Empreintes et paradoxes des exploitants miniers canadiens en RDC

Constatant que la République démocratique du Congo représente un vrai paradis fiscal et juridique pour les entreprises étrangères, Mikhael Missakabo démontre que l’abondance des ressources naturelles dans ce pays n’a produit qu’une série de crises prolongées. Lorsque les conditions de vie des Congolais se détériorent, le secteur minier continue de fournir environ 70% du budget national. Une réalité qui met en évidence les avantages dont profite un petit nombre au détriment de la majorité. Soulignant que ces conditions en RD Congo n’auraient jamais été tolérables au Canada même, Missakabo se demande quel est l’avenir d’un continent exploité systématiquement par des intérêts motivés par un seul soucis : le profit.

Nul doute, ce qui se dit à haute voix ou se susurre sur l’Afrique en général et le contexte socio-économique africain en particulier ne va pas souvent dans le sens de la promotion des investissements étrangers. Cependant, au cours d’Indaba 2006, un haut responsable d’une compagnie minière canadienne exhorte ses pairs à profiter des « conditions exceptionnelles » en osant investir en République démocratique du Congo (RDC). Ceci, en dépit de la presse peu flatteuse dont fait l’objet ce pays martyrisé. C’est le cadre idyllique du Cap en Afrique du Sud –contrastant nettement avec les zones d’exploitation minière du reste de l’Afrique - qui accueille chaque année Indaba, une grand-messe réunissant différents acteurs de l’industrie minière de la planète intéressés par l’aventure africaine. Difficile à imaginer? Et pourtant c’est vrai. Voilà une intéressante illustration d’un des paradoxes qui émaillent les « relations » entre l’Afrique et l’Occident.

Sans toutefois s’appesantir exclusivement sur l’analyse de la nature de ce paradoxe, cet article cherche surtout à mettre en évidence les contours de l’empreinte des entreprises minières canadiennes en RDC. Leur supériorité numérique fait qu’elles ne peuvent pas passer inaperçues. En fait, quand une entreprise minière canadienne ou autre passe, elle laisse une empreinte. Cette empreinte n’est pas seulement écologique, elle est aussi socio-économique. Malheureusement, ce n’est pas tout. Hélas, elle s’étend jusqu’au domaine des droits de la personne.

Par « conditions exceptionnelles », cet opérateur faisait allusion aux conditions juridico-légales et fiscales très avantageuses qu’offrent la RDC aux investisseurs dans le secteur minier. Ainsi, pour les « exploitants » miniers, la RDC ne semble pas être seulement un paradis fiscal mais aussi un paradis juridique. Pourquoi en est-il ainsi? Les raisons sont multiples et profondes.

Depuis deux décennies, une situation de crise prévaut en RDC. Et pourtant, ce pays est choyé par la nature. Le climat y est clément. L’eau est abondante. La faune et la flore sont florissantes. On ne peut pas ne pas le mentionner: son sous-sol de ce pays regorge d’importantes ressources minières. Tout indique que l’exploitation ainsi que la commercialisation de ces ressources tardent à donner une impulsion à une synergie de développement. En d’autres mots, elles n’ont pas encore amélioré les conditions de vie des congolais. Au contraire, on succombe à la tentation de croire que l’exploitation de ressources minières contribue sensiblement à la détérioration des conditions de vie des congolais.

Le paysage économique de la RDC a toujours été dominé par le secteur minier. Celui-ci en est la locomotive. Sa contribution au budget de l’état oscillait souvent aux environs de 70%. En RDC, quand on parle du secteur minier, on voit avant tout la Gécamines qui est le principal dépositaire des ressources minières concentrées dans le sous-sol de la province du Katanga. Cependant, ce «géant», la Gécamines, est aujourd’hui moribonde suite à la prédation et la gestion catastrophique du régime Mobutu. Au Katanga, la Gécamines était jadis le plus gros employeur. Imaginez les conséquences de sa faillite. Ainsi, après la faillite de la Gécamines, la RDC avait décidé d’autoriser l’exploitation artisanale de l’hétérogénie – minerai contenant cobalt et cuivre. L’intention affichée était celle de promouvoir la création d’une classe moyenne congolaise qui servira de courroie de transmission pour un développement harmonieux. Avec la faillite de la Gécamines, il fallait bien
« créer » des « emplois » pour occuper les employés de celle-ci qui étaient au « chômage technique ». Une dizaine d’année plus tôt, l’initiative de libéraliser l’exploitation artisanale du diamant avait été prise dans les deux provinces du Kasaï. Malheureusement, l’exploitation artisanale de l’hétérogenite, du diamant ou du coltan profite plus aux expatriés, petits porteurs des capitaux utilisant les congolais comme intermédiaires et/ou ouvriers.

Sous l’impulsion et/ou la pression de la Banque Mondiale, le gouvernement congolais promulgue le Code Minier régissant la libéralisation de l’exploitation minière. En somme, la promulgation du Code Minier est une consécration de la libéralisation de l’exploitation minière. L’aire des jeux était nivelée mais les joueurs ne sont pas de la même catégorie. En plus, ils ne sont pas du même calibre non plus. Conséquence: ruée des « exploitants » vers la RDC. Il fallait bien s’attendre aux abus, bavures et dérapages. Ainsi l’état congolais se trouve être la première victime de sa propre initiative. Négociant en position de faiblesse, il octroie des contrats déséquilibrés. Dans bien des cas, ces contrats fournissent aux «exploitants» des outils juridico-légaux pour saboter cette même libéralisation et ses objectifs. Et, par voie de conséquence, ce sabotage étouffe l’initiative de créer une classe moyenne congolaise nécessaire au développement harmonieux. Cette fois-ci, sous l’impulsion et/ou la pression des ONG internationales ainsi que les organisations de la société civile congolaise, et après moult tergiversations, les contrats sont revisités en vue d’un rééquilibrage. Apparemment, les « exploitants » à gros calibre trouvent des ressources –ailleurs ainsi que dans le Code Minier- qui leur permettent de garder leurs marges de manœuvre.

A en croire Alain Deneault, l’auteur de Noir Canada : pillage, corruption et criminalité en Afrique, les entreprises minières canadiennes opérant en Afrique sont responsables des exactions dignes des empires coloniaux. Déjà au début des années 1990, juste après les privatisations accouchées sous les auspices de la Banque Mondiale , les entreprises minières canadiennes profitaient du régime chancelant de Mobutu. Quelques années plus tard, la rébellion menée par Laurent-Désiré Kabila éclate. En quelques semaines elle a le vent en poupe. Les entreprises minières -les canadiennes comprises- vont à la ‘rescousse’ de l’équipe gagnante. Les contrats d’exploitation sont distribués sont signés avec Laurent-Désiré Kabila. Du même coup, Laurent-Désiré Kabila obtient des moyens financiers pour soutenir la guerre et, de facto, une reconnaissance économique internationale avant la chute du régime Mobutu. Pour les entreprises canadiennes comme Banro Corporation ou Barrick Gold, tant que les affaires sont juteuses l’avant et l’après du changement de régime, c’est du pareil au même.

Banro, Kinross-Forrest, Barrick Gold, Emaxon, Lundin (Tenke Fungurume Mining), Mindev, Anvil Mining font partie des entreprises minières canadiennes les plus en vue. Quelques unes d’entre elles nous fournissent des exemples pour illustrer l’empreinte des entreprises minières canadiennes en RDC. Une liste exhaustive serait trop longue et, certes, hétéroclite. Elle comprendrait des entreprises à capitaux canadiens (privés et publics) mais ayant aussi des comptes bancaires et adresses postales dans des paradis fiscaux. Bien que certaines recourent souvent aux capitaux privés, une bonne partie de ces entreprises sont inscrites et cotées aux diverses bourses canadiennes. C’est la TSX de Toronto qui exerce un irrésistible attrait de prédilection. La raison est évidente: elle est la moins regardante sur les valeurs déclarées par les entreprises minières. Certains analystes vont jusqu’à dire que, contrairement aux bourses américaines, la TSX (Bourse de Toronto) ferme les yeux sur les évaluations à la baisse des gisements miniers faites à dessein. Celles-ci permettent, par la suite, aux entreprises minières de spéculer sur la valeur réelle des ressources et de voir augmenter exponentiellement leurs profits. Ce petit détour permet de comprendre la situation de la Gécamines.

Au Katanga comme au Kasaï Oriental, le « système » économique et sa santé dépendent en très grande partie des activités minières. Gécamines est une entreprise de l’état congolais opérant dans la province du Katanga. Comme mentionné ci-haut, elle est en faillite. Première conséquence de cette situation: les salaires des employés de la Gécamines sont impayés. Une autre conséquence, les petites et moyennes entreprises qui faisaient de la sous-traitance pour le compte de la Gécamines s’essoufflent. Pour dompter le mécontentement de la population et éviter l’explosion sociale, le régime Mobutu libéralise le secteur minier. L’exploitation minière artisanale prend de l’ampleur. Dans son sillage, catastrophes écologiques, éboulements de terrain entraînant mort d’hommes montent en flèche.

EMPREINTES

La situation de Mutoshi est très éloquente. Mutoshi, une petite banlieue de Kolwezi au Katanga est depuis février 2007 le Klondike des milliers de creuseurs artisanaux. Ces derniers, pour la plupart jadis employés par la Gécamines, labouraient une riche carrière abandonnée. Celle-ci est adjacente à la petite cité. Ils y ont été chassés quand, dans le cadre d’une joint-venture, la Gécamines l’a cédée à la canadienne Anvil Mining. Comme il faut bien gagner son pain, les creuseurs artisanaux ont suivi les différents filons qui ont débouché sur des maisons d’habitation ainsi que des artères de la petite cité de Mutoshi. On peut imaginer la suite: les routes et les propriétés de la cité sont prises d’assaut par les exploitants artisanaux.

Aujourd’hui, les «exploitants» canadiens en RDC se partagent ressources et infrastructures ayant une valeur boursière actuelle bien au delà de 300 milliard de dollars américains pour la plupart à travers des contrats léonins avec les entreprises minières para-étatiques. Sous la pression de la société civile, les partis d’opposition et les ONG internationales, le gouvernement de la RDC était contraint à revisiter certains contrats miniers considérés comme déséquilibrés. L’un de ces contrats et le plus flagrant est celui qui lie la Gécamines à Tenke Fungurume Mining (TFM). Cet opérateur canadien (une ramification de Lundin Mining) exploite un secteur comprenant 13 gisements identifiés sur la réserve la plus importante de cobalt de la planète. En 2007, le capital d’investissement de TFM était estimé à 900 millions de dollars américains. En 2008, la Gécamines s’aperçoit que la TFM a unilatéralement procédé à une majoration de son capital d’investissement. Celui-ci passe de 900 millions à 1,75 milliard de dollars américains. Ce qui veut dire la TFM a augmenté sa part du capital de 850 millions dollars sans consulter, ni informer son partenaire principal, la Gécamines. Sournoisement, TFM a fait passer la participation de la Gécamines dans la joint-venture de 45% à 17,5%, avançant l’amélioration des infrastructures et autres hausses des coûts comme raison. Ainsi, la mise initiale de la TFM s’en trouve surévaluée, puisque le Code Minier permet aux investisseurs de récupérer, par la procédure d’amortissement dégressif leur mise initiale. Ainsi la TFM pourra récupérer une mise surévaluée pendant les premières années d’exploitation. Et, par voie de conséquence, ces premières années d’exploitations seront déficitaires pour la Gécamines et l’état congolais.

D’autres «exploitants » canadiens ont aussi su profiter de la situation. Le contrat signé, en 2005, entre la Gécamines et Kinross-Forrest accorde à ce dernier 75% des parts de la valeur partageable. En plus, il est entendu que le capital investi ainsi que l’intérêt lié peuvent être remboursés en moins de 5 ans de production effective. En fait, Kinross-Forrest se taille la part du lion au détriment de l’état et du peuple congolais. La canadienne Emaxon a réussi un coup de maître en obtenant les droits exclusifs sur l’exploitation des diamants. Sans commentaires.

Anvil Mining exploite trois sites au Katanga. C’est surtout celui de Dikulushi qui a attiré l’attention de la commission de révision de contrats. Ladite commission a sourcillé sur le fait qu’une clause d’un contrat signé en 1998 accorde à Anvil Mining et ses sous-traitants une exemption totale d’impôts et de royalties pour une période de 20 ans. Pour le site de Mutoshi, on peut facilement constater les conséquences tant socio-économiques qu’écologiques. Les habitants de Mutoshi se voient obligés de sacrifier leurs habitations pour extraire le minerai connu sous le nom d’hétérogenite (mélange de cobalt et cuivre). On peut imaginer que l’impact écologique n’est pas une préoccupation majeure des creuseurs artisanaux. Pour certains « exploitants » miniers, les droits de la personne ne représentent pas une préoccupation majeure. En 2005, l’entreprise canadienne Anvil Mining a reconnu avoir fourni un appui logistique pour le transport des unités combattantes de l’armée nationale dans le cadre d’une opération qui s’est soldée par la perte de vies civiles. Parmi les victimes, on comptait un grand nombre de femmes et d’enfants.

Au courant de cette année, la ville de Likasi au Katanga a été le théâtre de violents affrontements opposant les forces de l’ordre aux centaines de creuseurs artisanaux. Bilan de ces affrontements: 1 mort et 32 blessés. Ces incidents ont été provoqués par l’expulsion des creuseurs artisanaux d’une ancienne carrière abandonnée par la Gécamines. Cette carrière située à Kamatanda (environ 7 km de Likasi) a été récemment transférée à une entreprise d’exploitation minière à capitaux canadiens.

L’impact écologique des activités minières est de plus en plus évident. Les grandes quantités de produits chimiques déversés dans les mines se retrouvent dans les nappes phréatiques. Ces dernières s’en trouvent contaminées. Les cours d’eau sont pollués par les déchets chimiques. Il y a quelques jours, Radio Okapi, couvrant toute l’étendue du territoire de la RDC, rapportait une situation inquiétante. Elle relayait une information publiée par le Centre des droits de l’homme et du droit humanitaire (CDH) dénonçant la pollution de l’eau de consommation domestique à Lubumbashi, une ville de 4 millions d’habitants et aussi la capitale de la province du Katanga. L’ONG de défense des droits de la personne met à l’index les « exploitants » miniers et fait état de « l’existence de plusieurs cas de déformation congénitale constatés dans divers hôpitaux de la ville. Un phénomène qui serait une conséquence de la consommation d’une eau polluée ».

LE PARADOXE

Environ 60% des entreprises minières opérant en Afrique sont canadiennes et/ou elles sont à capitaux canadiens. Presque partout où il y a des activités minières en Afrique, il y a de sérieux problèmes. Ces défis ne sont pas que socio-économiques. Ils sont écologiques et affectent les droits de la personne. Ce qui est bon pour le Canada, l’Afrique ne le merite pas. Une attitude généralisée chez les miniers opérant en Afrique qui semble informer leurs prise de décision ainsi que leurs actions.

Le Peter Munk Cardiac Centre ainsi que le Peter Munk International Centre de l’université de Toronto bénéficient de la générosité du président de Barrick Gold. Teachers Pensions, OMERS, Canada Pension Plan et autres investissent dans les entreprises minières canadiennes opérant RDC. Tout le monde en profite! Cependant, les royalties que ces «exploitants» miniers payent à l’état congolais frôlent à peine les 5%.

Pour la RDC, 75% d’une population totale d’environ 60 million d’habitants (soit environ 45 millions d’âmes) survivent avec moins d’un dollar par jour. Les coûts de production sont très bas, le chômage y est endémique. Les activités syndicales sont souvent torpillées. Il y a deux ans Banro Corporation, détenteur de 13 permis d’exploitation dans le Sud Kivu couvrant des concessions qui regorgent approximativement 2178 millions onces d’or se targuait d’avoir contribué au bien-être de la population locale en offrant une petite cuisine à l’hôpital local.

L’ACDI et la SNC-Lavalin ont dépensé presque 2 millions de dollars canadiens sur une étude de préfaisabilité pour la construction du barrage hydroélectrique Inga 3. L’électricité produite par Inga 3 sera pour l’exportation. En d’autres mots, les habitants du coin peuvent continuer à abattre les arbres pour faire du charbon utilisé pour la cuisson des aliments et exacerber, outre l’appauvrissement du sol, les érosions. A la dernière rencontre qui s’est tenue à Londres sur cet important projet, les représentants du gouvernement de la RDC et ceux de la société civile n’ont pas eu voix au chapitre. Selon Alain Deneault, « il est inquiétant de voir les agences gouvernementales, comme l’ACDI, octroyer des fonds d’aide au développement à certains pays africains, alors qu’au même moment des compagnies canadiennes se livrent parfois au pillage des ressources de ce même pays. L’ACDI agit comme une agence de marketing pour le Canada, permettant de masquer les abus commis par les compagnies canadiennes ». On pourrait se demander si les obligations tant légales que morales qui s’appliquent aux entreprises minières au Canada ne peuvent pas avoir cours sous les tropiques. Nul doute que la motivation première des entreprises minières est simple: faire des profits. Cependant, ceci n’est pas une raison pour ne pas respecter les conditions d’engagement envers les pays hôtes. En grande partie, ces entreprises recourent aux méthodes n’ayant pas cours au Canada. Celles-ci comprennent les pratiques financières prédatrices, la violation de droits humains fondamentaux, la violation de normes écologiques, séquestration des ressources par des « exploitants » n’ayant pas les moyens de les valoriser. Indubitablement, ces pratiques compromettent l’avenir du continent africain.

Avec Alain Deneault, on peut aussi se poser la question suivante: « pour la population canadienne, à quoi peut servir l’exploitation éhontée du diamant, de l’or en Afrique comme au Canada, si en plus les profits engendrés vont alimenter des compagnies suspectes qui s’attaquent au bien commun? ».

* Mikhael Missakabo est un professeur de sciences à la George Brown Community College à Toronto. Il a quitté la République démocratique du Congo il y a 20 ans, mais il suit attentivement l'évolution du pays.
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