L’Education en Afrique : hier, aujourd’hui et demain
Selon qu’on soit d’un milieu riche ou défavorisé, les chances d’accès à l’éducation ne sont pas les mêmes. A l’intérieur des pays comme dans la division Nord-Sud qui structurent les dimensions d’aisance et de pauvreté. Boubacar Diop fait le constat des progrès et des limites dans l’accès à l’Education Pour Tous, et souligne que «les inégalités dans la répartition mondiale des chances d’éducation ont d’importantes répercussions pour l’avenir de la mondialisation». Car, «les inégalités d’aujourd’hui en matière d’éducation sont celles de demain en termes de répartition de la richesse et de chances de développement humain au sens large […].»
Le fait colonial a été une théorie (mission civilisatrice) et une praxis militaire, socioéconomique, culturelle et idéologique. Cette dernière dimension a préparé, accompagné, renforcé les autres dimensions. Au cœur des strates, indices, manifestations, expressions, phénomènes culturels, l’éducation joue un rôle actif, moteur, de condensation, de sédimentation, de revitalisation, parfois de renouvellement. Il est donc intéressant, d’interroger le destin africain à l’aune des évolutions éducatives.
Dynamiques africaines sur la scène internationale
Quelques extraits du dernier rapport mondial de suivi sur l’Education Pour Tous (édition 2009) illustrent les performances et contre performances en Afrique et dans le monde. “Huit années se sont écoulées depuis que les représentants de plus de 160 gouvernements se sont réunis à l’occasion du Forum Mondial sur l’Education à Dakar (Sénégal), pour adopter un Cadre d’action ambitieux destiné à accroître les possibilités d’apprentissage des enfants, des jeunes et des adultes. L’engagement d’atteindre les sixobjectifs de l’Education Pour Tous (EPT) occupe une place centrale dans le Cadre d’action.
Les engagements de Dakar couvrent des sujets aussi variés que l’éducation et la protection de la petite enfance (EPPE), l’Enseignement Primaire Universel (EPU), l’égalité entre les sexes, l’alphabétisation des adultes, le développement des programmes de compétence pour les jeunes et les adultes et l’amélioration de la qualité de l’éducation. Le cadre est fondé sur l’engagement d’offrir à tous les citoyens du monde la chance de bénéficier d’une éducation intégratrice et équitable.
Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), également adoptés en 2000, sont des objectifs quantitatifs assortis d’échéances que le monde s’est donné pour combattre l’extrême dénuement humain sous toutes ses formes. Réduire de moitié la grande pauvreté, réduire les taux de mortalité infantile et maternelle et lutter contre la malnutrition sont au nombre des OMD. L’éducation entre, elle aussi, dans le cadre des OMD. Cependant, les OMD relatifs à l’éducation sont beaucoup moins ambitieux et plus limités que l’agenda de l’EPT. Le projet des OMD se trouve à un moment charnière. Bien que des progrès aient été réalisés dans de nombreux domaines, ils sont inégaux et trop lents pour que les objectifs puissent être atteints. En septembre 2008, les gouvernements du monde entier se sont réunis lors d’un sommet organisé à New York par les Nations Unies pour réaffirmer leur engagement en faveur des OMD. Mais les promesses à elles seules ne suffisent pas à faire en sorte que les objectifs soient atteints.
Certains résultats sont prodigieux. Le Taux Net de Scolarisation (TNS) dans le groupe des pays en développement a augmenté deux fois plus vite entre 1999 et 2006 que pendant les années 1990. En Afrique subsaharienne, ce taux est passé de 54 à 70%, ce qui représente un rythme six fois supérieur à celui des années 1990, et ce en dépit d’une croissance démographique rapide. En Asie du Sud et de l’Ouest, il est passé de 75 à 86%. Ces chiffres régionaux masquent quelques résultats remarquables :
- en Ethiopie, le TNS a plus que doublé pour atteindre 71% ;
- au Bénin et dans la République-Unie de Tanzanie, il est passé d’environ 50 à plus de 80% ;
- bien qu’en plein conflit civil, le Népal a fait progresser sont TNS de 65 à 79% en 2004 ;
- dans la région arabe, Djibouti, la Mauritanie, le Maroc et le Yémen affichent une forte progression.
Les progrès de l’après-Dakar sont également perceptibles dans la baisse du nombre d’enfants non scolarisés. On comptait, en 2006, 28 millions d’enfants non scolarisés de moins qu’en 2000, année où les gouvernements se sont réunis à Dakar. En Afrique subsaharienne, le nombre d’enfants d’âge primaire non scolarisés à diminué de 10 millions alors même que la population de ce groupe d’âge augmentait de 17 millions. En Asie du Sud et de l’Ouest, la population non scolarisée a été réduite de plus de moitié, passant ainsi de 37 à 18 millions […].
Les chiffres et les projections concernant les enfants non scolarisés sont relatifs à un aspect des difficultés à surmonter pour réaliser l’EPU à l’horizon 2015. Dans de nombreux pays, les élèves du primaire sont prisonniers de cycles de redoublement et d’abandon scolaire précoce. Au Malawi, un peu plus de 6 enfants sur 10 seulement commencent l’école primaire à l’âge officiel et la moitié d’entre eux abandonnent leurs études ou redoublent la première année. Onze des 31 pays d’Afrique subsaharienne pour lesquels nous disposons de données affichent des taux de redoublement de la 1ère et de la 2ème année supérieurs à 20%. Le problème est également très répandu en Amérique Latine. Le présent rapport met en évidence les inefficacités et les inégalités associées au redoublement.
Le recoupement des données sur la scolarisation et l’achèvement des cycles d’enseignement permet de mesurer l’ampleur des inégalités dans le secteur de l’éducation à l’échelle mondiale. Il est plus facile pour les enfants de Grande-Bretagne ou de France d’entreprendre des études supérieures que pour les enfants du Niger ou du Sénégal de terminer l’école primaire. De telles inégalités dans la répartition mondiale des chances d’éducation ont d’importantes répercussions pour l’avenir de la mondialisation. Les inégalités d’aujourd’hui en matière d’éducation sont celles de demain en termes de répartition de la richesse et de chances de développement humain au sens large […].
Les chiffres de l’EPU militent pour une priorité accrue à l’équité. Dans les pays affichant un taux de fréquentation scolaire supérieur à 80%, les enfants issus des familles pauvres sont largement surreprésentés dans la population non scolarisée. Ils en représentent ainsi plus de 40% dans des pays aussi divers que le Cameroun, le Kenya, l’Indonésie et le Nicaragua. Et même dans les pays où, selon les enquêtes auprès des ménages, les taux de fréquentation scolaire sont plus faibles, comme au Ghana, en Inde, au Mozambique, au Nigéria et en Zambie, le quintile le plus pauvre représente de 30 à 40% de la population non scolarisée […].
Au Sénégal, les enfants ont deux fois plus de chances d’aller à l’école dans les villes que dans les campagnes. Les habitants des taudis, quant à eux, font face à un ensemble de difficultés spécifiques, l’accès à l’éduction étant limité par un niveau de pauvreté élevé, un mauvais état de santé et une offre de services éducatifs restreinte. Les inégalités d’ordre socioculturel liées à l’origine ethnique et à la langue sont également très marquées. Dans chacun de ces domaines, les désavantages sont aggravés par la pauvreté et les inégalités fondées sur le revenu, auxquelles ils sont directement liés, mais ils revêtent aussi une importance propre.
D’autres obstacles à l’EPU devront être éliminés si l’on veut réaliser les objectifs à l’échéance de 2015. Le travail des enfants est à cet égard l’un des problèmes les plus difficiles à surmonter. Dans les pays en développement, quelque 218 millions d’enfants travaillent, quoique les chiffres amorcent une légère baisse en Afrique subsaharienne et dans certaines régions d’Asie. La mauvaise santé et la malnutrition entravent la fréquentation scolaire et les capacités d’apprentissage de millions d’enfants. Enfin, on constate une étroite corrélation entre le handicap des enfants et les inégalités en termes de participation, ce qui témoigne d’un échec généralisé de la mise en œuvre des politiques en faveur d’une éducation intégratrice […].
La scolarisation dans le secondaire se caractérise par de grandes disparités entre les régions. Les économies développées et en transition se rapprochent de l’enseignement secondaire universel. A l’extrême inverse, en Afrique subsaharienne, le TNS dans le secondaire atteint à peine 25%, ce qui signifie que près de 78 millions d’enfants appartenant au groupe d’âge concerné ne sont pas inscrits dans un établissement du secondaire. Dans de nombreux pays, la transition entre le primaire et le secondaire se caractérise par un niveau élevé d’abandon scolaire. Tout comme au niveau primaire, la progression jusqu’à la fin du cycle secondaire est marquée par l’intensification des inégalités. En Amérique Latine, 88% des enfants du décile le plus riche progressent régulièrement dans le secondaire sans redoublement ni abandon, soit un pourcentage deux fois plus élevé que chez les enfants du décile le plus pauvre.
Les disparités internationales sont très prononcées au niveau de l’enseignement supérieur. Le TBS mondial dans l’enseignement supérieur avoisine les 25%. Les TBS régionaux, en revanche, vont de 70% en Amérique du Nord et en Europe Occidentale à 32% en Amérique Latine, 22% dans les Etats arabes et 5% en Afrique subsaharienne. Outre ces écarts quantitatifs, on constate d’importantes disparités qualitatives alimentées par des différences d’ordre financier. En équivalent dollars EU, la France dépense 16 fois plus par étudiant que le Pérou. En 2005, les meilleures universités américaines dépensaient plus de 25 fois plus par étudiant que l’Université Dar-es-Salam de la République-Unie de Tanzanie […].
Beaucoup de gouvernements n’accordent qu’une attention insuffisante aux besoins d’apprentissage des jeunes et des adultes. Les dépenses publiques demeurent inappropriées et l’offre de services très inégale. Un tel manque d’urgence peut s’expliquer par le fait que certains objectifs du Cadre de Dakar ont été formulés en des termes très vagues. (…)
L’analphabétisme n’est toujours pas une priorité pour les responsables politiques. Bien qu’entre 1985-1994 et 2000-2006 le nombre d’analphabètes dans le monde ait diminué de 95 millions, en chiffres absolus ce nombre a augmenté en Afrique subsaharienne et dans les Etats arabes. Si les tendances actuelles se poursuivent, le monde comptera toujours plus de 700 millions d’adultes analphabètes en 2015 […].
La progression vers la parité entre les sexes dissimule des écarts importants entre les régions. Les progrès en Afrique subsaharienne ont été lents et inégaux. L’indice de parité entre les sexes (IPS) régional, qui mesure le rapport filles/garçons en termes de TBS dans le primaire, est passé de 0,85 en 1999 à 0,089 en 2006, bien que, à l’instar du Ghana et de la République-Unie de Tanzanie, plusieurs pays aient atteint la parité. En Asie du Sud et de l’Ouest, l’IPS est passé de 0,84 à 0,95. Cependant, le Pakistan ne scolarise toujours que 80 filles pour 100 garçons dans le primaire […].
Les disparités entre les sexes sont inégalement réparties dans la société. Dans de nombreux pays, le fait d’être né dans une famille pauvre, rurale, autochtone ou parlant une langue minoritaire peut amplifier le désavantage lié au sexe. Au Mali, en 2001, l’IPS était de 0,60 dans les 20% de familles les plus pauvres, alors qu’un nombre beaucoup plus élevé de filles nées dans les 20% de familles les plus riches fréquentaient l’école primaire. L’IPS du secondaire était de 0,96 pour les plus riches. Ces données montrent comment la pauvreté exacerbe souvent les effets des disparités entre hommes et femmes […].
Les résultats de l’évaluation du Consortium de l’Afrique australe et orientale pour le pilotage de la qualité de l’éducation II (SACMEQ II) indiquent que moins de 25% des élèves de 6ème année en Afrique du Sud, au Botswana et au Kenya et moins de 10% au Malawi, au Mozambique, en Ouganda et en Zambie atteignent un niveau « souhaitable » en lecture […].
Les disparités entres les acquis d’apprentissage au sein dans pays sont souvent de même ampleur qu’à l’échelle internationale. Dans plusieurs pays comme le Maroc ou l’Afrique du Sud, l’étude du Programme International de Recherche en Lecture Scolaire (PIRLS) révèle que les 5% d’élèves les plus performants obtenaient des scores comparables à ceux des meilleurs élèves des pays les plus performants. En revanche, les 5% d’élèves les moins performants obtenaient des scores 5 fois moins élevés que ceux des meilleurs élèves. Les recherches sur les Etats indiens du Rajasthan et de l’Orissa font elles aussi ressortir des disparités très marquées entre les acquis d’apprentissage […].
De nombreux pays restent confrontés à une grave pénurie d’enseignants. Si le monde entend atteindre l’EPU d’ici à 2015, il devra recruter, selon les estimations, 18 millions d’enseignants supplémentaires. En Afrique subsaharienne, 145 000 recrutements sont nécessaires chaque année, soit 77% de plus que les chiffres, en hausse, relevés entre 1999 et 2006. L’Asie du Sud et de l’Ouest aura, quant à elle, besoin de 3,6 millions d’enseignants supplémentaires […].
Depuis 1999, la plupart des pays ont augmenté la part du revenu national consacrée à l’éducation. Dans certains cas, comme en Ethiopie, au Kenya, au Mozambique et au Sénégal, cette part a fortement progressé. Ailleurs, comme en Inde ou au Pakistan, les dépenses publiques d’éducation stagnent à 3% du produit national brut, ou moins encore, ce qui représente un niveau relativement bas. Bien que les comparaisons entre régions doivent être maniées avec prudence, le modèle des dépenses en Asie du Sud et de l’Ouest semble indiquer un engagement de dépenses d’éducation limité.
Les inégalités de la richesse dans le monde se traduisent par des inégalités de dépenses d’éducation. En 2006, la dépense par élève du primaire allait de moins de 300 dollars dans une grande partie de l’Afrique subsaharienne à plus de 5 000 dollars dans la plupart des pays développés (chiffres en dollars constants).
L’Afrique subsaharienne compte 15% de la population mondiale des 5-25 ans, mais ne représente, à l’échelle mondiale, que 2% des dépenses publiques d’éducation pour ce groupe d’âge. L’Asie du Sud et de l’Ouest représentent, quant à elle, le quart de la population mais 7% des dépenses […].
La multiplication des écoles privées peu coûteuses soulève des questions d’un autre ordre. Dans de nombreux pays, ces écoles ne sont pas prises en charge par l’Etat. Il ne fait aucun doute que les écoles privées peu coûteuses répondent à une réelle demande. Des pays aussi différents que le Ghana, l’Inde, le Kenya, le Nigeria et le Pakistan affichent une hausse du nombre d’élèves inscrits dans les écoles de ce type. Dans quelle mesure, toutefois, ont-elles amélioré la qualité et renforcé l’équité […] ?
Le développement rapide des écoles privées peu coûteuses est dans une large mesure symptomatique des carences de l’Etat. En réaction au sous financement chronique des services éducatifs, souvent caractérisés également par un manque de responsabilité, une faible réactivité et une mauvaise qualité, des millions de familles pauvres ont tourné le dos au service public et mis la main à la poche. On ne saurait considérer qu’il s’agit là d’un remède propice au renforcement de l’équité et à l’accélération des progrès vers l’EPT […].
Ces importants déficits de financements ralentissent le progrès. Les débats sur les résultats et l’efficacité de l’aide au développement se poursuivent. Pour les pessimistes, l’aide a eu, au mieux, un léger impact, mais elle produit des effets négatifs dans de nombreux cas.
Ce que l’on observe dans le domaine de l’éducation ne corrobore pas ce point de vue. Dans la République Unie de Tanzanie, l’aide a soutenu une stratégie nationale d’éducation qui, depuis 1999, a fait reculer de trois millions le nombre d’enfants non scolarisés. Au Cambodge, au Kenya, au Mozambique et en Zambie, l’aide a contribué au financement de l’élimination des frais de scolarité, ce qui a permis à des enfants, qui jusqu’alors en étaient exclus, d’aller à l’école. Au Bangladesh et au Népal, l’aide a soutenu des stratégies nationales axées sur des mesures incitatives en faveur des filles et des groupes défavorisés. L’aide au développement n’est ni une panacée ni un remède contre les mauvaises politiques, mais elle a néanmoins des effets bénéfiques […].
Il semble douteux, toutefois, que les promesses soient tenues. Considérés globalement, les donateurs ne sont pas sur la bonne voie pour honorer leurs engagements. Compte tenu de l’accroissement de l’aide et des engagements projetés d’ici à 2010, il manque 30 milliards de dollars EU pour atteindre le montant des engagements pris en 2005 (en prix de 2004). Pour l’Afrique subsaharienne, le déficit de financement s’élève à 14 milliards de dollars EU, déficit qui entraîne des conséquences désastreuses pour la réalisation des OMD et de l’EPT. A titre individuel, la plupart des Etats donateurs ne sont pas sur la bonne voie pour tenir les engagements de Gleneagles : deux Etats membres du G8, les Etats-Unis et le Japon, ne consacrent toujours à l’aide au développement qu’une part infime de leur revenu national brut.
A la lumière de ces constats, on peut donc dire que les défis sont grands, immenses pour améliorer les pratiques éducatives en Afrique. Est-il possible d’inverser la tendance en ne tenant pas compte de la trajectoire historique des peuples africains et en ne mettant pas de l’ordre dans les dynamiques complexes nationales, interrégionales et internationales ?
II. Nouveaux défis et mutations
La nécessité de tenir compte de l’évolution historique et donc des leçons du passé pour pouvoir asseoir un projet éducatif viable n’a pas échappé aux chercheurs organiques qui ont eu pour souci d’accompagner l’action des leaders politiques. Tel fut le cas de Roland Colin, très proche à la fois de Léopold Sédar Senghor et de Mamadou Dia, alliés puis adversaires sur la scène politique sénégalaise. Dans sa thèse , il consacre la première partie de son tome I à la société précoloniale (Colin 1980 : 51 sq.). Son approche est à mi-chemin entre celle de Jeanmaire (à l’échelle de toute l’Afrique) et celle d’Abdoulaye Sadji (focalisation sur les Wolof-Lébu) ; en effet, R. Colin, lui, a choisi de comparer les pratiques wolof, sereer et toucouleur. Ce qui lui permet de dégager six stades dans l’évolution des individus (Ndlr : le tableau réalisé, que nous ne reproduisons pas ici, établit les similitudes entre ces six stades et le découpage établi par les psychologues occidentaux)
Après avoir dégagé les similitudes entre ce découpage et celui établi par les psychologues occidentaux (op. cit. p. 55), (…) L’auteur étudie successivement :
- L’éducation intra-familliale et pré-initiatique en insistant du reste sur la phase prénatale et sur la naissance et le sevrage, sur la place des grands-parents, de l’oncle, sur le rôle des contes ;
- l’éducation initiatique ;
- l’éducation post-initiatique.
Il a consacré, comme Abdoulaye Sadji (Education africaine et civilisation, Dakar, 1964), une part de la réflexion au choc avec l’islam (p.108 sq) pour analyser l’osmose, les greffages ou les résistances selon le cas. Ce qui lui permet de distinguer, par exemple, la différence d’évolution des systèmes wolof et sereer, le premier caractérisé par “ la dualité en équilibre difficile entre un système politico-militaire accusant de plus en plus sa domination sur un système « lamanal » (Ndlr : royauté) de type sérère. L’éducation lignagère est impuissante à rétablir les contrepoids à partir du moment où l’influence et la domination de l’empire colonial viendront durcir la force militaire du haut et briser par la relation marchande la continuité des rapports sociaux du bas” (op. cit. p. 146).
Quel avenir ?
Les experts africains réunis par le Bureau régional de l’UNESCO à Dakar dans le cadre de la préparation de la Conférence Internationale sur l’Education de Jomtien (1990) ne pouvaient ignorer l’importance d’une mise en perspective des problèmes éducatifs africains à partir d’une analyse des forces et faiblesses de l’éducation traditionnelle. Ils ont dégagé “deux axes référentiels dont l’un est vertical, orienté de l’amont chronologique vers l’aval du temps, et où se situent des réalités aussi déterminantes que l’ascendance génétique et parentale, l’âge, etc. Quant à l’axe horizontal, il se réfère aux alliances et associations avec d’autres lignages, d’autres jeunes (classes d’âges, etc.). Le biologique et le socioculturel interfèrent toujours pour créer les droits et devoirs de l’enfant à l’égard des autres » .
Ils ont procédé à une réduction des différentes étapes de l’éducation africaine :
- la première intégration biophysique avec la première rupture que constitue le sevrage ;
- L’intégration dans une société spécialisée qui valorise l’autoformation, les apprentissages spéciaux ;
- L’initiation qui fusionne les axes (vertical et horizontal) de référence.
Ce système d’éducation avait des points forts qui pouvaient se résumer en un mot : l’importance du “ savoir lié ” :
« - liaison des connaissances générales à la pratique ;
- liaison de l’éducation à la production ;
- liaison à l’éducation à la société ;
- liaison à la culture aussi par le truchement de la langue maternelle et par l’immersion des éléments du savoir dans les pratiques culturelles (jeux, masques et rites religieux, danses, musiques, sport, etc) ;
- enfin la liaison de cet enseignement avec les valeurs ethniques reconnues… »
Ce système avait aussi ses points faibles parmi lesquels les experts ont recensé :
- « un faible niveau d’abstraction et de généralisation;
- un faible coefficient d’accumulation et de diffusion ;
- cette éducation présentait aussi une ouverture assez faible en dehors de chaque groupe ethnique ou même villageois ;
- enfin les épreuves de l’initiation étaient parfois excessives (mutilation), voire fatales » .
Autant il semble qu’il faut être prudent sur la formulation de la première faiblesse , autant il semble important d’insister sur la deuxième limite qui s’explique en partie par le blocage des traditions écrites à un certain moment de l’histoire africaine. En effet, l’Afrique qui a développé plusieurs systèmes d’écriture, comme l’a montré le professeur Théophile Obenga dans son ouvrage l’Afrique dans l’Antiquité, (Paris, Présence Africaine, 1973), n’a pas connu un phénomène comparable à celui de la révolution de l’imprimerie qui s’est déroulée en Europe au début des temps modernes. Ce qui explique qu’après les grands chocs avec les autres grandes civilisations proche-orientales ou méditerranéennes, on assiste à une “désagrégation sourde qui explique en grande partie les misères et les naufrages actuels dans l’institution scolaire” (Ki-Zerbo, opcit p. 41).
Les sociétés africaines ont été ébranlées dans leurs fondements. On leur a imposé un type d’économie, des systèmes politiques qui servent en général des intérêts de groupes allogènes ou autochtones minoritaires et compradores. Les hommes sont dans les mines, les champs, les usines, les chantiers, “les femmes, après avoir fait les enfants, doivent les élever seules et préparer de leurs propres mains le bois d’ébène contemporain” (Ki-Zerbo, opcit p. 42), et “ les villes africaines sont souvent, non pas des moteurs pour les campagnes africaines, mais de piètres vitrines et des dépotoirs d’un centre lointain dont elles sont structurellement incapables de rééditer l’exploit” (ibidem p.: 45). Cette école issue du système colonial est unijambiste, borgne, bancale, productrice de chômeurs, contribue à l’exode rural .
Est-ce une raison pour baisser les bras ? Que non pas ! Au contraire, il faut prêter attention aux nouvelles pousses qui sortent du fumier, ces nouvelles pousses sont en général des formes d’adaptation positives aux nouveaux contextes, pour relever les anciens et nouveaux défis : la lutte pour la démocratie, l’autosuffisance alimentaire, la santé, la paix, la préservation de l’environnement, etc. Et dans cette nouvelle aventure éducative, les Africains auront à cœur de se réapproprier les nouvelles technologies de communication en y développant des contenus spécifiques conformes à leur histoire et à leurs aspirations. Et, dans le combat pour la nouvelle orientation africaine des processus éducatifs, la société civile africaine a entamé un important travail dans le cadre de la Vème conférence Internationale d’Education des Adultes (Hambourg 1997) et VIIe Minedaf (Durban 1998).
La perspicacité déjà notée à ces occasions s’est renforcée, lors du rendez-vous de Dakar en avril 2000, consacré à l’évaluation et au dépassement de la Déclaration de Jomtien en 1990 à propos de l’Education pour tous. Elle poursuit sa réflexion et sa praxis dans le suivi des OMD et des Confintea – Elle a intérêt à intégrer dans sa démarche les contributions sur la renaissance africaine.
* Babacar Diop est professeur à la Faculté des Lettre et Sciences humaines de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et président de la PAALAE
* Babacar Diop est professeur à la Faculté des Lettre et Sciences humaines de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et président de la PAALAE
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