Si Madagascar a mis quatre ans pour organiser des élections, et que l’on parle à nouveau de les reporter, c’est bien parce que la classe politique unanime n’en veut pas, et fait ce qu’il faut pour en empêcher la tenue. Comment expliquer autrement tous ces refus de se plier à la loi, de la part de personnes qui ambitionnent chacune de devenir le premier magistrat du pays ?
Madagascar est aujourd’hui dans une impasse totale, en raison de déci¬sions irréfléchies et non conformes à la loi prises par les acteurs politiques qui ne songent qu’à leurs intérêts personnels alors qu’ils sont en charge des intérêts du pays. Pour en sortir, il convient de bien cerner les problèmes qui se posent.
Alors que se préparait la tenue d’élections attendues depuis quatre ans, fixées au 8 mai avant d’être reportées au 24 juillet, voici que la Cour élec¬torale spéciale (Ces) arrête une liste de 41 candidats, dont trois ont été contestées pour des motifs différents et partiellement justifiées selon les considérants étalés dans la presse. Le SeFaFi s’était indigné de cette mascarade, de la part d’une institution chargée du bon fonctionnement des institutions. Mais il avait pris acte d’une décision qui s’impose sans recours : «L’esprit de la démocratie exige à présent que les citoyens puissent faire leur choix en toute liberté». Pour autant, avait-il précisé, «cette affaire ne devra en aucune façon perturber un calendrier électoral élaboré avec peine. Un nouveau report ouvrirait la voie à toutes les ini¬tiatives extra-démocratiques, au moment où le pays aspire à retrouver des diri¬geants élus à même de faire face, grâce à leur légitimité, aux défis économiques et sociaux urgents ». (1)
Le médiateur de la Sadc, Joaquim Chissano, alors présent à Antananari¬vo, allait dans le même sens, déclarant, le 5 mai, que « nous respectons les insti¬tutions de la Transition, y compris la Cour électorale spéciale. Nous prenons note de ce qu’elle a fait. Comme vous savez, il n’y a pas de recours à la décision et il ne nous reste qu’à souhaiter qu’il n’y aura plus d’autres irrégularités ». (2) Au¬jourd’hui, la communauté internationale, Sadc en tête, récuse les trois candida¬tures litigieuses. Ce faisant, elle oblige Madagascar à commettre « d’autres irré¬gularités » ! Que la communauté internationale assume ses responsabilités, et cesse de tenir un double langage qui lui enlève toute crédibilité : en reniant sa parole, elle fait exactement ce qu’elle reproche (à bon droit) aux politiciens mal¬gaches.
La question à résoudre d’urgence est donc celle d’un éventuel report des élections. Pour la Commission électorale nationale indépendante de la Transition (Cenit), les préparatifs se déroulent normalement et l’échéance du 24 juillet peut être tenue. La question des candidatures ne peut pas être invoquée en fa¬veur d’un report, le médiateur de la Sadc ayant « pris note » de la liste des 41, en dépit des irrégularités constatées. Ceci étant acquis, la suspension des finan¬cements par les partenaires financiers et techniques ne tient pas non plus si les délais sont respectés par la partie malgache.
Madagascar n’étant pas confronté à une guerre interne ou externe, et n’ayant pas été ravagée par une catastrophe naturelle majeure, l’argument du « cas de force majeure » relève de l’arnaque politique. Et l’hypothétique réconciliation ne peut pas davantage servir de pré¬texte, le Conseil de la réconciliation malgache (Crm) étant constitué, et le Conseil des Églises chrétiennes à Madagascar (Ffkm) s’étant engagé à y travailler dans le long terme. Enfin, comment imaginer qu’un report n’en entraînera pas un autre, puisque les politiciens ne seront jamais tous d’accord sur toutes les ques¬tions d’importance ?
Le seul obstacle à la tenue des élections du 24 juillet est le refus évident de certains candidats (président de la Transition, président du Conseil supérieur de la Transition (Cst), ministre la Fonction publique) de se plier à l’obligation de démissionner dans les délais prescrits. Dès lors, pour maintenir le calendrier des élections, il revient aux deux chambres de la Transition de voter d’urgence la loi qui organise l’intérim du pré¬sident de la Transition - une loi que le gouvernement n’a hélas pas élaborée à temps, alors que la préparation du processus électoral est son seul objectif.
Il revient au Cst de destituer son président qui se met hors-la-loi en ne démissionnant pas et d’en élire un nouveau. Certes, il est permis de penser qu’il n’aurait pas posé sa candidature si le président de la Transition n’avait déposé la sienne hors délais, mais en choisissant de se porter candidat à la présidence du pays, il a définitivement renoncé à siéger au Cst et un retrait ultérieur s’avère sans effet.
Il revient à la Cenit de saisir la Ces pour destituer le ministre candidat qui enfreint la loi en refusant de démissionner. Et il reviendra à la présidence collégiale, dès qu’elle sera installée, de nommer des intérimaires aux postes ministériels vacants. Tout ceci devant être réalisé dans les deux semaines qui viennent, tandis que se poursuivent les pré¬paratifs électoraux, et en attendant l’ouverture de la campagne électorale le 27 juin prochain.
Enfin, rappelons que plus rien ne justifie l’inversion de l’ordre des élec¬tions : il a déjà été décidé de procéder à la présidentielle avant les législatives, que les dirigeants s’y tiennent ! Reste ouverte la question de la crédibilité de la Ces, fortement compromise par la validation des 41 candidatures…
Car personne n’est dupe. Si Madagascar a mis quatre ans pour organiser des élections, et que l’on parle à nouveau de les reporter, c’est bien parce que la classe politique unanime n’en veut pas, et fait ce qu’il faut pour en empêcher la tenue. Comment expliquer autrement tous ces refus de se plier à la loi, de la part de personnes qui ambitionnent chacune de devenir le premier magistrat du pays ?
Les politiciens se préoccupent toujours de leurs intérêts personnels et égoïstes (le pouvoir, l’argent, les honneurs), rarement des intérêts de leur parti, et jamais de l’intérêt général du pays et de ses habitants. Mais ils savent qu’ils ont tout à perdre d’une élection libre et transparente, où les citoyens pourront s’exprimer sans contrainte. Une ultime occasionleur est donnée de prouver par leurs actes, des actes concrets et cohérents qui nous acheminerons à l’élection du 24 juillet, qu’ils sont disposés à agir en tant que personnes responsables…
Antananarivo, 31 mai 2013
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NOTES
1) Communiqué du 5 mai 2013 : «La CES hors la loi ? ». 2
2) L’Express de Madagascar, 6 mai 20013, page 3.
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