Lors de la Fête internationale de la santé de cette année, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sort son rapport annuel consacré aux ressources humaines dans le domaine de la santé. Comme nous l’avons signalé dans des éditoriaux précédents (les bulletins EQUINET, Réseau régional pour l’égalité en Afrique australe, sont consultables en ligne nous constatons en Afrique un « transporteur à bande mondial » qui transporte les professionnels de santé depuis les services primaires publics des ...lire la suite
Lors de la Fête internationale de la santé de cette année, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sort son rapport annuel consacré aux ressources humaines dans le domaine de la santé. Comme nous l’avons signalé dans des éditoriaux précédents (les bulletins EQUINET, Réseau régional pour l’égalité en Afrique australe, sont consultables en ligne nous constatons en Afrique un « transporteur à bande mondial » qui transporte les professionnels de santé depuis les services primaires publics des régions rurales jusqu’aux cliniques privées des villes, depuis les régions et pays pauvres jusqu’aux régions et pays riches de la région entière ainsi que de tout le continent ; il les transporte depuis des endroits où les besoins en soins médicaux sont élevés mais les ressources, elles, sont insuffisantes, vers des pays développés (à revenus élevés), tels que les Etats-Unis, le Canada, le Royaume Uni et l’Australie. Cette fuite entraîne une perte considérable de l’investissement public et des ressources sociales, perte qui l’emporte sur tout rendement sous forme de versements ou d’aide en matière d’éducation.
Pourtant, les professionnels de santé continueront à aller là où ils pourront travailler dans des services disposant de ressources suffisantes, là où ils trouveront un emploi convenable leur permettant de subvenir aux besoins de leur famille. Ce qui soulève la question plus générale de comment en Afrique assurer les ressources nécessaires pour garder et faire valoriser les professionnels de santé, et, sur une plus grande échelle, pour satisfaire les besoins des populations en matière de santé ?
L’avant-projet le plus récent de EQUINET (rédigé par Patrick Bond et constituant un travail de collaboration EQUINET / Centre pour la justice économique de l’Afrique australe) se réfère à une fuite Sud-Nord de richesses africaines, fuite qui sape les ressources destinées à la santé et au développement et qui augmente la perte de professionnels de santé ainsi que la dépendance du Nord global dans laquelle vit l’Afrique.
Le rapport de la Commission pour l’Afrique sorti en 2005 donne l’impression d’un continent bénéficiaire d’un afflux important d’aide, avec des investissements directs étrangers (IDE) en hausse, des remboursements de dettes viables et d’amples versements originaires de la diaspora africaine destinés à financer le développement.
Notre avant-projet interprète différemment les faits : il cite la « fuite importante de ressources africaines vers le Nord, fuite qui est radicalement en hausse et qui sape le continent des ressources nécessaires à son propre développement, y compris dans le domaine de la santé ». Le document fait la synthèse des données relatives à la fuite des richesses africaines, pour révéler les facteurs qui sont à l’origine du sous-développement chronique du continent et en fait le point de départ pour une proposition de politiques destinées à inverser cet afflux.
Les chiffres en disent long sur un continent qui se voit petit à petit déposséder de ses richesses, et par la suite des ressources dont il a besoin pour améliorer la santé et le développement humain de ses populations:
· Crise de dette avec, dans les années 80 et 90, remboursements 4,2 fois plus importants que les niveaux stipulés en 1980 ; remboursements de dettes annuels trois fois plus importants que l’afflux des prêts et, dans la majorité des pays africains, beaucoup plus importants que les gains à l’exportation, d’où un déficit net de $6.2 milliards en 2000.
· Manque de parité dans le commerce et les politiques de libéralisation du marché qui fait baisser le potentiel industriel de l’Afrique, et non pas le contraire, politiques qui font un gros trou dans l’Afrique Sub-Saharienne, estimé à $272 milliards pendant les 20 dernières années.
· Mouvements de fonds africains privés représentant un afflux net dans les années 70, qui se transforment d’abord en fuites progressives dans les années 80 et puis en fuites beaucoup plus importantes dans les années ‘90.
· Chute d’investissements directs étrangers (IDE) qui dans les années 70 s’élèvent à environ un tiers des IDE dans les pays du Tiers Monde, jusqu’à moins de 5% dans les années 90 ; glissement vers les investissements spéculatifs et extrêmement risqués des bourses et marchés monétaires ; effets d’instabilité et, dans l’ensemble, impacts négatifs sur les devises et économies africaines.
Le continent africain est souvent – mais à tort – représenté comme le bénéficiaire (indigne) d’un vaste apport d’aide. En effet, les afflux d’aide ont chuté de 40% dans les années 90 ; selon une enquête, l’aide « fantôme » qui revient aux pays donataires sous forme de frais techniques et administratifs, constituerait $42 milliards sur les $69 milliards qui seraient le total officiel de l’aide pour 2003, ce qui ne laisse que $27 milliards d’aide « réelle » pour les populations pauvres.
Il existe également une subvention « perverse » dans la mesure où les pays développés exploitent le stock mondial des ressources naturelles non-renouvelables. Il s’agit de l’exploitation de ressources naturelles africaines et de minéraux par les investisseurs du Nord en contrepartie d’investissements ou de royalties peu importants. Il s’agit aussi de l’utilisation des « biens mondiaux », tels que l’air propre de la planète.
L’on estime, par exemple, que les forêts dans l’hémisphère Sud, qui absorbent le carbone dans l’atmosphère, fournissent aux pollueurs du Nord une subvention annuelle s’élevant à $75 milliards. Selon une méthode utilisée par la Banque Mondiale pour mesurer l’épuisement des ressources, plus le pays dépend de l’exploitation de ses ressources, plus son PIB baisse, et ceci de 9% par pourcentage de dépendance croissante. Cela signifie qu’en 2000 chaque Gabonais, par exemple, aurait perdu $2,241 en fonction de l’exploitation pétrolière menée par l’industrie du pétrole.
Ces fuites épuisent les ressources qui auraient pu permettre un développement producteur et humain. Leurs effets se font sentir (principalement) chez les femmes et communautés pauvres et entravent tout progrès vers la réalisation d’une sécurité humaine pour la majorité des Africains.
Il faut comprendre que, pour réaliser un réel développement et assurer une sécurité sociale ainsi que des infrastructures de base, les sociétés et décideurs africains doivent d’abord identifier et ensuite mettre fin aux énormes fuites de richesses existantes et potentielles du continent.
En ce moment les réformes qui sont à l’ordre du jour n’abordent pas ce problème. Alors qu’il est question de dettes et de pratiques commerciales injustes, il ne s’agit pas d’inverser la fuite des richesses africaines.
Les luttes populaires et mouvements sociaux progressifs sont à l’origine de campagnes dont le but est d’inverser les flux de ressources et de contester les subventions « perverses ». On pense aux mouvements qui s’opposent à la privatisation et à la transformation des services de base en denrées rares, qui exigent le droit aux anti-rétroviraux génériques, et qui refusent que le développement humain soit empiété par le commerce et les politiques macroéconomiques qui ne font qu’intensifier les inégalités.
Ces mouvements populaires pourraient être consolidés par les gouvernements nationaux, ainsi que par une coopération régionale, afin d’améliorer la transparence des afflux financiers et pour faire appliquer en Afrique des politiques qui empêcheraient les fuites de ressources et qui favoriseraient la présence de ressources en investissements domestiques.
L’avant-projet précise plusieurs propositions : non-paiement systémique sur les remboursements de dettes, stratégies pour exiger le réinvestissement domestique de fonds de retraite, d’assurances et d’autres fonds institutionnels ; au niveau national réglementation des transferts financiers provenant de paradis fiscaux étrangers; une identification et une négociation plus claires de l’aide « fantôme » ou « liée» ; un calcul et une négociation plus précis des coûts des IDE (et non pas simplement des avantages), y compris l’épuisement des ressources naturelles, les prix de transfert et les flux profit/dividende.
EQUINET se réjouit de l’accent mis cette année par la Fête mondiale de la santé sur un domaine dans lequel l’Afrique se laisse saper – la perte de ressources humaines. Pourtant, nous croyons fermement que pour résoudre convenablement ce problème qui marque notre continent, et pour traiter à l’échelle mondiale des injustices qui affectent les ressources nécessaires à atteindre nos objectifs en matière de santé et de développement humain, il faut approfondir le débat.
En 1998 EQUINET affirme déjà qu’un élément essentiel pour assurer l’équité, est le pouvoir (et la capacité) que possède l’individu de faire des choix relatifs aux éventuels apports médicaux afin de garantir une meilleure santé pour tous. Dans le contexte africain, le contrôle des ressources en matière de santé et de développement devrait être de nouveau entre les mains des Africains.
* Cet article a paru pour la première fois dans le bulletin d’avril 2007 du Regional Network on Equity in Health in Southern Africa (EQUINET). Il est disponible à www.equinetafrica.org Vous pouvez trouver le numéro le plus récent de EQUINET en consultant http://www.equinetafrica.org/bibl/equinetpub.php Veuillez envoyer tout commentaire ou éventuelle question sur les thèmes soulevés dans cet article à [email][email protected] Le travail de EQUINET sur la politique économique et la santé est disponible au site-web EQUINET www.equinetafrica.org
*Cet article a d'abord paru dans l'édition anglaise de Pambazuka News numéro 250. Voir :