Casamance : Trente ans de guerre et un espoir de paix

Dans la longue évolution du conflit casamançais entre dynamique de paix, violence et embrasement, un pas important vient d’être franchi vers une perspective de résolution. Le président Macky Sall et le principal chef militaire de la rébellion ont posé des actes inédits qui témoignent d’une volonté positive. Reste à savoir si les réponses audacieuses qu’exige la paix en Casamance vont suivre.

La récente libération de prisonniers de guerre par la faction la plus radicale de la rébellion casamançaise concrétise le nouvel espoir d’une issue pacifique dans un conflit qui est devenu aujourd’hui le plus long de l’Afrique subsaharienne : il y aura en effet trente ans, le 26 décembre, que la répression d’une marche pacifique à Ziguinchor en a donné le signal. Aussi bien sa faible intensité que sa durée exceptionnelle résultent largement d’une stratégie gouvernementale qui, bien que jamais formulée, a été mise en œuvre sous les mandats de Abdou Diouf et de Abdoulaye Wade.

La stratégie du pourrissement

Cette stratégie se décline en deux volets complémentaires : affaiblir la rébellion suffisamment pour ne pas avoir à négocier, en prenant prétexte d’une division à laquelle l’Etat œuvrait par ailleurs ; l’affaiblir par tous les moyens, y compris militaires, mais sans chercher à l’écraser, ne serait-ce que pour ne pas nuire à une image démocratique dont le Sénégal a fait une véritable rente.


Tout en proclamant qu’il n’y avait d’autre issue que politique, les dirigeants qui se sont succédé au pouvoir à Dakar entre 1982 et début 2012 n’ont ainsi eu de cesse que de dépolitiser la question, maniant, tour à tour ou simultanément, la carotte et le bâton, chacun à sa manière. Ils ont en partie atteint leur objectif. Jamais, sans doute, le rapport de forces n’a été aussi favorable à l’Etat sénégalais : bénéficiant sur la question de puissants soutiens à l’extérieur et d’un large consensus à l’intérieur, il contrôle la situation. A l’inverse, profondément divisés et sans perspectives politiques, les maquisards du Mfdc ont perdu du terrain et des appuis extérieurs mais aussi, une bonne partie de leurs soutiens dans la population : jamais la perspective d’une indépendance de la Casamance n’a paru aussi éloignée.


L’OUVERTURE DE MACKY SALL


C’est dans ce contexte et non sans ambiguïtés, qu’une nouvelle alternance à la tête de l’Etat a ouvert en avril dernier des perspectives inédites. Après s’être déclaré prêt à discuter sans préalables avec toutes les composantes de la rébellion, le nouveau président, Macky Sall, a choisi de dialoguer en premier avec le chef maquisard radical, Salif Sadio, dont son prédécesseur avait mis la tête à prix. Pour cela, il a fait jouer deux leviers : le président gambien, Yahya Jammeh, qui était en froid avec Abdoulaye Wade et qui passe pour être le protecteur de Sadio (et inversement) ; et la communauté catholique romaine de Sant’Egidio, qui s’est déjà illustrée dans la résolution de conflits et dont il a sollicité la médiation. S’y sont ajoutés les efforts de la société civile et de responsables politiques, comme Robert Sagna.

Objectif atteint, puisque les armes se sont tues près de la frontière gambienne et qu’une première rencontre a eu lieu à Rome le 14 octobre dernier, préludant à la libération des prisonniers. 
Mais ce n’est pas encore la paix. Un premier obstacle tient à la division du Mfdc. L’initiative gouvernementale a, en effet, suscité une levée de boucliers au sein des autres factions du mouvement rebelle, qu’elles soient civiles ou militaires, «modérées» ou radicales. De peur d’être marginalisées, elles font planer la menace d’une reprise des hostilités et peuvent être tentées de faire de la surenchère. C’est le sens de la réunification des maquis anti-Sadio autour de César Badiatte.

Ces différentes factions ne font pourtant que payer aujourd’hui le prix de leurs choix passés. C’est le cas pour les chefs «modérés», qui paient le prix de leurs compromissions avec des modes de gestion gouvernementaux générateurs de pourrissement et de criminalisation du conflit. C’est aussi le cas pour le chef exilé de l’aile civile radicale, Mamadou «Nkrumah» Sané, qui paie le prix de sa gestion solitaire et de son incapacité à imaginer autre chose que la lutte armée. La porte de la négociation ne leur est pourtant pas fermée et, pour peu que l’Etat sénégalais ou la communauté internationale le leur permette, ils peuvent réintégrer le jeu. Encore faudrait-il, comme pour les autres protagonistes, s’accorder sur ce qui peut être négociable. Et c’est sans doute là le plus difficile. Moins parce que les positions sont diamétralement opposées que parce que le rapport de forces est trop déséquilibré : dans ces conditions, la tentation est grande pour Dakar d’imposer ses vues à une rébellion affaiblie.

Or, jusqu’à présent, les propositions de Macky Sall ne diffèrent en rien de celles déjà mises en avant par ses prédécesseurs et qui n’ont rien réglé : pour les maquisards, le classique plan Ddr (désarmement - démobilisation - réinsertion) ; et pour la Casamance, le triptyque Rdd (reconstruction - désenclavement - développement). Il est peu probable que le Mfdc, réunifié ou non, s’en satisfasse, dans la mesure où ces propositions ignorent l’origine et la dimension politique du conflit.


UN CONFLIT POLITIQUE


Contrairement à l’idée dominante, qui s’applique a priori à tout conflit africain, le conflit casamançais n’est pas un conflit ethnique : là comme ailleurs, l’ethnicité n’est qu’un langage (objet de manipulations). Et il résulte moins de conflits économiques, sociaux ou culturels préexistants que de l’absence d’espaces de débat pour les résoudre. Avec un discours national-populiste, le Mfdc n’a ainsi fait qu’investir le vide politique résultant de la sous-représentation des populations par leurs élites. Et c’est sa criminalisation et sa répression par l’Etat qui ont favorisé sa fuite en avant dans un conflit violent mettant aux prises deux nationalismes : on le sait depuis Clausewitz, la guerre n’est qu’un prolongement de la politique par d’autres moyens. Crise du modèle de représentation politique et crise de l’Etat-nation : loin d’être archaïque, le conflit casamançais pose des questions politiques bien actuelles qu’il serait vain d’éluder.


Le président saura-t-il y apporter des réponses audacieuses, à la hauteur de l’espoir de paix qu’il a suscité ? On peut penser que la reconnaissance par l’Etat du point de vue indépendantiste (comme cela se fait ailleurs), en échange d’un renoncement à la lutte armée de la part du Mfdc, constituerait un premier pas, que pourrait consolider le réchauffement des relations entre le Sénégal et ses voisins. On peut également penser qu’à terme, la perspective d’un large débat public, au terme duquel les Casamançais pourraient librement choisir un modèle de société et des institutions tenant compte de leurs particularismes, serait de nature à ancrer durablement la paix.


Cette paix, les Casamançais l’espèrent depuis longtemps car, ce sont eux qui supportent l’essentiel du poids de la guerre. Mais, l’ensemble des Sénégalais a tout à y gagner, tant les autres problèmes à régler dans le pays sont nombreux, à commencer par la persistance d’une pauvreté de masse. Au-delà d’enjeux sécuritaires pour la communauté internationale (la stabilité d’une sous-région confrontée aux trafics de drogue et aux menaces terroristes), on pourrait voir là des raisons suffisantes pour que les protagonistes trouvent enfin des compromis acceptables par tous et laissant l’avenir ouvert… 
Il ne faut pas désespérer Ziguinchor ! 



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** Jean-Claude Marut est
chercheur associé au laboratoire 
Les Afriques dans le monde (Cnrs - Iep Bordeaux). Il est auteur du livre « Le conflit de Casamance. Ce que disent les armes » (Karthala, Paris, 2010)


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