La lente émergence politique des Africaines de l’ouest francophone

Durant la période coloniale, les Africaines ont su utiliser les failles du système d’oppression pour trouver des interstices de libertés occultées et jouer un rôle déterminant et actif dans les luttes pour l’indépendance de leur patrie respective. Aujourd’hui d’autres défis se posent pour leur émergence politique, auxquels elles doivent apporter des réponses.

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C G

En politique, les femmes jouent des coudes pour se faire une place. C’est le cas partout dans le monde, mais ce phénomène est plus exacerbé en Afrique. Sur le continent, les femmes élues locales représenteraient environ 12%, un chiffre en constante augmentation, mais il est trompeur car dans certains pays on ne frôle pas les 10%. Pour gravir les échelons, les femmes doivent se battre contre les clichés, contre les mentalités et parfois même… contre leurs semblables… (op cité JA du 8 juin /2011). En effet, pour introduire cette contribution sur la lente émergence politique des africaines de l’Ouest francophone, nous avons été submergée par de nombreux exemples tant les faits en la matière sont légions.

La réflexion sur le thème susmentionné (l’accès des femmes au pouvoir politique) est déterminante, car la compilation des contraintes et obstacles est extrêmement lourde et récurrente (poids rétrogrades, des coutumes souvent sexistes). Les freins sociétaux empêchent les femmes de peser de tout leurs “poids“ dans les instances de décisions sur les choix et les orientations des projets de société en particulier et des programmes qui leur sont en général destinés.

A travers les recherches menées sur le terrain au cours de la préparation de ma thèse de doctorat en Anthropologie Sociale et Ethnologie : « Côte d’Ivoire : Emergence, dynamique et recomposition de la société civile, lecture et interprétation sous la crise militaro-politique de 2000 à 2011 », où je traite des chapitres sur l’activisme des femmes, tant dans la société civile que dans la sphère politique, qui naturellement se sont imposés à moi. Je signale au passage que le fait pour moi de faire partie de la gent féminine, axe centrale de mon étude, n’entame en rien l’objectivité de cette recherche. Bien au contraire, cette appartenance a été pour moi un atout majeur pour mieux déceler et rendre compte des paradigmes qui entourent cette thématique.

Le thème “La lente émergence politique des femmes en Afrique de l’Ouest francophone“ peut être interprété autrement comme tel : “Le difficile accès des femmes au pouvoir ou à la sphère politique“. C’est un thème de prédilection qui est prôné par les défenseurs des droits des femmes ou du genre, même s’il n’occupe pas le même centre d’intérêt que la démocratie, la citoyenneté, la lutte contre l’impunité et les questions liées à la bonne gouvernance.

Pour une meilleur analyse, nous allons articuler cette thématique autour de trois grandes parties, chacune étant démembrée en sous parties avec leurs argumentations mises à la fin et une conclusion succincte posant la problématique liée à l’entrée ou la (re) entrée du genre féminin en politique en Afrique de l’Ouest francophone.

Le plan ainsi libellé, les femmes vont être actrices pleines et affirmées du jeu démocratique ou resteront-elles seulement les artifices politiques “manipulées“ ou “instrumentalisées à dessein par le sexe dit “fort “et les partis politiques ? Doivent-elles s’ériger en « arrachant » “leurs indépendances politique comme l’ont fait leurs ancêtres mères pendant les luttes d’émancipation et d’indépendance, ou accepter une situation de fait qui, depuis les temps immémoriaux, les exhorte à la soumission et donc à une domination de fait des hommes ?

Dans tous les cas de figures, ces femmes ont le choix entre le sacrifice, le don de soi et les résultats à atteindre dans le cas de la mise en œuvre de la Plateforme de Beijing (1995 en Chine) qui met en exergue “une participation égale des femmes et des hommes à la prise de décision». Cette dynamique établira un équilibre et correspondra mieux à la composition de la société. Ce qui est nécessaire au renforcement de l’égalité dans la prise de décision qui donnera aux femmes un poids qui seul permettra l’intégration dans une perspective égalitaire dans l’élaboration des politiques. L’égalité de participation aux prises de décision n’est pas seulement une question de justice et de démocratie, on peut y voir également une condition nécessaire pour que les intérêts des femmes soient pris effectivement en compte.

HISTORICITE SUR L’EVOLUTION DES FEMMES EN AFRIQUE DE L’OUEST FRANCOPHONE

Différents témoignages recoupés d’historiens, d’historiennes révèlent que pendant la période précoloniale (ancestrale) la gente féminine occupait une place de choix dans nos sociétés traditionnelles africaines, notamment dans la prise de décision engageant la destinée du village pour des guerres ou des alliances interethniques, etc. Pendant la colonisation du continent africain par les grandes puissances occidentales et son corollaire d’abus, des discriminations perpétrées par les Européens d’une part, et une christianisation souvent forcée (hérésies) et une islamisation agressive d’autre part, ont poussé les femmes à la périphérie des espaces politiques.

a) - Période ancestrale : De la “bête de somme“ à la femme de pouvoir
Avant d’aborder le volet de ce thème, il est impérieux de poser des jalons en balisant par quelque repères anthropologiques et historiques relatifs aux rôles et statuts des femmes et procéder ensuite à une évaluation minutieuse de leur évolution politique. Le domaine géographique que nous étudierons est l’Afrique de l’Ouest francophone. Etant donné l’immensité de cette partie du continent, dans un souci de clarté nous limiterons notre champ d’étude aux pays suivants : Côte d’Ivoire, Mali, Burkina Faso, Benin, Sénégal, Niger. Ces pays sont présents dans la même aire géographique mais mieux, ont été colonisés par la même puissance coloniale, la France. Cependant il est à noter que tous n’ont pas les mêmes acquis politiques et avantages pour la gente féminine. La Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Mali retiendront l’essentiel de notre recherche.

Les Africaines dans les cercles du pouvoir
Le précieux ouvrage de Silvie Serbin “Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire“ publié en 2004 nous donne quelques profils qui mériteraient toute notre attention ; mais vu le temps qui nous est imparti, nous ferons une pause sur quelques héroïnes de l’Afrique de l’Ouest francophone.

Dans toute quête harassante de repères, de symboles mais surtout de modèles de leadership féminin pouvant stimuler notre aspiration et une modernité fondée sur l’égalité des femmes dans la gestion commune de la politique, nombreuses figures de femmes issues de plusieurs classes sociales émergent à travers nos mythes et histoires de nos peuples. Ces Africaines extraordinaires, par leur bravoure, leur témérité dans de multiples domaines ont marqué l’histoire du monde et partant celle de l’Afrique.

Le Sénégal
N’Datte Yalla M’bodj et Aline Sitoé Diata : Emblème de la résistance du peuple sénégalais, l’historiographie forgée par l’occident tend à nous vendre “la sauce du vainqueur“ en faisant croire que l’occupation coloniale a été “une promenade de santé“, à la limite que c’était comme une“ lettre à la poste“, et pourtant, du côté de ceux qui ont été vaincus, c’est tout le contraire car ces braves dames ont mené une résistance farouche. La reine N’Datte Yalla et la prêtresse de Casamance Aline Sitoé Diata ont combattu farouchement les colons.

L’engouement pour la chose publique a toujours attiré les sénégalais. A travers d’ailleurs une réflexion scientifique, Mme Rhokaya Fall, enseignante au département d’Histoire de l’Université Cheikh Anta Diop, dans “Femme et pouvoirs dans les sociétés sénégambiennes“, tente de restituer l’histoire de ces braves et héroïques femmes.

D’emblée, elle indique les statuts pluriels de la femme dans les sociétés Wolof, Joola et Sereer. Celles-ci se distinguent d’abord par leur milieu culturel, trait de différenciation, puis ensuite par l’ethnie, l’aire géographique et la religion qui a joué un rôle essentiel dans la marginalisation des Sénégalaises soit par l’exclusion soit par la soumission totale au “mâle“.

L’islam, par ailleurs, a transformé à l’instar des autres pays francophones la mentalité de l’homme sénégalais. Rhokaya Fall, à travers sa contribution suscitée, évoque l’importance du matrilignage à travers des groupes ethniques du Sénégal à l’exception des Hal Pulaar qui pratiquent le patrilignage. Le poids des traditions aidant, la gente féminine héritera du statut minoritaire et sera comme conséquence logique considérée inférieure à l’homme. Plus tard, elles prendront leur indépendance sur l’histoire lorsqu’apparaitront les mouvances politiques sous l’ère coloniale. Cependant, à travers l’ordre juridique traditionnel, et du statut particulier que l’ordre conférait, les Sénégalaises pouvaient être Garmi (ordre sociale supérieur) ou Badolo (caste sociale inférieure).

A l’instar du Mandé (Manding), les sociétés Wolof, Hal Pulaar, Serer sont hiérarchisées. Chaque nom patronymique représente soit une activité sociale professionnelle, soit un rang social définissant l’appartenance lignagère de l’individu et l’archétype qui permet lors des célébrations de tous ordres d’identifier telle ou telle personne en évitant les “mélanges du genre“.

Ainsi les leaders féminins des appareils politiques coutumiers étaient nommés :
- Gami (Wolof)
- Gelwar (Sereer)
- Torodo (Hal pulaar)

De ces prérogatives et privilèges, ces braves dames joueront certes des rôles de premier plan au sein de leurs communautés respectives, mais n’exerceront pas le pouvoir plein et entier pour le seul motif que leur souverain (roi) ne leur a délégué qu’une infime partie de son pouvoir.

La Côte d’Ivoire
Jusqu’au début du XVIIIème siècle, Abla Pokou était la nièce du roi Osséi Tutu, fondateur du royaume Ashanti (Ghana). A la mort de ce dernier, son neveu lui succéda sur le trône en vertu de la loi matrilinéaire (succession par lignée maternelle). Au milieu du XVIIIème siècle une scission au sein du peuple Ashanti du Ghana actuel entraine l’exode d’une partie de la population vers l’Ouest, dirigée par les membres du clan royal avec à leur tête la princesse Abla Pokou. Pour sauver son peuple d’une noyade certaine, elle a dû sacrifier son fils unique : Baouli (l’enfant est mort), nom qui deviendra celui de son peuple.

Le Dahomey (Benin)
Les Amazones du Dahomey ont été un régiment militaire féminin qui fut très actif lors de l’envahissement de l’Afrique de l’Ouest par les Européens en 1890. Le roi Béhanzin les mit au service pour la défense de leur territoire contre les forces françaises. Sur le plan économique, au niveau de la production agricole, la Dahoméenne était cantonnée dans un rôle bien défini, surtout dans le cadre de la division sexuelle du travail. Elles s’occupaient des semis, des récoltes et de la cueillette, du repiquage, de la vente et du troc des produits agricoles. Politiquement, elles sont absentes des instances du pouvoir. Cependant sur le plan social, trois types de reproduction leur étaient dévolus :
- La reproduction sociale
- La force du travail
- La reproduction biologique

Conclusion partielle
Nos mères issues des sociétés traditionnelles n’étaient pas au-devant du pouvoir, exceptées certaines reines Abla Pokou, M’bodj du walo et N’goné latyr du Sénégal, etc. Disposant d’un statut social juridique, social et économique variant d’une zone géographique à l’autre, malgré des handicaps inhérents au genre, elles ont su marquer l’histoire de leurs belles empreintes indélébiles, malheureusement méconnues dans les ouvrages.

b) Période coloniale : De la résistance à l’occupation coloniale, prélude à l’émancipation

La colonisation ne fut pas un “rempart protecteur“ des Africains de l’AOF contre les abus du colonat et des arbitraires masculins. Ils vont s’ériger contre l’occupation coloniale par tous les moyens en leur possession. En voici quelques exemples :

En Côte d’Ivoire
Lors de la pacification de la Côte d’Ivoire initiée par le gouverneur Angoulvant, les femmes menaient concomitamment auprès des hommes la résistance passive, socioculturelle (danse sacrée-rituel de l’Adjanou), les alliances interethniques, les masques sacrés et cultes religieux (syncrétisme religieux). A cela il faut ajouter :
- l’exode des bras valides vers la Gold Coast (actuel Ghana)
- la fuite
- le refus de payer l’impôt de capitation
- le refus des travaux forcés etc.

Avant l’implantation du colonat en Côte d’Ivoire, les Akan, à travers des organisations politiques, religieuses, féminines telles le Bomampi (Attié) et l’Adjanou (Baoulé) donnaient leur avis, lorsqu’une situation soudaine se manifestait, sur la marche à suivre. Leurs actions étaient certes occultes et collectives mais pouvaient être dansées de façon individuelle pour le salut de la société en générale et des personnes en particulier.

L’Adjanou est un rituel sacré que seules des femmes initiées pratiquent lors d’une guerre, ou d’une grande catastrophe, une sécheresse, la famine ou un incendie. Pour arrêter le désastre, seules les femmes initiées la danse toutes vêtues de blanc, le corps bariolé de kaolin. Selon les circonstances aggravantes, elles dansent également nues avec interdiction formelle à tous les non-initiés de les regarder. En cette circonstance, toute la communauté se réfugie en lieu sûr. Après les déportations massives des hommes hors des frontières, ce sont les Ivoiriennes qui par les moyens susmentionnés assuraient la résistance passive.

Exemple : A Alloko Koffikro, des femmes telles Nanan Kumo, Koffi Ipou, coordonnaient la résistance passive vers les années 1920-1930. Peu à peu, malgré la masculinisation du pouvoir due en partie à une conquête farouchement menée, la deuxième guerre mondiale et ses conséquences internationales dans les colonies françaises et la conférence de Brazzaville en 1944, insufflera une dynamique de liberté dans les territoires occupés.

Au Niger
Dans le cadre des luttes contre la colonisation, notamment au Niger, la résistante Anounia Mangou, reine des tribus Azbas, a mobilisé les guerriers, les chasseurs de son village. La détermination de celle-ci à combattre les colons français qui venaient détruire son pays occasionna un affrontement sanglant le 16 avril 1889 qui, malheureusement s’est soldé par une défaite.

La participation des nigériennes aux luttes du RDA fut remarquable. Le RDA, crée en octobre 1946 au congrès de Bamako, était un parti minoritaire au Sénégal, mais au Niger c’était le contraire, tout comme en Côte d’Ivoire, au Mali, en Guinée etc. La combativité des nigériennes, comme partout en AOF, était inégalée mais très peu diffusée dans les medias. Elles se sont battues corps et âme pour les indépendances de leurs patries. Très tôt, elles se sont engagées en masse dans les actions du RDA en tant qu’animatrices et organisatrices insoupçonnées des manifestations dédiées à cet effet.

Exemple : La part active des Magajiyas lors des mobilisations des masses à travers chants guerriers, danses etc. Les Nigériennes à l’instar de leurs homologues maliennes, sénégalaises, ivoiriennes et béninoises, s’élevaient contre les abus des colons et subissaient les mêmes répressions infligées aux hommes. Ce qui n’entamait en rien leur détermination à la résistance contre les violations graves des droits humains.

Au Sénégal
La capitale de l’AOF bénéficie du privilège qui consiste à créer des partis politiques, puis par le biais des quatre communes qui, dès 1833, par une ordonnance royale, reconnaît la qualité de citoyen libre à tous les habitants de quatre villes que comptait le Sénégal : Gorée, Saint Louis, Dakar, Rufisque. Dès 1887, la loi accordait à ces quatre communes un député au parlement français. Tous les autres peuples de l’AOF à l’exception de ces quatre communes étaient considérés comme des « indigènes ». Cependant, les masses féminines vont impulser une nouvelle dynamique qui va créer progressivement des circonstances favorables à leur épanouissement dans la vie politique.

Les Signares (du portugais Senhoras) : Métisses issus de l’union des portugais avec les femmes Wolof et Fula, ce sont des Africaines ou métisses que l’Européen (riches commerçants, colons aristocrates) épousait à la mode du pays (tradition sénégalaise durant le séjour de l’Européen sous la colonie puis dès le retour au bercail de l’Européen l’union est mise en berne). Elles constituaient la haute société de la commune de Saint Louis et de Gorée jusqu’au XIXème siècle. Leur existence s’arrêta avec la modernisation des conditions de vie de “la communauté blanche européenne“. Elles vont régner sur le commerce et se distinguer par une grande richesse dans l’île de Gorée et à Saint Louis tout en jouant un rôle important dans la sphère politique.

Les grandes puissantes Signares font et défont les gouverneurs. Exemple : Signare Cathy Louet, la plus riche d’entre elles à Gorée, à la fin du 17ème siècle, possède une grande bâtisse de 4000m2 sur laquelle vivent 64 captifs de case. Son pouvoir s’étend jusqu’à la nomination des gouverneurs de l’administration coloniale.

Les Signares ayant connu leurs heures de gloire, vont perdre leur pouvoir à la fin du XIXème siècle. Les “petits blancs“ ayant prospéré dans les colonies vont les combattre, les mépriser en les “amalgamant “ avec les indigènes des autres territoires de l’AOF. Leur déclin va de pair avec l’ascension d’un pouvoir patriarcal de la fin du XIXème siècle, mettant en avant le code qui interdit aux femmes de commercer avec l’étranger sans l’autorisation de l’époux. La femme réduite en mineure non émancipée et dont le pouvoir matriarcal est battu en brèche par les aristocrates bordelaises, va connaître un déclin avec à la clé la disparition de leur pouvoir économique et politique.

Avant que le droit électoral, voire la participation effective aux élections ne leur soit accordée, les Sénégalaises avaient un rôle essentiel dans la vie politique en tant qu’agents d’animation électorale ou mobilisatrice. Dans ce domaine les nombreuses historiographies datant de cette période sont répertoriées à l’Ifan (Dakar)

Des leaders politiques tels que Blaise Diagne, Galandou Diouf, Lamine Gueye surent utiliser leurs qualités de mobilisatrices des couches populaires féminines. Ces animations revêtaient parfois des aspects folkloriques où les militantes utilisaient leurs charmes pour engager les masses populaire, à porter les uniformes arborant les effigies de leurs mentors respectifs pour faire passer leurs messages politiques. Cependant, il ne faudra pas sous-estimer ces mobilisations féminines folkloriques qui haranguaient les foules sur son passage. La participation féminine à la vie politique sénégalaise a joué un rôle prépondérant notamment lors de l’avènement de la SFIO (parti de gauche français, 1930). Elles ont réussi à maintenir la “flamme“ du Parti socialiste du haut de l’estrade face à ses concurrents parmi lesquels Senghor (1947-1958).

Malgré les oppressions que ces femmes ont subies de la part de l’ordre arbitraire imposé par le colonat, elles vont user de l’astuce pour imposer leurs marques de “fabrique“ en tant que résistantes. Elles obtiendront pour certaines en AOF, dès 1956, le droit de vote (électrice-éligible) à l’instar des femmes de la métropole en France.

LA LONGUE MARCHE DES AFRICAINES DE L’OUEST FRANCOPHONES VERS LES INDEPENDANCES

Un fait important qui a retenu notre attention tout au long des recherches sur la thématique de l’émergence du genre féminin en politique dans les colonies françaises, ce sont indiscutablement les “états généraux du féminisme“ qui se sont tenus en marge de “l’exposition coloniale de 1931“ à Paris. La mobilisation fut initiée par les“ femmes bien pensantes“, les missionnaires qui ont analysé les thèmes à défendre tels les aspects sociaux : famille, santé, etc., suivi par la suite de la grande enquête lancée par le Front populaire nouvellement arrivé au pouvoir en France avec en arrière-plan l’élan paternaliste. Malgré leur exclusion (les femmes) des rares institutions libres des dominés, elles n’entendaient pas se laisser écraser, elles procédaient par d’autres voies telles que la création d’associations (loi sur les associations de 1937, JO) ou la sensibilisation des jeunes femmes.

L’arrivée du Front populaire à la tête de l’Etat français, les changements notables survenus dans le monde à la fin de la Deuxième Guerre mondiale ont édicté de nouvelles règles liées à la participation politique des femmes en générale. L’éveil des consciences impulsé par les “évolués“(intellectuelles des colonies) n’est pas en marge de cette dynamique. L’instauration du suffrage universelle incluant une participation effective des femmes dans le domaine du destin de leur patrie est salutaire. Mais ne nous leurrons pas, car derrière cette volonté politique du colonisateur un calcul s’imposait à lui, celui du contrôle des associations féminines et de ses affidées. A l’instar de la France, les colonies ne vont pas s’empresser de conférer le droit de vote aux femmes, mais elles concédaient plus d’ouverture en la matière aux hommes. L’accès au suffrage étant limité pour les deux sexes du fait de l’existence d’un double collège à l’exception du Sénégal (04 communes).

Aoua Keita femme élue du bureau politique de l’Union Soudanaise du RDA en 1958 et député du Soudan français en 1959, se battit pour l’acquisition des droits politiques, des revendications des femmes. Elle fut l’une des ténors de la mobilisation pour l’implantation du RDA.

Il faut retenir que l’immense historicité politique des femmes de l’Afrique de l’Ouest francophone, malgré les luttes qu’elles ont mené, très peu ont accédé à des responsabilités politiques de grandes envergures. Elles ont pour leur grande majorité été à l’école de l’AOF (Dakar). Les anciennes de William Ponty ont beaucoup lutté pour l’acquisition des indépendances.

Exemple : Dans les travaux de Ruth Schachter Morgenthan sur les participations des femmes à la lutte nationaliste avant les années 1960 se trouve évoqués des noms ci-dessous :
- Madame Ouezzin Coulibaly (Côte d’Ivoire et Haute Volta, dictionnaire des femmes célèbres du Mali, de l’historienne Adam Ba Konaré, 1999)
- Madame Namissa Touré, future députée, présida la sous-section du RDA dans le Macina (Mali)

Pour conclure, certaines de nos mères ont déjoué les obstacles pour faire leurs voies. Elles ont utilisé les failles du système colonial, les interstices de libertés occultées par le colonat, non seulement pour imposer leurs revendications sociales mais aussi pour jouer un rôle déterminant et actif pour “arracher“ l’indépendance de leur patrie respective. L’accession au pouvoir traditionnel ou coutumier combiné à un militantisme alliant folklore et modernisme permit une large ouverture pour la promotion de ces braves militants et résistants dans les sphères politiques. En dépit de tout et contre tous, car ce n’était pas gagné d’avance que d’espérer pour les femmes une place même en second plan auprès des hommes par le biais de la société civile (coopérative, associations culturelles, associations d’entraide). Toutefois leurs manipulations à des fins politiciennes n’étaient pas négligeables.

APRES LES INDEPENDANCES : BILAN ET PERSPECTIVES DES ACQUIS APRES LES LUTTES OU RESISTANCES ACHARNEES CONTRE L’OCCUPATION COLONIALE

Après l’octroi des indépendances fin 1959, ces femmes sont tombées dans l’oubli. Mieux, leur marginalisation dans les sphères étatiques s’accéléra. L’inégalité d’accès à l’enseignement, la reproduction des modèles occidentaux pourtant contestés en Europe par les mouvements féministes jouissait d’un grand regard en Afrique. Les femmes dans les partis politiques étaient de nouveau marginalisées, ou simplement cantonnées dans les structures féminines de ces partis comme “bétail électorale“ pour les élections futures. Exemple : AFI (association des femmes ivoirienne, PDCI), OFPI (association des femmes du front populaire ivoirien, FPI), RFR (rassemblement des femmes républicaines, RDR).

Pour conclure (partiellement), la colonisation a imposé son point de vue en appliquant ses us et coutumes pour “le traitement des femmes“. Elles ont été exclues des cercles de décision et de pouvoir malgré la pratique du matrilignage d’actualité. Dans certaines zones du continent africain, les femmes ont joué d’ingéniosité pour faire entendre leurs voix notamment dans le domaine religieux à l’exception de l’islam. Les obstacles ont été contournés efficacement. Les contestations ont été menées par exemple par les femmes du Niger mais aussi les ivoiriennes par le biais de l’Adjanou. Cependant, malgré ce vent de changement, beaucoup reste à faire car la “chosification de la femme“ continue de sévir. Il s’agit notamment du changement des mentalités, des traditions rétrogrades, sexistes etc.

LES AFRICAINES DE L’OUEST FRANCOPHONE A L’AUNE DE LEUR EMANCIPATION POLITIQUE

La quête d’égalité est de nos jours une préoccupation essentielle des femmes de l’Ouest africain francophone. La sphère politique reste encore le domaine de prédilection de la gent masculine. Selon Aïssata Tall, « ce que la politique enseigne aux femmes, c’est que rien ne leur est donné d’avance ». Les dernières décennies ont été caractérisées par l’adoption de nombreux textes relatifs à l’égalité, l’équité des sexes et au renforcement des pouvoirs de la gent féminine. A titre d’exemple :
- l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard de la femme (CEDEF, 1979)
- la plate-forme d’action de Dakar (1994)
- le programme d’action de Beijing (1995)
- la politique genre de la CEDEAO (2002)
- le protocole de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatifs aux droits de la femme en Afrique (2003)
- la déclaration solennelle des chefs d’Etats de l’Union Africaine sur l’égalité entre les femmes et les hommes en Afrique de l’Ouest (2004)
- la resolution1325 sur les femmes, paix et sécurité (2000) et les résolutions connexes 1820 (2008), 1888 et 1889 (2009) du conseil de sécurité des Nations Unis.

En dépit de toutes ces bonnes intentions et celles les Etats de l’Afrique de l’Ouest, les femmes ne bénéficient pas encore d’un traitement efficient en matière de participation à la vie politique.

LES CONSTATS LIES A CETTE NON -PARTICIPATION DES FEMMES EN POLITIQUE

L’idéal démocratique en principe repose sur la conception que le pouvoir politique émane du peuple souverain. Il ne peut y avoir de démocratie sans implication des citoyens (nes). La violence fondée sur le genre est une violation criante des droits humains.

Les résistances socioculturelles
Ces modèles rétrogrades et stéréotypés fondés sur l’infériorité du genre féminin conduisent inéluctablement à la masculinisation de certaines responsabilités et activités politiques. Elles sont peu ou très peu à accéder aux postes de responsabilité. Des pratiques sociales fondées sur les coutumes ou religions font barrière ou s’érige en obstacles aux principes de l’égalité homme/femme (système patriarcal) en les subordonnant de manière permanente. Ainsi l’analphabétisme chronique, les charges familiales, la pauvreté, la dévalorisation du politique, la condition des femmes elles-mêmes constituent des pesanteurs dirimantes.

QUELLES STRATEGIE ADOPTER EN VUE D’UNE IMPLICATION PLEINE ET ENTIERE DES AFRICAINES DE L’OUEST FRANCOPHONES EN POLITIQUE ?

Il faut reconnaître d’ores et déjà que les femmes africaines en général et en particulier celles de l’Afrique de l’Ouest francophone n’ont pas la partie facile malgré leur acharnement au travail. Vu les modes d’organisations d’entraides astucieuses qu’elles tiennent sur leurs frêles épaules pour l’épanouissement de nombreuses familles, on comprend mal pourquoi cette majorité silencieuse n’est-elle pas représentative en politique (réponses ébauchées plus haut). Enfin, il faudrait que la femme africaine de l’Ouest francophone reconnaisse ses propres valeurs, ses potentialités, qu’elle se prenne en clair en main.

Pour ce faire, voici énumérées quelques pistes de réflexions que nous pouvons mûrir ensemble :
- renforcement de la volonté politique chez les dirigeants en impliquant de manière quantitative et qualitative les femmes à la gestion du pouvoir politique.
- sensibilisation, information et communication à l’endroit de tous, portant sur les droits des femmes à travers colloque, tribunes, séminaires.
- éducation et formation. L’école doit être ouverte davantage aux petites filles et aux femmes politiques pour l’acquisition de la culture générale.
- Soutien aux femmes engagées en politique, la politique de parité, le quota etc.

CONCLUSION

Le poids des coutumes, des religions ont entraîné une marginalisation des africaines de l’Ouest francophones comme précédemment évoquée, elles ont su pendant la domination coloniale “renverser“ la vapeur à leur avantage à travers une ingéniosité jamais égalée. Ces prouesses les inscrivent certes dans une seconde place à tort ou à raison, parfois instrumentalisées par des politiciens, mais ont tout de même marqué l’histoire des résistances farouches contre la colonisation, puis au fil du temps gagné en respect quand vint la période de l’éveil des consciences avec son corollaire d’ indépendance.

Méconnues à travers une historiographie des “vainqueurs“, les femmes d’Afrique francophones sont aujourd’hui réhabilitées, grâce aux recherches menées par des scientifiques spécialisés dans le genre tel Pascale Barthelemy, Odile Goerg, Catherine Coquery. Cette lacune est en train d’être réparée. Pour finir, « si le monde politique est une jungle, nous n’avons pas droit, au nom du devoir d’assistance à personne en danger de laisser les hommes s’y promener seul. Nous devons être à leurs côtés et même parfois aux postes d’avant garde pour prévenir et combattre les dangers de cette jungle et la rendre viable » (Mme Ouédraogo, activiste féministe du Burkina Faso, UNIFEM)

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** Kouyaté Oumou est doctorante à l’EHESS /CEAF Paris (France) en Anthropologie Sociale et Ethnologie, attachée de recherche au Centre de Recherche et de Développement de l’Université de Bouake (Côte d’Ivoire).

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