Rd Congo : Une guerre attisée par les intérêts capitalistes de la mondialisation

En août dernier, la guerre a de nouveau éclaté en République démocratique du Congo. Aujourd’hui, on en est à quelque 250 000 déplacés dans l’Est du pays. Après un bref cessez-le-feu décrété par les rebelles de Laurent Nkunda, les combats ont repris le 4 novembre. Depuis le génocide au Rwanda en 1994, et la guerre qui a ensuite déstabilisé la Rd Congo de 1996 à 2002, ce pays reste dans une tourmente perpétuelle. Devant ce nouvel épisode conflictuel dont la riche région du Kivu reste l’épicentre, Firoze Manji s’est entretenu avec Wamba Dia Wamba. Ce dernier accuse, dénonce et trace des pistes d’actions pour une solution de paix définitive en Rd Congo.

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Pambazuka News : Après plusieurs années d’accalmie dans les tueries en Rd Congo, l’attention du monde a été brutalement accaparée par les offensives des forces de Laurent Nkunda autour de Goma. Qu’est-ce qui explique cette résurgence ?

Wamba dia Wamba : Je pense qu’une première explication tient aux changements dans l'équilibre des forces sur le terrain. Il y a aussi que la portée de la catastrophe humanitaire pousse beaucoup de personnes en Occident, connectées aux médias ou en relation avec des organismes humanitaires, à montrer plus d'intérêt pour la Rd Congo, en relation avec les élections américaines. On entend dire que le régime actuel voudrait créer des situations difficiles pour donner un coup de pouce au candidat républicain ou pour créer des faits accomplis dont le futur président serait obligé de tenir compte. D’ailleurs, autour de certaines universités américaines, par exemple, on note, pour la première fois, une tendance à se poser des questions sur le silence autour des massacres en Rd Congo.
À ces explications, on peut ajouter la volonté des capitalistes occidentaux de reprendre le contrôle des ressources congolaises, après le contrat signé entre le gouvernement et les Chinois. Nous entendons que l'idée d'un Kosovo se met en place, mais s'il matérialise ce ne sera pas dans l'intérêt du peuple congolais ; ce serait plutôt pour avoir un contrôle sur les importantes ressources minières, agricoles et tout le potentiel de cette région.

Pambazuka News: Les medias occidentaux présentent ce conflit sous des dehors ethniques, mais quelle en est la cause véritable ? Quels sont les facteurs politiques et économiques qui le soutendent ?

Les questions ethniques n'ont jamais été une cause de conflit ; d'autres conditions doivent prévaloir pour transformer des différences en discriminations et voir les effets de celles-ci mener à des conflits. Bien sûr, Il y a beaucoup de points non résolus, liés au génocide rwandais et à l’afflux massif de populations en Rd Congo, parmi lesquels des génocidaires, ainsi que la communauté internationale l’avait encouragé. Nkunda, par exemple, profite de la présence des Rwanda, toujours déterminés à prendre le pouvoir au Rwanda et peut-être à procéder à un génocide, pour justifier sa guerre. Mais la vérité est que nous devons distinguer l'objectif principal (accès et contrôle des ressources), des conditions facilitant cet objectif, comme l'existence des génocidaires massacrant des personnes innocentes, les sentiments d'exclusion toujours ressentis par les Tutsis congolais, la collaboration du gouvernement congolais avec ces génocidaires qu’il utilise, selon certains, et les alliances possibles entre les milieux d'affaires et les fonctionnaires établis dans la région.
Il faut aussi noter que la plupart de nos gouvernements régionaux sont réellement dirigés par des agents de sécurité alliés aux hommes d'affaires.D’aucuns disent que les hommes d'affaires rwandais avaient financé Nkunda pour continuer à garder sous contrôle l’exploitation des mines (coltan, nobium, etc.), particulièrement recherchés par les multinationales de téléphones portables, de satellites, etc.

La presque totalité du sous-sol de la Rd Congo a été en fait vendue à travers des contrats à de soi-disant partenaires. Seuls quelques membres des familles des personnes au pouvoir en profitent. On pense même que dans les zones où il n'y a aucune autorité étatique ferme, les armes décident tout. Dans une certaine mesure, Kivu est simplement un lien des plus faibles dans la chaîne de la mondialisation. Nous devons identifier les différentes contradictions qui y convergent. Et savoir que l’absence d'une véritable autorité étatique, apparemment favorisée par certaines autorités, y ouvre la porte aux agents de l'économie mondiale du crime.
Pambazuka News: Quels rôles jouent le Rwanda, l’Ouganda, le Zimbabwe et l’Angola dans ce conflit ?

Wamba Dia Wamba : Après avoir éprouvé les expériences de déstabilisation menées par le régime de Mobutu, qui agissait en gendarme dans la région, beaucoup de pays voisins préféreraient aujourd’hui avoir un Congo plus faible à leur côté. Surtout s'ils peuvent tirer profit de cette faiblesse pour avoir leur part dans le pillage des ressources du pays. Les alliances invisibles dans le milieu des affaires facilitent ce genre d’activités. D’ailleurs, certains fonctionnaires en Ouganda et à Kinshasa ont des connexions autour d’intérêts communs à préserver. Et le Rwanda a un prétexte dont il use de manière contradictoire : la présence des génocidaires le pousse à arguer que sa sécurité est menacée et lui permet de maintenir une situation d'anarchie pour avoir accès aux richesses dont ses hommes d'affaires se sont enrichis.
Leur participation aux deux dernières rébellions leur a fait goûter aux ressources disponibles au Congo et ils veulent continuer à en profiter d'une manière ou d'une autre. Le gouvernement congolais aurait dû trouver les moyens de légaliser une exploitation commune des richesses, mais le processus est si lent qu’on se demande si l’anarchie n’est pas plus profitable à certains intérêts.

Pambazuka News: L'Union européenne et d'autres pays sont profondément engagés dans l'exploitation des ressources en Rd Congo. Dans quelle mesure sont-ils impliquées dans la crise courante ?

Wamba Dia Wamba : Certaines entreprises transnationales ont été identifiées, il y a quelque temps, par le panel de l'ONU : Anglo-American, Standard Chartered Bank, De Beers, etc. Les minerais exploités dans la zone ne peuvent être utilisés que par des entreprises à technologies avancées et les Africains sont juste des intermédiaires. La campagne menée par l’Occident contre le contrat signé entre la Chine et la Rd Congo montre combien est forte leur volonté de contrôler les ressources de ce pays.
Ce qui est triste dans tout cela reste le fait que derrière ces profits qui s’accumulent au prix du sang versé, personne ne s'inquiète vraiment de la vie des Congolais innocents, avec les prétendues aides humanitaires ponctuelles pour réduire les misères, jamais pour éradiquer la violence.
Pambazuka News : Assistons-nous à une balkanisation de la Rd Congo ?

Wamba Dia Wamba : Les rebelles sont en train d’occuper une zone qui couvre l’équivalent de trois territoires. Nul ne sait si, avec les négociations, ils vont y renoncer. Si le gouvernement congolais ne réussit pas à les récupérer et si les forces étrangères parviennent à aider les rebelles à les conserver, on assistera à la naissance d’un minuscule mais très riche territoire. Et l’effet sur le reste du pays peut conduire à une véritable balkanisation. Le gouvernement est appelé à ne pas céder à une pareille exigence, si elle arrivait à être exprimée par les rebelles. Les populations congolaises sont fermes dans la défense de l’intégrité de leur pays.

Pambazuka News : Est-ce que le gouvernement de Kinshasa a un quelconque contrôle sur la situation ?
Wamba Dia Wamba : Pas réellement. C’est pourquoi il y a toutes ces critiques contre la MONUC, pour son échec à mettre un terme à la guerre. Il ne peut y avoir un contrôle de la situation, à cause du type de dirigeants que nous avons, plus intéressés par le pillage des ressources, la conservation du pouvoir, le règne de l’impunité, le blocage du fonctionnement de l’administration, etc., que par autre chose. La plupart des promesses faites, qui auraient pu y aider, ne sont pas respectées, dont la réconciliation et la mise en place d’une véritable armée nationale. Même le nouveau gouvernement, qui est en train d’être mis en place, n’inspire pas confiance à la population. Beaucoup ne sont que du bois mort inutile, mais ils se comportent comme si le pays était leur propriété privée.
Pambazuka News : Quelle devrait être la réaction des panafricanistes dans la situation actuelle ?
Wamba Dia Wamba : Il faut en appeler à une conférence régionale des peuples africains – s’il y a bien sûr une possibilité de la faire tenir. Ce dont on a besoin pour que la démocratie s’implante dans la région, c’est que les populations s’engagent réellement dans la construction d’un véritable Etat tourné vers un développement post-néolibéral. Mais dans le court terme, l’engagement devrait se faire contre toute idée de balkanisation, pour l’application des accords de Nairobi, pour un échange d’ambassadeurs entre la Rd Congo et ses voisins ougandais et rwandais et pour une urgente intervention humanitaire.

* Pr Wamba Dia Wamba est sénateur honoraire et ancien vice-président de la Commission permanente du Sénat sur les affaires administratives et juridiques, de l’administration de transition de la République démocratique du Congo.

* Firoze Manji est directeur de Pambazuka News et directeur de Fahamu – Réseau pour la justice sociale.

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