Selon le journal britannique, ‘’ The Guardian’’, les Etats-Unis ont annoncé que les passagers, provenant de 14 pays musulmans soupçonnés d’avoir des liens avec le terrorisme, vont être confrontés à des contrôles de sécurité additionnels. Naturellement la liste inclus le Nigeria, mais aussi le Yémen, l’Algérie, l’Irak, le Liban, la Libye, le Pakistan, l’Arabie saoudite et la Somalie (1) De surcroît, il y a des discussions sur l’usage du scanner corporel- qui selon certains est une atteinte à la sphère privée et une violation de la dignité humaine. Tout ceci dans un effort de contrer le terrorisme et de garantir la sécurité Mais sécurité pour qui ?
Troisièmement, la grande fureur générée par l’acte d’Abdulmulltallab va justifier encore d’avantage l’engagement de l’administration d’Obama pour le renforcement de l’AFRICOM qui représente une escalade du rôle militaire dans la guerre contre le terrorisme global. Silencieusement, les gouvernements du Cameroun, du Tchad, de la République démocratique du Congo, de Djibouti, du Kenya, du Maroc, de la Libye et de l’Afrique du Sud ont- tout en refusant de recevoir le QG d’AFRICOM sur leur territoire- tous participé au Trans Sahara Counter Terrositm Partnership. (Partenariat transsaharien de lutte contre le terrorisme). De tels pays continueront de recevoir des millions de dollars en aide militaire et plus encore à la lumière de cet incident. Par conséquent, la résistance à l’AFRICOM doit être accrue.
Quatrièmement, le Nigeria, en sa qualité de pays le plus peuplé d’Afrique, doit nier être le berceau du fanatisme et ce, bien que ses dirigeants n’aient pas le courage de dire la vérité- soit à huis clos soit publiquement- aux Américains concernant les vraies causes du terrorisme. Bien que beaucoup ait été dit sur la radicalisation d’Abdulmulltallab lors de son séjour à Londres, personne n’est né terroriste ; on le devient de par des circonstances politiques, économiques et sociales, dans un monde déconnecté et plein de contradictions. Qui va dire la vérité ? Qui va dire à l’administration Obama que la guerre contre le terrorisme ne peut être gagnée ni en augmentant la sécurité militaire/industrielle ni par le renseignement policier américain et les agences de ces pays dit être des foyers de terroristes ? Qui dira au Premier Ministre Gordon Brown que la conférence proposée sur le Yémen le 28 janvier, pour décider du sort de ce pays, est, selon le propos pertinent de Rami G. Khouri, similaire à « Tiger Wood qui offre des cours sur la fidélité dans le mariage» ? (2) Les racines historiques des troubles du Yémen, souligne Khouri, sont à mettre au compte de la Grande-Bretagne qui a imposé des frontières artificielles génératrices de l’instabilité du Yémen, en même temps qu’elle a porté des dirigeants locaux au pouvoir.
Au lendemain du 11 Septembre, les Américains ont demandé ‘’Pourquoi nous détestent-ils ?’’. A quoi Georges W. Bush Junior a répondu ‘’ils détestent nos libertés’’. Ces interprétations simplistes continuent d’induire les Américains en erreur et à égarer l’administration américaine dans sa quête d’une solution au terrorisme global. Les causes essentielles du terrorisme n’ont pas disparu. Les causes résident dans le fait que le conflit israélo-palestinien continue ; Israël continue d’occuper la Palestine, à construire des maisons sur des terres palestiniennes, ignore les Résolutions du Conseil de Sécurité ; les Etats-Unis continuent d’occuper l’Irak et l’Afghanistan ; les Etats-Unis continuent de soutenir discrètement les gouvernements corrompus et non démocratiques du monde, y compris dans le monde arabe (par exemple l’Egypte et l’Arabie saoudite, dont les dirigeants se sont agrippés aux rênes du pouvoir cependant que l’administration américaine, y compris Obama, qui a visité l’Egypte au début de son mandat, prétendait ne rien voir). Les Etats-Unis continuent de maintenir quelque 600 bases militaires de par le monde, y compris dans le monde arabe, ce qui scandalise l’Arabe de la rue et plus particulièrement les jihadistes musulmans. Ces bases militaires existent afin de garder à l’Amérique son statut de super puissance, sa mainmise sur les réserves de pétrole du Moyen Orient et d’assurer sa domination du monde.
L’ancien chef du renseignement militaire israélien, Yehoshaphat Harkabi a fait un commentaire crucial qui continue d’être valide. Il a dit :’’ Offrir une solution honorable aux Palestiniens qui respectent leurs droits à l’autodétermination : voilà la solution aux problèmes du terrorisme. Lorsque le marécage disparaît, les moustiques disparaissent aussi.’’ (3) Le problème c’est que la réaction des Etats-Unis, aussi bien que de la Grande Bretagne (et d’autres nations occidentales) c’est de créer davantage de marécages et donc davantage de moustiques. Plus les Américains et l’OTAN envoient de troupes au Yémen et en Afghanistan, plus ils contribuent à produire des moustiques et à faire le jeu de Al Qaeda.
Nous ne connaissons pas les raisons qui ont fait que le jeune Abdulmulltallab, âgé de 23 ans et qui a profité d’une bonne instruction, a pu être persuadé par les Yéménites à commettre un tel acte. Il provient de la petite ville de Funtua à Katsina, qui est aussi la ville du grand panafricaniste Dr Tajudeen Abdul Raheem. Mais là s’arrête leur point commun. Etait-ce parce qu’en dépit du fait qu’il ait grandi dans des conditions privilégiées, il considérait les disparités et les inégalités qui affligent le monde insupportables ? Ou le fait que la mort d’Irakiens, d’Afghans, de Congolais ou de toutes autres personnes non blanches soit considérée comme de moindre importance par rapport à la mort d’un Européens ou d’un Américain du Nord ? Ou par le pur endoctrinement par des fondamentalistes musulmans qui ont alimenté sa frustration et son amertume et ont produit l’état d’esprit requis qui a mené à la décision de perpétrer un tel acte ?
On ne peut que spéculer. Et pourtant rien ne peut justifier un acte aussi haineux. Dans l’intervalle, nous devons nous demander si la précipitation des gouvernements britannique et américain pour renforcer la formation militaire et le renseignement du gouvernement yéménite - est la seule réponse à apporter au problème. Ces fonds ne seraient-ils pas plus judicieusement utilisés dans la création d’emplois, la santé et l’instruction des plus pauvres dans le monde arabe où il y a quatre armes à feu pour chaque personne des estimés 23 millions de personnes ? (4)
Le sénateur Joe Liebermann, qui préside le comité du Sénat sur la sécurité intérieure, a récemment endossé le point de vue d’un fonctionnaire américain à Sanaa, la capitale du Yémen. Ce fonctionnaire a dit à Liebermann que ‘’ L’Irak était la guerre de hier, l’Afghanistan est la guerre d’aujourd’hui et le Yémen est la guerre de demain à moins d’anticiper et de prendre d’ores et déjà des mesures’’. (5) Le degré de pression accrue que l’administration d’Obama va exercer sur le Yémen reste encore peu clair, mais il est certain qu’il y aura une augmentation de l’intervention. Et pourtant, une telle augmentation dans les interventions risque fort de déstabiliser toute la région, de la même façon que les interventions américaines en Irak et en Afghanistan ont déstabilisé la région. De surcroît, cette fois, le danger d’une intervention prospective dans la guerre contre le terrorisme sera probablement centré sur la base militaire américaine de Djibouti, là où les Etats-Unis maintiennent une force estimée à 2 000 hommes, basés au Camp Lemonier qui abrite le Combined Joint Task Force de la Corne de l’Afrique.
Pour compliquer encore un peu ce tableau géostratégique et politique déjà complexe, il est estimé qu’environ 200 000 réfugiés somaliens se trouvent au Yémen en raison de la situation prévalant en Somalie. Il a été dit que certains de ces réfugiés ont rejoint Al Qaeda. Dans l’intervalle, les islamistes Al Shabaab de Somalie sont en contact avec les opérations de Al Qaeda au Yémen. Il faut garder un œil attentif sur l’approche discrète de l’administration Obama tout autant que sur l’impact négatif de l’internationalisation des multiples conflits du Yémen ; il n’est pas impossible que cette affaire entraîne l’Afrique - et plus précisément la Corne de l’Afrique qui est d’une importance géostratégique capitale - dans le prochain bourbier. Ou, pire, dans un scénario de poudrière. En définitive, sur un moyen long terme, nous devons drainer le marécage et les moustiques disparaîtront
* Dr Ama Biney est un panafricaniste et un militant qui vit au Royaume Uni – Ce texte a été traduit par Elisabeth Nyffenegger.
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