Sénégal : Eviter le chaos par la solution de l’évitement du pire
En une semaine, suite à la validation de la candidature du président pour un troisième mandat, le Sénégal a versé dans une violence qu’elle n’a jamais connue. Ailleurs de tels germes de violence ont conduit au pire, dans une escalade difficile, voire impossible à maîtriser. Reste à savoir comme ce pays peut éviter une telle dérive.
Le Sénégal et nous-mêmes sommes sur une pente savonneuse ou même fatale. Nous évoluons dangereusement et inconsciemment vers une culture de la violence. Il semble révolu ce temps où des actes terrifiants tels que le meurtre, le viol, la destruction massive de biens publics étaient unanimement et sévèrement condamnés. En témoignent les violences qui ont suivi chacune des manifestations qui ont eu lieu, dernièrement, à Dakar et dans les régions de l’intérieur. A l’instant où j’écris ces mots le bilan provisoire des manifestations qui ont suivi la validation de la candidature du président Wade à l’élection présidentielel est de quatre morts et un nombre indéterminé de blessés.
Nous adoptons aujourd’hui une méthode tragique : la violence. C’est bien du Sénégal que je parle, le pays de la « Teranga » (Ndlr : hospitalité, en langue locale wolof), voué aux valeurs de paix, de démocratie, de respect de soi-même et des autres, de fierté et de foi. Ce Sénégal conçu dans la liberté et l’espoir glisse aujourd’hui gravement vers une guerre qui est plus que probable. La guerre ? S’étonneront certains. C’est justement ce doute, signe d’un manque grave de prise de conscience par rapport à la montée et à l’évolution de la violence, qui risque de rendre fatal et irrévocable le glissement de notre pays vers la guerre. Prévenir vaut mieux que guérir et les conflits politiques qui s’engrainent dans le pays sont les tristes préludes d’une possible guerre civile si des mesures d’urgences ne sont pas prises pour l’éviter.
Nul n’ignore que la guerre civile en Côte d’Ivoire a eu lieu à cause de la lenteur des autorités et du peuple à prendre les décisions adéquates, mais aussi à cause de la banalisation des cas de violences dispersés et répétitifs dans le pays. Nous ne voulons pas de la guerre et nous ne voulons plus de cette violence qui s’est installée dans le pays. Nous ne voulons plus de cette tension et insécurité politique qui empêchent tout un peuple, le peuple sénégalais, de continuer à œuvrer pour le développement humain et national.
Je m’adresse donc aux « bellicistes » et aux apologistes de la guerre et de la violence. Le recours à la guerre ou la violence pour résoudre un conflit politique est plus que lamentable, c’est tragique. Car il n’y a rien au monde qui pourrait sanctifier la violence. Elle est une activité destructrice et abjecte, elle abêtit les humains et les rend barbares. Même les guerres que l’histoire a qualifiées de permissibles et de justifiables, comme la guerre contre Hitler, demeurent dans leurs essences moralement et éternellement condamnables. Il faut ajouter qu’il est impossible de peser les maux d’une guerre. Car elle dure dans le temps. La fin de la violence physique ne représente pas la fin d’une guerre. Cette violence se mue toujours en une violence symbolique et psychologique. Encore aujourd’hui les bombardements d’Hiroshima font des victimes.
Considérez tous ces pays en voie de développement qui se sont aventurés dans des guerres. Malgré l’aide internationale ils ont du mal à se relever car lourd est le poids de la famine et des maladies endémiques et mortelles qui sévissent. Les orphelins courent les rues et l’insécurité sociale se négocie encore. C’est dire que l’insécurité qui précède une guerre est assimilable à celle qui la succède.
En effet, c’est dans l’après guerre ou après les actes de violences intenses et répétitifs que l’on se rend compte de la véracité de cette phrase de Freud : «Rien dans la vie psychique ne peut se perdre ». La personne qui a subi une violence grave est condamnée à la revivre éternellement sous forme de représentations psychiques, sinon elle développe des pathologies telles que des crises de panique, une méfiance pathologique, une désocialisation, des dépressions, et la liste est loin d’être exhaustive. Aujourd’hui, des femmes et des hommes préfèrent mettre fin à leur vie car ne voulant plus revivre le retour éternel des horreurs (tortures, viols) qu’ils ont subies. Bref, la guerre laisse toujours derrière un peuple « malade ».
Quelque soient donc les motifs et le but d’une guerre ou d’un acte de violence grave, aussi noble que ceux-ci puissent être, l’essence de la guerre, comme celle de la violence, demeurent immuables et identiques. Même si la cause d’une guerre est juste il est paradoxal et scandaleux de transférer le prédicat de la cause à la guerre. Car, que la cause soit juste n’est pas une raison suffisante pour parler d’une guerre juste ou justifiée. Il n’y a pas de guerre juste ou injuste : il n’y a que la guerre. Car toutes les activités de la guerre participent à une même essence : le mal.
D’ailleurs, avons-nous les moyens d’une guerre ? Avons-nous même les moyens de reconstruire les édifices saccagés et brûlés ? Nombreux sont les Sénégalais qui vivent en dessous du seuil de pauvreté et nombreux ils sont à supporter encore, quotidiennement, les misères du sous-développement. D’après le Document de stratégie pour la croissance et la réduction de la pauvreté au Sénégal (DSRP), l’approche subjective, au niveau des ménages, démontre que 65% des ménages se déclarent pauvres et 23% se disent même très pauvres. Le Sénégal est sur une bonne lancée mais nous avons encore un long chemin à faire. Et ce serait dommage que nous freinions notre propre développement en semant, de nos propres mains, des embuches sur ce chemin. C’est dire que la part de destruction et de régression causée par les violences et les conflits politiques dépassera toujours le bilan positif qu’on pourrait en tirer. Par conséquent, n’est-il pas pressant et nécessaire de dépasser ces passions partisanes qui nous détournent de la vraie lutte, à savoir la lutte contre la pauvreté, la misère et la décadence de nos valeurs éthiques ?
Mais voici la vraie question: Aurons-nous jamais les moyens de redonner une nouvelle vie à Fodé Ndiaye, à Mouhammad Diop, à Mamadou Sy, à Mbanda Ndiaye (Ndlr : décédés durant les récentes manifestations contre la candidature de Wade) ? Qu’en est-il des futures pertes humaines que nous risquons si nous ne trouvons pas rapidement une solution diplomatique à notre conflit ?
Il résulte de ce qui précède que nous sommes aujourd’hui confrontés à une « Urgence suprême ». Car un danger «imminent » guette notre pays. Ce danger ou ce mal est « exceptionnel » et « terrifiant ». C’est une guerre civile ou une violence endémique et paralysante qui finira par déstabiliser totalement l’Etat et la société sénégalaise. A la base de ce danger se trouve un dilemme qui semble, à première vue, insoluble. D’une part, on crie au scandale face à la décision du conseil Constitutionnel qui valide la candidature du président sortant, Me Abdoulaye Wade. D’autre part, on se réjouit de la validation de cette candidature. Le président sénégalais a pris la ferme décision d’aller à la présidentielle du 26 février 2012. L’opposition a pris la ferme décision de l’en empêcher. D’où la violence et la menace d’une guerre.
Si tel est le cas, ne devons-nous pas quitter ces deux positions extrêmes pour chercher un juste milieu ? Renoncer aux solutions idéales afin d’adopter une solution qui serait certes la solution de la peur et de l’évitement, mais qui serait toutefois une solution efficace ? Autrement dit, il s’agira d’une solution qui, au lieu de chercher l’idéal, chercherait plutôt à éviter le pire. Car tout moyen qui permettrait d’éviter de verser le sang des sénégalais et de ralentir notre économie devrait être étudié.
Après une longue réflexion conjecturale, il semble que la solution de la peur et du juste milieu soit de laisser au peuple le soin de valider ou de ne pas valider la candidature de Me Wade, par voie de référendum. Il s’agirait donc d’une procédure référendaire par laquelle l’ensemble des citoyens sénégalais s’exprimerait sur ladite candidature. Cette procédure ne sera pas couplée avec l’élection présidentielle par souci de simplicité et de transparence. Une telle procédure devrait être légitime, vue la gravité de la situation dans laquelle notre pays se trouve aujourd’hui. Pour reprendre les mots d’un grand politique, homme de paix et sage, Abraham Lincoln : « Des mesures non constitutionnelles peuvent devenir légitimes quand elles sont indispensables », et ajoutons qu’ « un bulletin de vote est plus fort qu’une balle de fusil ».
Certes, le Sénégal n’a connu jusque là que trois referendums et ceux-ci portaient sur des questions bien différentes. En effet, celui de 2001, comme ceux de 1963 et de 1970 ont tous porté sur des questions de réformes constitutionnelles. Ce serait donc une première que de laisser le peuple sénégalais décider par la voie du référendum sur cette question de candidature. Cette Solution d’Evitement du Pire (SEP) est encore plus pertinente quand on sait qu’elle ne va pas à l’encontre de la logique générale de notre Constitution. Elle ne dérive pas directement d’une loi constitutionnelle mais elle ne heurte pas non plus les principes de base de la Constitution. D’ailleurs, en tant que choix exceptionnel qui répond à une situation d’Urgence Suprême, la Solution d’Evitement du Pire (SEP) s’allie avec l’article 3 du Titre premier de notre Constitution qui établit que « la souveraineté nationale appartient au peuple sénégalais qui l'exerce par ses représentants ou par la voie du référendum. Aucune section du peuple, ni aucun individu, ne peut s'attribuer l'exercice de la souveraineté. Le suffrage peut être direct ou indirect ».
Peut-être même qu’une analyse plus fine des lois constitutionnelles pourrait apporter plus de poids et de légitimité à cette solution référendaire. Quoiqu’il en soit, seul son caractère indispensable et réaliste devrait suffire pour la rendre légitime et désirable. Nous ne pouvons qu’espérer que les autorités politiques ainsi que l’ensemble du peuple prennent conscience de la menace de guerre qui plane sur nos têtes mais aussi de la tension sociale, économique et politique invivable et destructrice à laquelle le pays succombe et depuis trop longtemps. Tels les chevaliers de la table ronde, il est donc temps que nos autorités politiques se retrouvent tous autour d’une table, déterminés à trouver une solution à travers un dialogue réfléchi. Et qu’ils n’oublient surtout pas que « si tous ne s’associent pas pour sauver le bon vieux navire (…) durant son actuelle traversée, personne n’aura l’occasion de le piloter pour un autre voyage » (Lincoln).
Enfin, ces mots ne sont nullement des vérités absolues. Mais ils découlent de la réflexion conjecturale d’une raison inquiète et d’un cœur qui pleure devant l’effritement de sa patrie. Peut-être que la solution n’est pas dans le juste milieu ou dans l’évitement du Pire (SEP). Si tel est le cas, que les muses soient avec celles et ceux qui trouveront la Solution et surtout qu’elles et qu’ils ne s’attardent pas trop sur le chemin de cette quête.
Que la Raison soit avec Nous
* Khalia Haydara est titulaire d’un doctorat en Philosophie et une maîtrise en Sciences politiques
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