Tout bien considéré, les dieux d’Afrique ne dorment pas
Avec Dominique Strauss-Kahn, le patron du Fonds Monétaire International (FMI), dans une situation épineuse suite aux accusations d’agression sexuelle dans un hôtel new-yorkais, Cameron Duodu examine les effets des programmes d’ajustement structurel dans son pays d’origine, le Ghana
Faites confiance aux femmes africaines pour ne pas être politiquement correctes. Alors que les spéculations font rage sur l’identité de la femme de chambre dont il est allégué qu’elle a subi une tentative de viol de la part du directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn (qui a maintenant démissionné), une femme du forum Internet africain y a vu une dimension politique.
Elle écrit : ’’J’ai entendu que cette femme de chambre est africaine. Il a même été suggéré qu’elle est Ghanéenne.’’ (Il s’avère que la femme en question est en effet Guinéenne, mais ça n’a aucune importance puisque le Ghana et la Guinée ont formé une union en 1958). Poursuivant cette option, la dame observe que : « Si cela était vrai, les programmes d’ajustement structurelles prendraient une signification complètement nouvelle. »
J’ai eu un rire amer en lisant cela. Ah oui, les ajustements structurels ! Aucun Ghanéen d’un certain âge ne peut les oublier. En avril 1983 le gouvernement du Provisional National Defence Council ghanéen, conduit par le Lieutenant Jerry Rawlings, a invité le FMI à venir sauver l’économie du Ghana. Le Ghana connaissait une pénurie de produits importés parmi lesquels des denrées de consommation courante comme le savon, le dentifrice, le sucre, le lait et les conserves qui constituent l’essentiel de l’alimentation de base dans les internats.
La monnaie du Ghana - le cedi- était aussi extrêmement faible. Au cours officiel, il valait 2.75 C pour 1 $. Mais dans les branches pas tout à fait officielles de la Banque du Ghana, qui opère dans des quartiers pittoresques des faubourgs d’Accra et qui ont des noms comme ‘ Zongo Lane’, ‘Mallam’ et ‘Chorkor’, des changeurs offrent 20 cédis pour un dollar ou même plus. Pour combattre le marché noir, le FMI a ordonné une dévaluation. En dépit de notre aversion pour la dévaluation, notre gouvernement a augmenté le taux de change à 15 cédis pour un dollar.
Mais le FMI n’avait pas de remède pour ce qui s’est passé ensuite. Le cours du marché noir a aussi augmenté. Et les deux taux de change ont commencé à se pourchasser comme des chiens et des lièvres. A un moment donné, le taux de change a atteint 5000 cédis pour un dollar. Ceci a représenté une dévaluation gigantesque qui n’était pas sans rappeler la légendaire dévaluation des années 1950 et 1960 en Amérique latine. Nombreux sont ceux qui ont commencé à penser que le FMI utilisait le Ghana à des fins expérimentales afin de voir combien de privations la population est prête à endurer dans un pays en voie de développement avant que ne se produise une implosion sociale.
La perte de la valeur de la monnaie a affecté tous les aspects de la vie au Ghana. Pendant que les fonctionnaires avaient accès à des bénéfices accessoires - comme l’usage d’une voiture de service - les employés du privé de la classe moyenne devaient faire face à une pénurie croissante. Acheter une voiture, ce qui était auparavant dans les moyens de ceux aux revenus moyens, était devenu presqu’impossible.
Pire, l’inflation du prix des denrées alimentaires a commencé à affecter l’apparence physique de bon nombre de personnes. En particulier, les adolescents montraient ce qu’on appelait les « chaînes de Rawlings », c'est-à-dire des clavicules proéminentes sous le cou, causé par l’émaciation de la couverture habituel de cet os.
A quoi s’ajoute l’introduction de frais hospitalier et d’inscription dans les écoles. Chaque subside qui pouvait être identifié a été aboli : des services publics au pétrole. Le FMI a aussi insisté pour que les dettes contractées auprès de compagnies occidentales, peu importe la corruption de la démarche, devait être repayées. La protection d’industries locales embryonnaires a aussi été retirée. Le commerce a été libéralisé même si étouffer les industries locales créait du chômage.
Les Ghanéens ont rapidement noté, non sans amertume, que les fonctionnaires du FMI ou de son pendant, la Banque Mondiale, qui à intervalle régulier venaient leur prescrire l’amère potion économique, ne se trouvaient guère affectés compte tenu que leur per diem était payée en devise forte.
Ce n’est pas une exagération de dire que le FMI s’est attiré plus de ressentiment de la population alphabétisée du Ghana que n’importe quel autre organe international. Et c’est ce mépris contenu qui leur a fait revivre la dure époque des ajustements structurels dès que l’affaire Dominique Strauss-Kahn a éclaté.
Naturellement, personne ne sait si Strauss-Kahn sera jugé coupable lors du procès à New York. Mais il est permis de soupçonner que pour les populations des pays qui ont eu à avaler l’amère pilule des programmes d’ajustement structurel, comme les Ghanéens, l’image de Strauss-Kahn menotté, entouré de rudes policiers new-yorkais, à qui est niée la libération sous caution et qui est obligé de passer des jours dans la section isolement dans le centre de détention de l’île de Rikers (dans l’aile réservée aux détenus contagieux), va générer une satisfaction presque sadique.
Que la femme soit Guinéenne ou Ghanéenne n’a pas d’importance. Elle est africaine. Et dans beaucoup de pays d’Afrique les gens applaudiront mentalement et diront : « Les dieux d’Afrique ont utilisé une femme africaine pour nous venger. Les dieux d’Afrique ne dorment pas tout bien considéré. »
* Cameron Duodu est un journaliste, écrivain et commentateur - Traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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