La jeunesse annonce de nouvelles exigences de politiques publiques et de gouvernance démocratique

La fermeté de l’engagement des jeunes dans les batailles pour une nouvelle gouvernance marque l’espace politique en Afrique. C’est en eux que les mouvements d’indignation trouvent l’essentiel de leur force, sinon leur origine. Moustapha Kassé s’interroge cependant sur le «rapport négatif que les jeunes entretiennent avec la politique, jugée comme peu crédible», sur leurs limites en tant que « force de contestation mais pas de proposition sur l’avenir qu’elle souhaite » et dégage ce qui pourrait constituer des pistes inclusives dans la satisfaction de leurs besoins et aspirations.

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La jeunesse est partout rebelle, la profondeur et l’universalité de son malaise et de son mal vivre nous interdisent des réponses partielles que suggèrent nos préférences idéologiques ou politiques. Comme nous l’avons déjà montré (1), elle se révolte contre ses précaires conditions de vie, son avenir sans issue et la mal gouvernance ambiante. Elle accuse les pratiques de l’Etat qu’elle juge comme malveillantes. A bien écouter ses différentes configurations d’expression, elle s’insurge aussi contre toutes les formes d’exploitation et de répression des peuples, les modes de gestion des biens publics, les organisations politiques fondées sur le principe dualiste de la délégation du pouvoir, les tares des sociétés mimétiques et extraverties dans lesquelles la famille n’est plus un foyer d’éducation. En conséquence, elle se présente comme l’accélérateur de l’histoire et la locomotive du changement social. Cela apparaît clairement dans le référentiel idéologique et les messages provenant généralement des révoltés de toutes les banlieues du monde, des townships et autres favélas qui symbolisent les martyrs des sociétés d’exclusion, les séquences de vie ou les modèles de comportement.

Ces postures militantes et les plateformes revendicatives constituent les éléments de jonction avec toutes les luttes populaires menées par plusieurs groupes, notamment les organisations de la société civile et parfois certaines factions des formations politiques et syndicales. Il reste que malgré la la fermeté de l’engagement dans les batailles pour une nouvelle gouvernance, on observe l’absence d’un leadership d’idées et de projets alternatifs cohérents que seuls les élites politiques et les intellectuels peuvent fournir. Or, précisément, la jeunesse craint par-dessus tout la récupération politicienne de leur combat. Ainsi, le Mouvement «Y’en a marre» (2) affiche clairement «Récupérateurs et politiciens, abstenez-vous». Ce slogan est souvent interprété comme un rapport négatif que les jeunes entretiennent avec la politique.

Cela a conduit certains analystes à voir à travers cette attitude une manifestation d’hostilité de la jeunesse pour la classe politique jugée comme peu crédible. En fait, cette interprétation est abusive voire même fausse. Il semble que les jeunes perçoivent autrement leur rapport à la politique qui s'exprime autour d'attentes fortes vis-à-vis des politiques, de formes nouvelles d’organisation qui rompent d’avec les principes estimés surannés de la représentation populaire et de nouveaux modes d'action inspirés de l’anarcho-syndicalisme. En conséquence de quoi, les manifestations/contestation, par exemple, se présentent comme des éléments structurant de la socialisation politique des jeunes. Anne Muxel, Directrice de recherches au Centre de recherches politiques de Sciences Po., établit que «l'engagement des jeunes est beaucoup plus essentiel qu'il ne l'était dans le passé où le rapport à l'engagement était plus idéologique, mais aussi plus déconnecté d'une efficacité immédiate. Aujourd'hui, il y a un rapport plus pragmatique à l'engagement qui fait que l'on se mobilise, mais sur une cause bien cernée et en vue d'une efficacité et des résultats immédiats et concrets. D’où le double registre, réaliste et idéaliste, qui caractérise la politisation des jeunes».

Les revendications sont souvent posées de manière anarchique, chaotique avec une bonne dose d’utopie. Par exemple : Du boulot pour tous ! Avoir du boulot ou bénéficier d’études gratuites ! Un boulot décent avec salaire décent ! Respect des droits démocratiques et de toutes les libertés ! En finir avec la société répressive et de violence et mettre fin au harcèlement policier ! Insertion sociale pas «du dehors» et par «en haut», mais du dedans et par en bas. Honneur et Gloire aux peuples qui luttent ! Changement des mentalités et réhabilitation des valeurs! Bannir et punir les voleurs de la République !

Cette demande sociale est transversale et émane de toutes les composantes des villes et des campagnes, des élèves et des étudiants, bref de tous les jeunes dans toute leur diversité et sous tous les aspects positifs comme inquiétants. Les étudiants et lycéens ajoutent à la corbeille des revendications sectorielles relatives aux conditions sociales de vie et d’étude, à la réforme du système éducatif qui est une fabrique de chômeurs, à la revalorisation des filières technologiques et professionnelles, à la modification des pratiques d’orientation et de réorientation, à ne laisser aucun jeune à l’abandon, à l’insertion des diplômés du supérieur, etc. D’ailleurs, cette jeunesse qui sort des universités bardée de diplômes se retrouve sans perspectives, sans allocation, est contrainte de végéter auprès de leurs parents qui doivent les prendre en charge sans en avoir les moyens.

Quelles sont les réponses à ces problèmes ? Des politiques et des structures publiques sont certes mises en place au niveau national, régional et même continental avec des textes qui veulent faire jouer à la jeunesse un rôle central dans le développement économique, politique, social et culturel. Toutefois, ces politiques sont loin de satisfaire les aspirations profondes des jeunes qui, d’ailleurs, les désertent ou simplement les ignorent. On peut citer les multiples Agences de promotion de l’emploi des jeunes, les Programmes de financement des activités de jeunesse, les Conseils Nationaux de la Jeunesse qui existent dans la plupart des pays et que les jeunes qualifient de coquilles creuses puisque dépourvus de moyens significatifs proportionnellement à l’ampleur de leurs missions.

Au niveau continental, il avait été créé la Charte africaine de la jeunesse, le Cadre stratégique du programme du NEPAD relatif à la jeunesse et le Programme d’action mondial pour la jeunesse à l’horizon 2000. Cependant, toutes ces initiatives sont demeurées de simples vœux pieux. Le 17e sommet ordinaire de l'Union africaine (UA) réuni à Malabo en Guinée équatoriale a relancé la problématique en faisant de la jeunesse africaine son thème central intitulé : «Accélérer l'autonomisation des jeunes pour le développement durable». Cette nouvelle orientation appelle une forte impulsion à la mise en œuvre du Plan d'action de la Décennie de la Jeunesse africaine (2009-2018), un enrichissement de son contenu et un élargissement de sa portée. Il est devenu impératif que les discussions aboutissent, enfin, à des mesures concrètes pour une meilleure prise en charge des besoins de la jeunesse africaine et à l’allocation des ressources conséquentes.

Au demeurant, ce malaise de la jeunesse par rapport à l’ordre établi appelle une analyse critique et une capacité d’anticipation des réformes de toutes les politiques impliquant la jeunesse dans toute sa diversité. Au demeurant, la difficulté majeure est que la jeunesse est une force de contestation mais pas de proposition sur l’avenir qu’elle souhaite. La question qu’elle nous suggère, est celle d’avoir une grande capacité d’écoute et d’accompagnement qui débouche, en concertation formelle avec elle, à la définition d’une politique de jeunesse qui, à la fois, concerne et s’adresse à tous les jeunes sur le territoire national.

Il faut donc chercher dans leurs diverses dénonciations, à la fois un diagnostic partagé et quelques pistes de solution à leurs désarrois. La jeunesse veut participer au développement socio-économique du pays dans une gouvernance démocratique et décentralisée. Pour cela, il faudrait favoriser l’insertion professionnelle grâce notamment à des systèmes éducatifs, universitaires et de formation plus adaptés aux profils de compétence, promouvoir un appui fort dans ses activités génératrices de revenus au niveau des secteurs qu’ils choisissent, garantir toutes les libertés démocratiques, assurer un environnement sain et un service public approprié et accessible, faciliter l’accès à l’information et aux équipements numériques avec des règles consensuelles de protection. La liste est loin d’être exhaustive ; ce sont là quelques notes entendues dans les milliers de cris de révolte et que les politiques doivent transformer en musique dans des politiques publiques de jeunesse qui soient en parfaite harmonie avec les autres partitions du peuple.

La politique de la jeunesse est un terme au contenu flou et mal défini : l’Etat la considère comme une politique de protection ou d'aide à la jeunesse, alors qu'elle couvre un champ beaucoup plus vaste. C’est pourquoi ces politiques publiques n’ont eu que très rarement la transversalité et l’ambition indispensable pour enrayer le malaise des jeunes. Elles doivent être comprises comme des politiques qui projettent la société dans laquelle évolueront les jeunes générations (cadre de référence) et qui résolvent, à court et moyen terme, à tous les niveaux et dans tous les domaines, les besoins et les attentes des jeunes générations. Ainsi comprises, ces politiques de jeunesse vont affecter de nombreux domaines d'action de l'Etat et, c’est pourquoi, elles doivent toujours être examinées sous l'angle des implications directes ou indirectes sur les jeunes.

Il importe de préciser, avec force, qu’une politique publique pour la jeunesse doit être fondée sur l’existence préalable d’une volonté politique inébranlable et doit se bâtir autour de quelques principes fondateurs intangibles notamment :

- Le principe de transversalité qui appelle la mobilisation des services de l’Etat concernant, directement ou indirectement, les jeunes ;

- Le principe d’universalité qui concerne l’élaboration de politiques qui devraient concerner tous les jeunes.

- Le principe de transparence, de visibilité et de lisibilité des décisions.

- Le principe d’équité et d’égalité qui doit guider toutes les actions aux bénéfices des jeunes.

Il reste que cette politique de jeunesse doit être une réflexion éminemment collective menée au premier chef par l’Etat et devrait impliquer prioritairement la jeunesse dans toute sa diversité mais aussi les autres composantes de la société à savoir la classe politique, la société civile, le secteur privé, les collectivités locales, les mouvements associatifs et culturels, les mouvements citoyens et les divers partenaires sociaux que sont les ONG.

L’âpreté et la consistance des crises économique, politique, sociale, environnementale et la crise des valeurs que traversent nos sociétés, indiquent que nous allons léguer aux jeunes d’aujourd’hui un héritage extrêmement lourd. Pour les honorer, la société a la responsabilité, dors et déjà, de définir des stratégies de long et moyen terme, des politiques concertées et un agenda de réforme qui permettent à la jeunesse de jouer son rôle dans le développement et d’assurer la relève. Ces stratégies devant porter les politiques publiques de la jeunesse doivent comprendre d’abord, de façon primordiale, une vision et une option claire pour l’édification d’une société équitable, de justice sociale, d’égalité de chance, de croissance et de prospérité. Ensuite, elles doivent reposer sur les fondamentaux de la démocratie et de la bonne gouvernance. Enfin, elles doivent installer la jeunesse au cœur des dispositifs de création des richesses, de production des biens culturels et des infrastructures des loisirs. Leur réalisation peut se décliner en sept défis majeurs qui indiqueraient les lignes directrices des choix appropriés :

1. Les défis de l’éducation et de l’emploi. Le point de départ est l’impératif des réformes de l’ensemble du système éducatif et de formation pour offrir aux jeunes des parcours de savoirs qui correspondent à des profils de compétence, une Ecole qui ne laisse aucun jeune à l’abandon et qui prépare la jeunesse aux NTIC et au nouvel espace mondial.

2. Les défis de l’insertion dans les circuits du développement durable. Il s’agit d’intégrer la jeunesse dans le processus de développement économique, social et culturel, de promouvoir l’entrepreneuriat individuel et collectif de la jeunesse afin d’accroître la création de nouveaux emplois et la vitalité économique de la société et de faciliter le financement de leurs activités génératrices de revenus. Il s’agit d’impliquer la jeunesse dans la valorisation des emplois et la préservation des intérêts des générations futures.

3. Les défis du mieux être et de l’intégration sociale. Il est question de créer des institutions qui favorisent le mieux-être global des jeunes, qui valorisent leurs capacités, leurs savoirs et leurs savoirs faire et qui les intègrent à la vie active.

4. Les défis de la participation dans l’édification d’une société inclusive et de leur participation au développement, la promotion et l’animation des activités des collectivités locales. Le dynamisme et l’enthousiasme de la jeunesse sont des atouts pour le succès d’une politique de décentralisation.

5. Le défi de l’information et de la communication. Ces deux éléments sont d’une importance capitale en ce qu’ils traitent de tous les sujets comme l’enseignement, la formation professionnelle et permanente, l’emploi, la vie associative, la santé, la culture et les loisirs, les sports et contribuent à solidifier la citoyenneté active de la jeunesse et à renforcer son engagement dans la vie en société.
6. Le défi de la politisation excessive et conventionnelle ou la peur de l’embrigadement et de l’enrôlement. Ces deux éléments posent toute l’ambigüité des rapports de la jeunesse avec la politique. Il est totalement erroné de penser que la politique de jeunesse doit être exclusivement définie par les jeunes. Il est sans doute important d’élucider la relation de la jeunesse avec la politique. Toutefois, il ne peut exister de politique de jeunesse sans une véritable volonté politique : c’est le politique qui légitime l’agenda et donne l’impulsion.

7. Le défi de l’autonomie posée par la situation de forte dépendance de la plupart des jeunes vis-à-vis de leur famille : ce qui soulève, avec acuité, la question de l’autonomisation des jeunes avec ses avantages et ses risques. Celle-ci signifiant la capacité pour les jeunes de se prendre en charge, de faire ses choix et de gérer, en toute indépendance, leur vie sur le plan personnel et sur le plan social.

8. Le défi du service civique bénévole et obligatoire. Il traduit un engagement et une participation citoyenne à des travaux d’intérêt général qui offrent aux jeunes une reconnaissance de ce qu’ils peuvent faire pour la société et des devoirs que cela implique. Il doit être un droit ouvert et accessible au plus grand nombre de jeunes sans aucune discrimination et constituer, pour eux, une « étape de vie». Sa mise en œuvre et son financement associeraient tous les acteurs de la vie nationale.

A y regarder de près, ces défis relevés sont tous caractérisés par leur transversalité et leurs relations intergénérationnelles et doivent s’inscrire dans la reconnaissance de la place prépondérante que doit occuper la jeunesse dans l’élaboration et la réalisation de toutes les politiques nationales de développement économique, social et culturel. Manifestement, ces sept défis sélectionnés sont loin de résumer toutes les interrogations relatives aux orientations et options de politiques visant à assurer à la jeunesse le développement de son potentiel et de ses capacités, l’accès au marché du travail et son intégration pleine à la société dans une perspective de la relève générationnelle.

Conclusion

Cette série d’articles est écrite à la fois dans la crainte et la conviction que le feu peut s’allumer si rien n’est entrepris pour prendre conscience et régler les problèmes que soulève la jeunesse. Paraphrasant L. Stoleru, on peut dire que «chaque jour la marée monte, en vagues puissantes et insaisissables, déferlant par-dessus toutes les digues dérisoires qu’on essaie de leur opposer… Des jeunes dont la vie est bouleversée, souvent brisée, parfois même assassinée lorsque le chômage conduit au suicide». Dans ce cadre, notre devoir est d’attirer l’attention, sans esprit de polémique, sur l’urgente nécessité de sortir de l’impasse qui se dessine par la mise en œuvre de politiques publiques qui font de la jeunesse le pivot de l’action pour les générations à venir.

Cette recherche est encore inachevée, elle veut rappeler l’acuité des problèmes au moment où la jeunesse s’interroge et s’impatiente dans des sociétés qui la violente en ne lui offrant aucun avenir : pas de travail décent, pas assez d’écoles, pas d’espace d’épanouissement et de valorisation, pas de maison, pas de voiture. Somme toute de multiples manques qui sont autant de raisons de se battre pour l’avènement d’une société plus équitable, plus douce et plus solidaire.

Cette réflexion s’adresse à toutes les composantes sociales de nos pays et se propose de révéler les raisons de ces révoltes qui montent et de tracer quelques axes d’une ambition d’insertion de la jeunesse dans l’ordre sociétal car une politique de jeunesse raterait sa cible si elle se limite seulement à cette catégorie sociale.

Il est nécessaire que notre pays procède à une recomposition des politiques publiques de jeunesse à moyen et long terme. Cette recomposition doit être fondée sur un consensus de toutes les forces sociales et politiques du pays en vue de créer, dès maintenant et pour la prochaine génération, une jeunesse qui soit autonome, solidaire, responsable et engagée. Pour cela trois préalables : le premier consiste à établir un diagnostic complet qui croise le quantitatif et le qualitatif permettant ainsi de connaître qui sont les jeunes et quelles sont leurs pratiques et leurs sociabilités. Pour cela, il faut commencer par entendre tous les acteurs concernés à savoir les jeunes, mais aussi les familles, les professionnels de la jeunesse et tous les mouvements et organisations qui connaissent les jeunes, de près ou de loin. Le second préalable est la maîtrise de la distribution spatiale de la jeunesse pour permettre une meilleure quantification des besoins et l’allocation en équipements sportifs, socioéducatifs, socioculturels et autres. Le troisième préalable est, sans doute le plus important, l’existence d’une véritable volonté politique claire des pouvoirs publics qui légitime toutes les actions en faveur de la jeunesse et qui donne les impulsions nécessaires.

Dakar le 01 Novembre 2011

NOTES
1) Cet article est le dernier d’une série dont les deux premiers ont été publiés dans Pambazuka News. Voir www.pambazuka.org/fr/category/features/76835 et www.pambazuka.org/fr/category/features/77025

2) Le mouvement «Y en a marre» a été lancé par de jeunes rappeurs sénégalais. Il est devenu une des principales forces de contestation dans l’espace politique local.

* Moustapha Kassé est Doyen Honoraire de la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar

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