La conjuration du "printemps arabe"
La tâche des véritables révolutionnaires arabes qui souhaitent changer l’ordre social existant et sortir définitivement leur peuple et leur nation de l’oppression néocoloniale impériale est loin d’être un processus achevé. L’espoir de libération économique, politique et sociologique ne se suffit pas des révoltes arabes actuelles. La voie est cependant toute tracée.
Analyser le mouvement historique qui bouleverse depuis deux ans cette civilisation arabe millénaire c’est comme étudier un organisme vivant – complexe – aux organes innombrables et aux fonctions multiples, inter reliées et interdépendantes. Une crise de croissance d’aussi grande ampleur ne peut être la résultante d’un seul facteur, d’un seul vecteur, ni ne peut provoquer une simple éviction immunitaire. Les variables qui orientent le « Printemps arabe » sont nombreuses et les conséquences multiples.
Qu’en est-il au juste de ces révoltes – « révolutions » – et insurrections dévoyées qui ont secoué les pays arabes des régions du Maghreb et du Machrek entre les années 2010 et 2012 ?
Le « Printemps arabe » ne s’est pas transformé en « Hiver salafiste » par mimétisme ou par atavisme. Aux forces sociales actives au sein des différentes sociétés nationales, ethniques, religieuses, tribales, néocoloniales peuplant ce sous-continent, on imposa tout un processus de maturation, d’adaptation, de réaction et de récupération pour maintenir en place, sous une façade caméléon, la structure sociale antique-tétanisée correspondant au développement des forces productives capitalistes sous sujétion néocoloniales et aux rapports sociaux dégénérés qui perdurent dans ces différents pays sous-développés-dominés soumis aux puissances impérialistes (États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Allemagne, Russie, Chine).
Comme l’écrit cyniquement un agent secret français, porte-faix en partie responsable de cet état de fait, «il fallait tout de même être naïf pour croire que, dans des pays soumis depuis un demi-siècle à des dictatures qui avaient éliminé toute forme d’opposition libérale et pluraliste, la démocratie et la liberté (sic) allaient jaillir comme le génie de la lampe par la seule vertu d’un Internet auquel n’a accès qu’une infime minorité de privilégiés de ces sociétés. » (1).
Mais le « Printemps arabe » était-il une quête de démocratie électoraliste bourgeoise – une poursuite du crétinisme parlementaire ? De l’immolation désespérée d’un étudiant à Sidi Bouzid (17 décembre 2010) à la guerre mercenaire d’invasion de l’OTAN contre Damas et Alep (15 juillet 2012), l’organisme social appelé « Civilisation arabe » a été gros d’une révolution que les pétro-monarchies théocratiques du Golfe, assistées par leurs complices opportunistes, socialistes et chrétiens-démocrates, et autres intégristes fascistes turques, jordaniens, israéliens, libanais, sous la houlette de leurs puissances impérialistes de tutelle, sont parvenues à contrer pour forcer l’accouchement d’un bébé mort-né – contraint de « voter pour choisir son potiche » – exterminant de ce fait – pensaient-elles ces puissances de tutelles – tout espoir de libération économique, politique et sociologique véritable des sociétés arabes.
Les puissances impérialistes de tutelle se trompaient cependant, car le mouvement social arabe (subsumant toutes disputes ethno-religieuses et claniques) trouve sa source directement dans les conditions économiques misérables des peuples de ces pays exsangues où se côtoient la misère dégradante, la famine humiliante, le bidonville crasseux, l’analphabétisme déprimant, le chômage endémique, le désœuvrement dépravant, le patriarcat rétrograde, l’impossibilité même pour les nouvelles générations de simplement s’accoupler pour se perpétuer biologiquement et sociologiquement.
QUAND UN PEUPLE N’A PLUS RIEN A PERDRE
La source profonde de toutes ces révoltes arabes réside dans le désespoir qui porte tout naturellement la jeunesse puis le peuple tout entier à s’indigner, protester, quémander d’abord, puis à la fin exiger, non pas un bulletin de vote comme Hilary Clinton l’a insidieusement susurré, mais du pain, de l’eau, un logement et un avenir à partager pour en doter ses enfants.
Les contradictions insolubles et inéluctables du développement impérialiste mondial n’offrent aucun espoir aux prolétariats des pays dominants où la société de consommation des Trente Glorieuses commence à ressembler à un spectre évanescent – il n’y a que les «bobos» pour ne pas avoir remarqué que la crise économique récurrente détruit les fondements même de leur prospérité déclinante. Comment le développement capitaliste anarchique pourrait-il offrir un avenir aux prolétaires et aux travailleurs des pays arabes dominés-néo-colonisés ? Les révoltes arabes marquent la résurgence de ces mouvements de fond profonds qui bouleversent le monde impérialiste présent, tous continents confondus. Il est fort compréhensible que le maillon « arabe » faible de la chaîne d’oppression et de gouvernance impérialiste mondiale secoue le joug en avance.
N’ayez crainte cependant, en Europe, en Amérique, en Chine, en Inde et en Afrique les relais révolutionnaires s’accumulent et de grands cataclysmes sociaux se préparent. Regardez ce monde décadent trembler sur ses bases, terrifiant les possédants qui songent par instant à une guerre d’épuration raciale afin de trancher leurs différends, se repartager les marchés, les ressources minières, la biomasse, l’énergie et surtout les sources de plus-value pour davantage de profits et la reproduction élargie de leur système d’exploitation décadent.
Les révolutionnaires véritables seront-ils assez perspicaces et empressés pour préparer adéquatement leur « Printemps mondial » ? Saurons-nous anticiper le prochain épisode inéluctable de cette saga larvée afin de l’aider à survenir et à désintégrer ces sociétés paralysées ? Si nous faisons défaut d’orientation et d’organisation, nous nous condamnons à réécrire ce qui a déjà été écrit, convenu, vécu et perdu. La révolution empêchera leur guerre mondiale ou leur guerre universelle entraînera la révolution, c’est la seule solution.
REVENDICATIONS LEGITIMES INSATISFAITES
Les revendications légitimes de tous les peuples arabes et de toutes les minorités ethno-religieuses régionales, dans tout le sous-continent s’étendant du Maroc à l’Iran en passant par le Bahreïn, le Yémen, l’Égypte, le Liban, la Palestine occupée et la Syrie sont pourtant identiques : du pain, de l’eau, des logements, du travail, l’éducation des enfants, des soins pour les grands-parents et des conditions de vie humaines sans vilaines guerres « humanitaires » meurtrières. Bref, la satisfaction des conditions sociales de reproduction élargie de l’espèce humaine, ce que le système impérialiste moribond ne peut plus assurer et qu’il met en péril d’un point de vue simplement biologique et écologique. Les prolétaires arabes et leurs alliés, ainsi que les prolétaires du monde entier et leurs alliés, doivent éradiquer l’impérialisme et la classe capitaliste monopoliste s’ils souhaitent simplement survivre comme espèce.
La réponse des potentats arabes locaux a été partout la même : réprimer, matraquer, blesser, emprisonner, torturer et tuer sans vergogne, parfois, comme en Syrie, au motif avéré que l’opposition n’est qu’un ramassis de mercenaires assassins, criminels de guerre et terroristes soutenus par l’OTAN et exfiltrés de certains pays de « démocratures » (dictatures sorties des urnes par la magie des pétrodollars qataris et saoudiens). La voilà leur démocratie compradore adoubée par leurs maîtres dégénérés.
L’EFFROYABLE GUERRE DE SYRIE
La guerre de Syrie marque pourtant un tournant terrifiant. Depuis l’effondrement du social-impérialisme-soviétique en 1989, c’est la première guerre d’agression d’un peuple où les deux blocs impérialistes dominants s’affrontent indirectement pour le contrôle hégémonique d’un territoire déterminé et pour se jauger avant de se mesurer directement. Pour la première fois la Russie et ses alliés, l’Iran et l’Alliance de Shanghai, tiennent tête à l’OTAN, aux Américano-Européens et à leurs sous-fifres du Golfe persique et du reliquat Ottoman.
Du résultat de cet affrontement inter-impérialiste dépend la suite des guerres d’agressions néocoloniales impérialistes. L’Iran et le Pakistan seront-ils les suivants, ou l’OTAN devra-t-elle revoir ses plans pour le réaménagement du Grand Moyen-Orient ? Cette question sera tranchée à Damas d’ici la fin de l’été (2). Ce que l’analyste Georges Stanechy a ainsi décrit : « Mis en perspective géopolitique, les vetos russe et chinois, contre l’invasion de la Syrie par les forces occidentales, n’ont donc rien à voir avec le maintien d’une base navale ou d’un marché quelconque pour leur commerce extérieur. C’est un coup de semonce à l’encontre d’une utopie géopolitique que la nomenklatura de l’Empire (Étatsunien NDLR), imbibée de mégalomanie, se refuse à entendre. » (3).
En tous lieux sur la terre arabe, incluant les zones ethnico-religieuses minoritaires et la terre palestinienne occupée-colonisée (l’appartenance religieuse étant dans ces pays sous-industrialisés et économiquement atrophiés un facteur identitaire retardataire), les puissances impérialistes mondiales ont joué leur va-tout déterminant au milieu de la tourmente, imposant ici un changement de la garde (Égypte-Tunisie-Yémen) ; requérant là des aménagements constitutionnels « démocratiques bourgeois démagogiques » ; montant parfois le chapiteau de la mascarade électorale propre à rasséréner les guignols-des-« in-faux » occidentaux ; s’en remettant souvent aux partis politiques intégristes salafistes-wahhabites-Frères musulmans – qui furent si longtemps gardés en réserve de la dictature républicaine – derniers remparts pour mâter la légitime vindicte populaire et ouvrière.
Washington, Paris, Berlin, Londres, Moscou et Pékin savent bien qu’il sera toujours possible de mettre fin à ces foucades électorales si jamais la situation se corsait; ou de faire reprendre ad nauseam le vote aux insoumis; ou alors qu’il sera toujours temps de rappeler l’armée aux commandes – cet État dans l’État, ce contre-pouvoir omnipotent – dans cette arabesque de néo-colonies spoliées.
GAUCHISTES ET OPPORTUNISTES PATAUGENT DANS LE MARECAGE ELECTORAL
Malheureusement, le passé et le présent de ces insurrections populaires larvées ont été écrits dans le sang versé par les forces révolutionnaires authentiques, qui partout dans ces pays de guerre ont été, par les années passées, systématiquement et soigneusement exterminées – éradiquées. Les groupuscules opportunistes, les malfrats révisionnistes et les pseudos socialistes ayant survécu aux razzias fascistes se sont récemment précipités vers les urnes, heureux d’embrasser ces autels de conspiration ouverts à leurs supplications serviles : « Nous obtiendrons bien quelques strapontins d’arrière banc législatifs », gémissent-ils tous en chœur trouvant là réconfort à poursuivre leur collaboration de classe dans l’indignité et la servilité consacrée.
LES TACHES QUI S’IMPOSENT
La tâche des véritables révolutionnaires arabes qui souhaitent changer l’ordre social existant et sortir définitivement leur classe sociale, leur peuple et leur nation de l’oppression néocoloniale impériale qui écrase ouvriers, paysans, étudiants, artisans, employés, fonctionnaires et leurs frères, est pourtant toute tracée.
Il leur faut patiemment et clandestinement reconstruire la solution de remplacement révolutionnaire qui s’est tapie sous le manteau de l’écheveau complexe des rapports inter-ethnico-religieux. L’ouvrier arabe, palestinien, druze, alaouite, chrétien, copte, sunnite et chiite est d’abord (par sa praxis économique comme instrument de la machine de production capitaliste, par son activité communautaire journalière comme résident de son quartier de pauvreté, par sa pratique sociale quotidienne comme aliéné) un prolétaire exploité qui n’a que ses chaînes à perdre et tout un monde à conquérir. La liberté sociale de classe, désaliénée, n’est pas un slogan ou une marque de commerce et elle ne sera jamais l’aboutissement des urnes et des isoloirs; c’est un objectif collectif radical que le prolétariat arabe devra conquérir par la lutte insurrectionnelle de classe.
Sans un parti révolutionnaire clandestin muni d’une conscience prolétaire et d’une science militaire dirigeant vigoureusement l’armée des enragés de ces pays arabes avancés (du point de vue de la praxis révolutionnaire du moins), alors ces peuples, ces ouvriers, sont condamnés à réécrire toujours semblable l’histoire de leurs espoirs asphyxiés (4). Le prolétariat arabe d’avant-garde a le devoir internationaliste de se poser en modèle révolutionnaire pour les prolétariats grecs, espagnols, italiens, britanniques, turcs, israéliens, français et américains.
NOTES
(1) Alain Chouet. 08.0.2012. Syrie : « Je m’interroge sur l’attitudes des occidentaux. L’éventuel départ d’Assad ne changerait strictement rien à la réalité des rapports de pouvoir et de force dans le pays ». Invité de l’Association Régionale Nice Côte d’Azur de l’IHEDN (AR29) Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE (France).
(2) Robert Bibeau. La Russie lâcherait-elle la Syrie ? 29.12.2011.
(3) Georges Stanechy. Nucléaire iranien : Prétexte et préméditation. 14.08.2012.
(4) Robert Bibeau. Le « Printemps arabe » bilan d’un avortement. 28.05.2012.
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