Contraintes et perspectives dans la réalisation des OMD en Afrique

La plupart des Objectifs de Développement du Millénaire (OMD) et les objectifs associés à appliquer au niveau national sont de nature sectorielle. Comme tous les types d’indicateurs nationaux, ils dissimulent souvent des différences nettes à diverses échelles au niveau national et ne font pas de distinction entre les zones urbaines et rurales. Les actions visant à atteindre les OMD doivent être prises partout, mais très peu ont une pertinence urbaine caractéristique.

Il y a maintenant une décennie entière que les OMD ont été adoptés et, par conséquent, les deux tiers du temps disponible pour atteindre les objectifs est écoulé. Des progrès ont été très inégaux à l’intérieur et entre les pays et les régions continentales. L’Afrique (en particulier l’Afrique au sud du Sahara) est généralement considérée comme l’un des continents ayant un faible résultat ; en effet, au moment ou l’on prépare le sommet de New York pour la revue de la Déclaration du Millénaire, au mois de septembre prochain, la plupart des pays ne sont pas sur la bonne voie pour l’atteinte de certaines ou toutes les cibles des OMD.

En effet, seule une minorité de ces cibles est susceptible d’être satisfaite. Les autres mettront beaucoup plus de temps ou ont peu de chances d’être atteintes. Cela se manifestait déjà avant le début de la crise financière mondiale 2007/2008, mais les projections à travers le monde entier sont désormais peu prometteuses. Toutefois, il y a des signes positifs. Le taux de scolarisation primaire s’est accru de 15% pourcentage en Afrique au sud du Sahara entre 2000 et 2007, tandis que la combinaison de l’augmentation des campagnes de vaccination et la distribution accélérée des insecticides et des moustiquaires imprégnées pour lutter contre le paludisme ont commencé à réduire la mortalité infantile ces dernières années.

En ce qui concerne plus spécifiquement les OMD urbains, les progrès ont été très limités dans le monde entier. En effet, les opérations d’amélioration des taudis évoluent difficilement de pair avec la croissance rapide des villes des pays en développement. Ceci souligne l’importance du défi actuel du développement urbain durable, qui doit faire face à la dynamique de la croissance urbaine en cours dans la plupart des régions mais actuellement dans un contexte la récession mondiale.

Pour les régions les plus pauvres dont une grande partie de l’Afrique, cette crise va accroître les compromis fréquemment perçus entre les priorités concurrentes que sont la création des emplois et la promotion de l’environnement durable. Cependant, en réalité, les coûts de la non-adaptation au changement climatique à travers la technologie verte et l’utilisation des ressources durables seront plus élevés que les montants de la réparation des effets du changement climatique.

Des progrès très limités pour l’Afrique

Les pays africains ne seront en mesure de faire face à ces dilemmes qu’avec un fort leadership politique, le transfert des technologies appropriées et des accords d’appui au développement comme composante de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, selon l’accord de Copenhague (COP 15) et les conventions bilatérales associées. L’importance de ceci est soulignée par l’inadéquation entre la modeste contribution de l’Afrique au réchauffement planétaire et les impacts considérables projetés dus au changement climatique. Alors que les émissions de dioxyde de carbone à l’échelle mondiale ont augmenté de 21,9 à 28,7 milliards de tonnes métriques de 1990 à 2006, les chiffres respectifs pour l’Afrique étaient seulement de 0,7 et 1,0 milliard de tonne (soit 0,5 et 0,6 pour l’Afrique au sud du Sahara et 0,2 et 0,4 pour l’Afrique du Nord), environ 4,5 % du total.

En Afrique, ces émissions ont des origines tant urbaines que rurales. La croissance urbaine et l’augmentation des revenus pour certains, au milieu de la pauvreté généralisée, ont abouti à l’usage accru de la biomasse ligneuse comme combustible pour la cuisine et le chauffage, les véhicules à moteur et les émissions industrielles. Les émissions rurales ont augmenté considérablement, suite au déboisement généralisé des forêts et au feu de brousse. La première cible de l’OMD 7 (assurer un environnement durable) est d’intégrer les principes de développement durable dans les politiques et les programmes nationaux et à inverser la perte des ressources environnementales.

De tels engagements ont, en effet, très souvent été incorporés dans les plans de développement économique et les documents politiques en Afrique, mais ne sont pas encore largement mis en pratique. Une plus grande intégration est également nécessaire pour assurer la prise en compte et la reconnaissance de l’évaluation et l’intégration rurale-urbaine. Par exemple, assurer un approvisionnement adéquat en eau en milieu urbain nécessite, non seulement, une augmentation de l’offre locale et les mesures de conservation en milieu urbain (comme la réduction des fuites provenant souvent des réseaux de tuyauteries, obsolètes et souvent mal entretenus, la réduction de la consommation par habitant parmi les élites urbaines, et l’augmentation de la récupération et du recyclage de l’eau), mais aussi la conservation de l’environnement rural pour maximiser la rétention de l’eau dans les sols en minimisant leur érosion (d’où l’envasement des réservoirs) et une irrigation agricole plus efficace.

Plusieurs OMD et les cibles peuvent aussi êtres traités simultanément par des interventions appropriées. Par exemple, la réduction de la déforestation favorisera non seulement l’amélioration de la disponibilité en eau dans les milieux ruraux et urbains, mais aussi la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

2015, c’est demain

L’objectif visant la réduction de moitié la proportion de la population qui n’a pas accès à l’eau potable et à l’assainissement de base a peu de chance d’être réalisé dans plusieurs pays africains, malgré des progrès considérables surtout en milieu urbain et au Sénégal en particulier. En 2006, environ 242 millions de personnes avaient accès à des infrastructures appropriées en Afrique au sud du Sahara. Cependant, pour atteindre l’objectif, ce chiffre devrait augmenter à 370 millions d’ici l’année 2015. Le défi est grand. En 2008, environ 22 millions des citadins et 199 millions de résidents ruraux défèquent toujours en plein air -environ dix pour cent du total mondial- ; ce qui constitue un risque souvent considérable pour la santé publique. (UN MDGs Report 2009 :45).

La défécation en plein air et l’utilisation des latrines à fosse commune représentent des éléments importants de la grande question de la gestion optimale des déchets solides dans les villes. Dans les termes du rapport récent d’ONU-Habitat sur le sujet, on note que «la gestion sûre des excréments humains (assainissement) et l’enlèvement, le traitement et la gestion des déchets solides, sont deux des services les plus vitaux de l’environnement urbain. Alors que les autres services indispensables et les infrastructures comme l’énergie, le transport et le logement reçoivent souvent plus d’attention (et beaucoup plus de budgets), l’échec de gérer les « produits finis » du cycle des matériaux a des impacts directs sur la santé, la durée de vie et l’environnement humain et naturel. » (Un-Habitat 2009 Solid waste management in the world’s Cities : 2).

C’est ici l’occasion de saluer l’initiative de l’Organisation Mondiale de la Santé (Oms) qui, reconnaissant les formidables enjeux que représente l’urbanisation dans le contexte du développement humain durable, a décidé cette année, de consacrer le thème de la Journée Mondiale de la Santé 2010 aux relations entre la Santé et l’Urbanisation. Cette action est décidément une avancée significative pour le soutien à la campagne mondiale pour l’urbanisation que nous avons lancée à Rio de Janeiro. Ce soutien dans le plaidoyer pour une urbanisation durable vient aussi renforcer le rapport mondial que le FNUAP avait publié en 2007 sur le potentiel de la croissance urbaine.

L’objectif pour lequel l’Afrique au sud du Sahara reste confrontée au plus grand défi est l’amélioration significative de la vie d’au moins 100 millions habitants des taudis d’ici 2020. Cela nécessite des interventions multiples pour résoudre les problèmes d’assainissement et d’accès à l’eau potable, ainsi que l’amélioration de l’aspect physique des bâtiments et autres infrastructures et services. En dépit de la réussite de la baisse significative de 71 % à 62 % de la proportion des populations urbaines vivant dans la privation de logement entre 1990 et 2005, en Afrique subsaharienne, l’urbanisation rapide de nos jours a produit un grand nombre de personnes vivant dans cette situation (UN MDGs Report 2009:47, Global Urban Observatory 2008, UN-HABITAT State of the World’s Cities 2010, parts 1.3 and 1.4).

La misère des zones de conflits

Des problèmes particuliers se posent dans les pays où les conflits armés récents ou en cours ont détourné les dépenses publiques des activités de développement et des secteurs sociaux. Le tissu urbain a été endommagé ou détruit et des personnes déplacées sur une grande échelle comme en Somalie, en Angola, en Sierra Leone et dans les régions du sud Soudan. Ces conflits ont exacerbé les problèmes récurrents du sous investissement en milieu urbain, avec le manque de volonté politique et une pauvreté généralisée. Les conflits ruraux peuvent déplacer les personnes dans les milieux urbains relativement sûrs comme à Luanda, Lobito et Benguela (Angola), ou encore Freetown (Sierra Leone) ; par contre, les combats en milieu urbain et la destruction peuvent entraîner les populations hors des villes.

Dans les villes touchées, jusqu’à 80 % des citadins vivent dans les conditions insalubres. La ville d’Addis Abeba, en Ethiopie, a une proportion similaire, mais pour des raisons historiques différentes. Dans toute la région Afrique, des stratégies diverses seront nécessaires, y compris à la fois des interventions dirigées par l’Etat et par les collectivités locales, de même que des changements politiques majeurs pour faciliter les efforts de l’auto-assistance des ménages et des communautés à atteindre des normes localement adéquates. (e.g. Hamdi & Goethert 1997 Action Planning for Cities. Chichester : Wiley).
Partout en Afrique, la vie des 24 millions d’habitants des bidonvilles et autre habitat informel se sont améliorées durant la dernière décennie ; ce qui représente 12 pour cent de l’effort mondial visant à réduire cette forme de fracture urbaine. L’Afrique du Nord est la seule sous-région dans le monde en développement où le nombre (8,7 millions) et la proportion des habitants des bidonvilles n’ont cessé de baisser depuis 2000 (de 20 à 13 pour cent).

L’Egypte, le Maroc et la Tunisie sont les pays les plus dynamiques où des efforts remarquables on été notés. En Afrique subsaharienne, cependant, la proportion totale de la population urbaine vivant dans des bidonvilles n’a diminué que de 5 pour cent (ou 17 millions de personnes). Le Ghana, le Sénégal, l’Ouganda, le Rwanda et le Burkina Faso ont été les pays les plus actifs de la région, en réduisant la proportion des habitants des bidonvilles de plus d’un cinquième dans la dernière décennie.

En conclusion, au moment où nous nous préparons pour le sommet à mi-parcours de la revue des OMD à New York, nous avons l’espoir que les leaders africains seront conscients des déficits des politiques pour sortir l’Afrique de la pauvreté et de la misère. Mais surtout, ils seront déterminés à mettre en place des programmes hardis et des politiques conjointes au niveau régional pour rattraper le retard. Car il y a urgence ! Et pour cela, nous disons qu’améliorer la vie des habitants pauvres des villes et surtout ceux vivant dans les bidonvilles est la meilleure façon d’atteindre tous les Objectifs du Millénaire pour le Développement. Car l’amélioration des conditions de logement et la fourniture d’eau et l’assainissement ne serviront pas seulement de sauver des vies parmi les plus pauvres, mais aussi favoriser les progrès dans l’éducation et la santé, la condition de la femme, réduire la mortalité et améliorer la gestion de l’environnement.

* Alioune Badiane est Directeur régional pour l’Afrique et les pays arabes de Onu Habitat

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