Nigeria : L’injustice économique nourrit les violences religieuses
Le Nigeria vient encore de connaître une de ces flambées religieuses qui secouent ce pays de manière épisodique, avec des niveaux de violence inouïes et des bilans dramatiques ahurissants. Le 26 juillet, des manifestations contre les valeurs et système éducatif occidentaux, menées par la secte musulmane des «Boko Haram», se sont transformées en violents affrontements avec les forces de sécurité. Se propageant rapidement dans plusieurs Etats du nord, elles font quelque 700 morts en une semaine. Originaire de Maiduguri où la flambée meurtrière a pris racine, Hauwa Mustapha s’est entretenue avec Pambazuka sur les véritables causes de ces violences. Plus que les poussée d’un islamisme radical qui menacerait la stabilité du Nigeria, elle y voit les effets extrêmes d’un système de développement injuste,
Pambazuka : Vu de l’extérieur, les conflits religieux au Nigeria sont souvent aussi soudains que violents. Sont-ils pour autant imprévisibles et imparables ?
Hauwa Mustapha : Voyons ce qui s’est passé d’abord et essayons de comprendre. Nous venons de vivre une crise terrible, avec des affrontements entre un groupe de population et l’armée. Des affrontements qui ont fait quelque 700 morts en moins de dix jours. L’explosion de violence est venue d’une secte musulmane qui, dans ses croyances, dans ses prêches, dans sa compréhension de ce que l’Islam véhicule comme principes, considère que l’éducation occidentale est detrimental pour l’homme, qu’elle détourne des chemins qui mènent au Paradis. Leur appellation de «Bokko Haram» vient de là. «Bokko» renvoyant à l’éducation occidental et «haram» désignant ce qui est illicite, interdit en Islam.
Est-ce que ce qui est arrivé a surpris ? Disons que les Boka Haram n’ont jamais caché leurs intentions de mener une jihad contre les institutions pour instaurer une gouvernance islamique qui proscrit l’école occidentale et les valeurs occidentales. Et dans l’identification des éléments à combattre pour renverser cet ordre qu’ils jugent «haram», ils ont toujours inclus les forces de police et les forces armées, les considérant comme ceux qui renforcent ou contribuent à renforcer les normes qu’ils combattent et veulent changer.
On a longtemps vécu avec leurs prêches. Les choses ont dégénéré quand ils ont voulu organiser une marche non autorisée. L’intervention des forces de sécurité, pour l’interdire, a mené à des affrontements, avec une escalade inouïe dans les heures et les jours qui ont suivi. D’abord, à Maiduguri. Ensuite, de manière spontanée, les heurts se sont rapidement étendus vers les Etats voisins de Yobe, de Bauchi et partiellement dans l’Etat de Gombe ainsi que de Kano. Mais les dérives les plus terribles ont eu pour cadre Maiduguri où, pendant une semaine, les populations sont été tenues en otage, dans l’impossibilité de sortir de chez eux. Des églises, des commissariats de police, des maisons, des véhicules appartenant à des chrétiens ou à des musulmans supposés hostiles à leur mouvance, ont été attaqués.
Comment expliquer le fait que les autorités ont paru surprises par le niveau de violence avant de pouvoir contrôler la situation.
Il faut noter d’abord que ces groupes ne se sont pas sortis de nulle part. Ce sont des gens qui vivent à Maiduguri, qui mènent des activités connues de tous, en particulier leur leader Mohamed Yusuf qui a été tué. Les prêches qui faisaient ce dernier étaient des attaques constantes et régulières contre les valeurs occidentales qu’ils ont voulu éradiquer par la violence, contre les institutions étatiques, etc. La faute des autorités, des forces de sécurité, a été de ne pas prendre au sérieux ces menaces, de lire les signaux de manière correcte et réagir en conséquence. Il y avait assez d’évidences dans les discours et dans les actes pour faire penser qu’on allait vers des dérives et qu’il fallait les anticiper.
Les autorités sont d’autant plus averties de cela que le Nigeria a connu plusieurs poussées de violence religieuse. On en connaît donc les signes annonciateurs. Les forces de sécurité ne les ignorent pas. Mais c’est quand les événements ont atteint une violence inouïe qu’elles ont commencé à réagir en conséquence. De leur part, c’est une faillite totale.
Mais il ne faut pas écarter la responsabilité des hommes politiques. Leur silence, les compromissions à l’endroit des groupes fanatiques ont permis à ces derniers d’entretenir leur radicalisme. Nous sommes, à Borno, dans un Etat à majorité musulmane et les politiciens usent du sentiment religieux à des fins politiciennes. Pour entretenir leur base politique, ils évitent de se dresser devant ces mouvements islamiques, même s’ils n’ignorent pas l’illégalité et les dangers qui caractérisent certaines de leurs positions. Il faut aussi craindre que ces attitudes complices ou conciliantes vis-à-vis des islamistes radicaux ont empêché les autorités de pouvoir réellement mesurer le danger autour de ce qui leur paraissait si familier, si habituel. Et il me sera toujours difficile de croire que les forces de sécurité nigérianes, à travers tous les services de renseignement qui existent dans ce pays, n’aient pas pu être au courant de ce qui pouvait arriver, de ce qui allait arriver.
Car même si on peut penser qu’il y a quelque chose de spontané dans les premières manifestations, l’extension des violences dans les autres Etats, leur poursuite méthodique pendant plusieurs jours, les armes utilisées et les développées mises en place ne pouvaient être que planifiées.
Pambazuka : Peut-on penser à une influence extérieure dans?
Hauwa Mustapha : Pas de manière fondamentale. Les éléments extérieurs qu’on a pu noter dans ces événements résident dans le fait que la plupart des assaillants qui menaient les attaques sur le terrain n’étaient pas des Nigérians. Ils étaient des Nigériens ou des Tchadiens et cela pouvait se remarquer à partir des langues qu’ils parlaient ou de leur accent quand ils s’exprimaient dans les langues locales nigérianes. L’autre élément de référence extérieur tient à la nature sophistiquée des armes qu’ils détenaient.
En dehors de cela, je ne pense pas qu’il y ait eu une influence politique ou religieuse directe de l’étranger. Les germes de cette violence sont internes au Nigeria et sont à rechercher dans l’injustice économique qui se vit dans ce pays. Les jeunes qui ont pris les armes – ce sont vraiment des jeunes - sont des désespérés qui n’ont aucune perspective d’avenir. Ils n’ont eu aucune éducation poussée, pas même une éducation islamique parfaite, et n’ont aucune réelle connaissance du monde. Des jeunes sans qualification, sans emploi, facilement manipulables. Leur colère contre la société, contre un système qui ne leur offre aucune chance, aucune issue, les destine à être une masse facile à manipuler et à manœuvrer.
Les prêches de «Boko Haram» ont un impact parce que nous sommes dans un pays où les frustrations sont considérables. En s’attaquant contre le système d’éducation occidental et contre ses valeurs, ils en ont moins contre le système en tant que tel que contre situation d’injustice économique dont ils pensent que ce système est à la base. Des centaines de milliers de jeunes diplômés de haut niveau, nombre d’entre eux formés à cette école, sont au chômage, vivent dans la pauvreté. A côté, des privilégiés moins qualifiés qu’eux, parce qu’ils sont issus de familles qui sont des membres, voire des piliers du système, se promènent avec des richesses insolentes.
Le mal du Nigeria est plus dans des scandales de cette nature que dans les dangers d’un islamisme intolérant. Les gens, dans leur misère, se posent des questions. Ce qui est arrivé avec les «Boko Haram» est une réponse, parmi d’autres, à leurs interrogations.
Le signal donné à travers ces incidents peut-il induire des changements à ce niveau?
Ce n’est pas de ce gouvernement que j’attends de tels changements. Il s’est bâti sur ce système d’inégalités et je ne pense pas que ses orientations vont changer pour le pousser à jeter un autre regard sur la société, à prêter l’oreille et à comprendre certaines revendications. Après que la répression a permis de rétablir l’ordre, ils ne vont pas chercher les véritables solutions pour des réponses radicales. Déjà, on voit que les partis politiques ont commencé à s’accuser et se jeter les responsabilités, à parler de complicité par rapport à ces événements. C’est une fuite en avant, mais le problème demeure.
Avec les conflits religieux que le Nigeria a connus ces dernières années, peut-on penser que l’islam radical peut constituer une menace à la stabilité du pays ?
Non. Non. On ne peut pas parler d’un mouvement islamique radical au Nigeria. C’est un pays fortement islamisé certes, et nous avons des groupes fanatiques qui cherchent à profiter de toute occasion favorable pour se faire remarquer. Mais ils ne constituent pas une réelle menace pour la stabilité du pays. Si le Nord du Nigeria connaît autant de problèmes, cela tient surtout au fait qu’il manque des leaders réellement conscients des problèmes à prendre en charge. Car ce n’est pas seulement dans cette partie du pays que l’Islam s’est développé et s’est enraciné. De même, cette région n’est pas un concentré de fanatisme généralisé. Des opinions et des pratiques islamiques progressistes y sont développées. Le problème, c’est que les leaders, qui sont des musulmans, font de l’Islam un refuge pour masquer leurs propres insuffisances et leurs incapacités à répondre aux besoins fondamentaux des populations. En fait, c’est le leadership dans le nord du Nigeria qui n’est pas à la hauteur.
* Hauwa Mustapha est économiste nigériane, activiste sur les questions de développement.
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