Côte d'Ivoire : Les erreurs qui ont coulé Gbagbo

Pendant les dix ans qu’il a passé au pouvoir, jusqu’aux élections de novembre dernier, c’est Gbagbo lui-même qui a balisé le chemin de sa propre perte. Cheikh Sidya Diop parle d’erreurs politiques aux niveaux interne et international qui l’ont fragilisé et l’ont empêché de nouer les alliances qui auraient pu lui permettre de consolider son pouvoir. Sans compter le fait d’avoir sous-estimé ses adversaires.

Le Président Laurent Gbagbo a été vaincu. Les raisons de la défaite du candidat de la majorité présidentielle ivoirienne ne sont pas à chercher au niveau des aspects techniques de ce scrutin jugé transparent et régulier, mais à travers une série d’erreurs. Parmi lesquels nous pouvons dénombrer son favoritisme de l’expertise européenne, son alliance contre-nature avec les Forces nouvelles, le test inopportun de la Commission électorale indépendante et de la Cour suprême et enfin ses mauvaises relations avec la communauté internationale.

1 - Les sondages de la TNS-SOFRES et les mauvais conseils des sorciers blancs ont leurré le Président Gbagbo.

Le Président Gbagbo a cru aveuglément aux sondages qui l’ont gonflé. Or en politique les statistiques sont incertaines et peuvent ne pas correspondre à la réalité, pour la simple raison qu’une intention n’est pas un vote. Comme nous pouvons le constater dans le numéro 2593 du 19 au 25 septembre 2010 de Jeune Afrique, la TNS-SOFRES a publié son septième sondage réalisé du 24 août au 03 septembre 2010 sur la base de la liste électorale dite définitive, et dont les résultats prédisaient un Laurent Gbagbo en tête au premier tour de l’élection présidentielle, avec 45% des voix, devançant Henri Konan Bédié avec 26% et le Premier ministre Alassane Ouattara doté de 25%. Et au second tour, le président Gbagbo l’emporterait avec 55% face au président Bédié. Une autre étude commanditée par la présidence ivoirienne disait que les candidats Bédié et Ouattara confondus ne totaliseront pas plus de 28 % de l’électorat ivoirien.

En plus de ces chiffres erronés, le Président Gbagbo a manqué de tact en ignorant les avis des politiques ivoiriens. Il a écarté tout au long de sa campagne la plupart ses compagnons de lutte qui, malencontreusement avaient cette stature transethnique pouvant convaincre leurs frères du nord qu’ils faisaient partie intégrante du socle ivoirien, tels que Mamadou Koulibaly, actuel président de l’Assemblée Nationale, Abdourahmane Sangharé, ancien ministre des Affaires étrangères, etc.

In fine, Gbagbo ira défavorablement au second tour avec un ballottage de 38 % contre Alassane Ouattara doté 32 %. La majorité présidentielle sera plombée par le RHDP (Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la Paix) qui sera naturellement la première force politique du pays avec 62% des voix, puisque composée des candidats de l’UDPCI de Albert Toikeuse Mabri, du PDCI du Président Bédié, du RDR d’Alassane Ouattara et du MFA d’Innocent Kobenan Anaky.

2 - Le mauvais test de la CEI et du Conseil Constitutionnel

Le président Gbagbo devait tester la CEI et la Cour Suprême pour vérifier leur fiabilité, en organisant d’abord des élections avec moins de risques et moins d’enjeux, telles que des législatives ou des locales. Et pour la suite, juger la qualité réelle de ces deux institutions pour, en cas de failles, apporter les correctifs appropriés aux dysfonctionnements et aux irrégularités de ce processus électoral.

3- Le choix malhabile de ses alliances politiques

Le président Gbagbo n’a pas été fin dans le choix de ses alliances. Son rapprochement avec les Forces nouvelles était contre nature et non escompté. Il s’est soldé par un échec parce que, tout simplement, la configuration politique ivoirienne est complexe. Le président Gbagbo devait avoir une lecture prudente et sereine de la donne en décryptant qu’il ne pouvait pas gagner tout seul cette élection aux enjeux multiples. Ensuite, la politique par principe est un fait majoritaire où il faut ratisser large pour maximiser ses chances. De ce point de vue, Laurent Gbagbo devait nouer une alliance soit avec le PDCI, soit avec le RDR, y compris le PIT du professeur Francis Wodié, au lieu de s’allier inutilement avec les Forces nouvelles de Guillaume Soro.

4 - Les relations conflictuelles du président Gbagbo avec la communauté internationale

La politique étrangère conduite par le président Gbagbo a été conflictuelle et truffée de bourdes. Le régime ivoirien a bradé ses relations avec la communauté internationale. Or, la nouvelle diplomatie internationale est fondamentalement guidée par cette globalisation qui rime avec les intérêts et la cohabitation normale. Malheureusement, Gbagbo a entretenu des rapports hypothétiques avec la France, les Etats Unis, l’Union européenne, les Nations unies et les bailleurs de fonds. Dans la sous-région ouest-africaine, il s’est le plus distingué par sa volonté de déstabiliser le Burkina Faso et le Sénégal. Il ne s’est jamais soucié de la mauvaise impression qu’il dégageait auprès de la communauté démocratique internationale, par son implication directe ou indirecte, l’implication de sa femme ou de son entourage dans des dossiers obscurs tels que les escadrons de la mort, l’assassinat du président Robert Gueï, l’assassinat du ministre d’Etat Emile Boga Doudou, de la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, du meurtre du correspondant de RFI Jean Hélène, etc.

En somme, le président Laurent Gbagbo a été battu parce qu’il a manqué de conseils. Il ne s’est pas comporté en politique mais en novice ou en amateur. Il a été floué par l’expertise européenne qui ne maîtrise aucunement la réalité africaine alambiquée et imprévisible. Il a sous estimé Henri Konan Bédié et Alassane Dramane Ouattara qui sont deux dinosaures de la politique ivoirienne, avec des partis bien structurés et engagés. En sus, il n’a pas su convaincre la majorité des ivoiriens par un discours sérieux et responsable qui puisse non seulement enjoliver son bilan, mais aussi camoufler ses ratés. Malheureusement, il s’est trop appuyé sur des arguments fallacieux.

Malgré toute cette série d’erreurs malhabiles, le Président Gbagbo continue de s’entêter en restant sourd au dialogue et il continue à défier avec arrogance la communauté internationale qui ne devrait pas tarder à le déloger pour son occupation illégale des institutions de la république ivoirienne.

* Cheikh Sidiya Diop est secrétaire général de la Ligue des Masses

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