Malgré de nombreuses similarités résultant des caractéristiques structurelles du capitalisme contemporain, les mouvements sociaux en Afrique gardent une certaine spécificité vis-à-vis des mouvements sociaux en Occident. La Conférence qui se tiendra du 17 au 19 juin 2014 à Dakar permettra aux auteurs de l’ouvrage collectif à venir de présenter leurs résultats et d’échanger entre eux ainsi qu’avec un public plus large autour de la nature, des dynamiques, des ambiguïtés et du potentiel des mouvements sociaux en Afrique de l’Ouest.
En juin 2012, le Bureau Afrique de l’Ouest de la Fondation Rosa Luxemburg avait organisé une conférence internationale sur le thème : « Quels changements pour l’Afrique ? Quels acteurs pour les porter ? ». L’idée de base était qu’il fallait aller au-delà de la critique du néolibéralisme et des institutions existantes pour aborder la question cruciale des paradigmes politiques et économiques alternatifs ainsi que celle des acteurs susceptibles de porter les ruptures radicales tant attendues.
Au cours de ces échanges, la plupart des participants étaient plus ou moins d’accord sur le fait que la soi-disant « démocratie libérale », loin de constituer une panacée, fait partie du problème à surmonter par le continent africain. De même, s’il était admis que l’espoir d’un changement social significatif en Afrique repose aujourd’hui sur les mouvements sociaux, il était néanmoins reconnu qu’ils tendent à souffrir d’un manque d’autonomie vis-à-vis des systèmes politiques en place. Mieux, les mouvements sociaux du début du XXIe siècle sembleraient même s’être perdus dans les bois (voir Ndongo Samba Sylla (dir.), Pour une autre Afrique. Éléments de réflexion pour sortir de l’impasse, L’Harmattan, 2014).
Depuis cette conférence, la Fondation a cherché à approfondir deux questions principales, notamment dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest : celle de la relation entre la crise de la démocratie libérale et la résurgence des mouvements sociaux ; et celle du potentiel en termes de transformation sociale des mouvements sociaux contemporains. En 2013, la Fondation, avec le concours de ses partenaires, a ainsi pris l’initiative de coordonner une étude sur les mouvements sociaux en Afrique de l’Ouest.
Cette initiative vise d’une certaine manière à combler un vide dans le domaine de la recherche. Alors que la littérature sur les mouvements sociaux commence à s’étoffer un peu partout, surtout après le passage du « printemps arabe », cela n’a pas été encore le cas en Afrique de l’Ouest, où l’entrée « mouvement social » tarde à s’imposer comme un prisme analytique permettant d’éclairer les dynamiques sociopolitiques. Alors que l’on sent intuitivement que quelque chose se passe, au vu des nombreux mouvements de protestation qui ont pris place dans la plupart des pays de la région, il y a en pratique très peu de travaux qui permettent de se faire une idée générale des tenants et aboutissants de cette résurgence apparente des mouvements sociaux.
Quelles sont les luttes sociopolitiques qui ont marqué récemment les pays de la région ? A quelles logiques obéissent-elles ? Quelles formes prennent-elles ? Quel a été leur impact politique ? Assiste-t-on à une résurgence des mouvements sociaux ? Si oui, sont-ils une réponse à la crise de la soi-disant « démocratie représentative » ? Ont-ils donné lieu à l’émergence de nouvelles formes d’expression et de participation démocratiques ? Quels défis apportent-ils ? Quelles sont les limites des mouvements sociaux ? Telles sont les questions qui ont orienté ce projet de recherche.
L’approche retenue a été de réaliser pour chaque pays un chapitre faisant le point sur les mouvements sociaux pour la période 2010-2013. Treize pays de l’Afrique de l’Ouest ont ainsi été couverts. Les auteurs des différents chapitres sont des chercheurs expérimentés, notamment des sociologues, anthropologues, politologues, historiens, etc. Ces différentes contributions sont en cours de publication sous forme d’ouvrage dans deux langues (en français et en anglais).
Les résultats qui dérivent de ces recherches tendent à confirmer certaines intuitions comme l’hypothèse d’une résurgence des mouvements sociaux en Afrique de l’Ouest. Ils tendent également à remettre en question nombre d’hypothèses et de catégories analytiques tenus pour évidents dans la littérature sur les mouvements sociaux et la démocratie.
Les différentes contributions ont insisté sur la nécessité d’analyser les mouvements sociaux en tenant compte des spécificités historiques et contextuelles. Malgré de nombreuses similarités résultant des caractéristiques structurelles du capitalisme contemporain, les mouvements sociaux en Afrique gardent une certaine spécificité vis-à-vis des mouvements sociaux en Occident. Au sein même de l’Afrique de l’Ouest, les formes de luttes sociopolitiques dominantes différent selon les pays. Les particularités historiques et les trajectoires politiques impriment une coloration et un contenu variables aux mouvements sociaux. Par exemple, les pays qui viennent de sortir de conflits semblent être moins réceptifs aux mouvements sociaux, notamment ceux orientés vers les revendications matérielles (cas de la Côte d’Ivoire). Dans les pays qui sont au seuil de leur « transition démocratique », les mouvements sociaux dominants sont généralement orientés vers les questions de « gouvernance » et de respect des droits humains et de l’ordre constitutionnel (cas de la Guinée). Dans ces cas de figure, l’idée même d’un changement radical est chassée par la mémoire fraiche d’un passé douloureux.
Contrairement à l’image idyllique d’une « société civile » qui sert de contrepouvoir à un État autoritaire et oppressif, plusieurs contributions ont montré que les organisations dites de la « société civile » n’œuvrent pas toujours dans le sens du renforcement de la démocratie et de l’unité nationale. Bien souvent, la « société civile » est une arène où les luttes partisanes sont déplacées. Quand les acteurs de la « société civile » ne sont pas cooptés par le pouvoir, ils peuvent parfois servir de porte-voix à des revendications régionalistes, ethniques ou religieuses.
Ce projet de recherche montre également que tous les mouvements sociaux ne sont pas nécessairement des mouvements populaires et qu’ils n’ont pas le même potentiel en termes de transformation sociale. Les luttes pour garantir les droits des « minorités » (femmes, Lgbti, handicapés, etc.) et les luttes pour améliorer la « gouvernance » (respect de la Constitution, lutte contre la corruption, etc.), si elles sont importantes, ne permettent pas fondamentalement de changer le système en vigueur, système dont ils approfondissent la logique. Dans ces deux types de cas, ce qui est en cause, c’est moins la nature des arrangements institutionnels que leur performance limitée. Ce qui est en cause, c’est moins la « démocratie libérale » que le fait qu’elle n’ait pas tenu promesse. De même, les luttes corporatistes, qu’il s’agisse des syndicats, des étudiants, des enseignants, des agents de santé, etc., ne peuvent fournir un contreprojet tant qu’elles restent étriquées et confinées dans une perspective sectorielle.
Enfin, les luttes prolétariennes (contre la cherté de la vie, l’accaparement des terres, etc.), même si elles ont un plus grand potentiel en termes de transformation sociale et ont souvent débouché sur des gains appréciables à court-terme, demeurent limitées dans leurs effets tant qu’elles ne sont pas articulées à un projet de transformation sociale de long terme. Or, jusque-là, les mouvements sociaux en Afrique de l’Ouest se sont plus ou moins déployés selon ces différentes logiques. Ce qui montre toute la difficulté qu’ils ont à penser le capitalisme néolibéral dans toute sa complexité.
Dans l’ensemble, si l’on devait se risquer à fournir un résumé rapide du message central de cet ouvrage collectif, l’on dirait la chose suivante : les mouvements sociaux en Afrique de l’Ouest sont dans la situation paradoxale où ils doivent résister au quotidien aux dégâts du libéralisme économique et en même temps faire pression sur un État affaibli - et dont le rôle se résume de plus en plus à « assainir le climat des affaires » - pour qu’il matérialise la promesse du libéralisme politique (celle de garantir en permanence à chaque individu tous ses droits). Autrement dit, la même scission économique/politique caractéristique du système capitaliste se retrouve dans la structuration des mouvements sociaux.
Concrètement, cela signifie par exemple que les mouvements sociaux qui se battent contre des systèmes politiques autoritaires tendent à occulter l’aspect économique du problème tandis que ceux qui résistent aux nombreuses formes de dépossessions socioéconomiques induites par le modèle néolibéral d’accumulation tendent à chercher des solutions dans le cadre des institutions politiques existantes. L’absence de contreprojet reposant sur une base populaire et qui articule les dimensions économique et politique explique jusque-là le manque de radicalité des mouvements sociaux, le caractère incertain et précaire des « acquis » démocratiques pour lesquels ils continuent de lutter, et également leur manque d’autonomie vis-à-vis de la politique partisane qui vise en permanence à structurer la « société civile » selon sa logique et temporalité propres.
La Conférence qui se tiendra du 17 au 19 juin 2014 à Dakar permettra aux auteurs de l’ouvrage collectif à venir de présenter leurs résultats et d’échanger entre eux ainsi qu’avec un public plus large autour de la nature, des dynamiques, des ambiguïtés et du potentiel des mouvements sociaux en Afrique de l’Ouest. Elle verra également la participation de chercheurs et chercheuses dont le point de vue permettra de faire ressortir les similitudes et les différences qui existent entre la situation de l’Afrique de l’Ouest et celles qui prévalent dans les autres régions du continent et en Europe.
Au sortir de la Conférence, l’objectif attendu est la mise en place d’un réseau de recherche sur les mouvements sociaux en Afrique de l’Ouest ainsi que l’identification de perspectives de recherche future.
CONFERENCIERS ATTENDUS
Trevor Ngwane (Afrique du Sud), Cornelia Hildebrandt (Allemagne), Louisa Prause (Allemagne), Cláudio Alves Furtado (Cap-Vert, Brésil), Francis Akindès (Côte d’Ivoire), Lila Chouli (France, Burkina Faso), Kojo Opoku Aidoo (Ghana), Alpha Amadou Bano Barry (Guinée), Leonardo Cardoso (Guinée-Bissau), George Klay Kieh Jr (Liberia, États-Unis), Issa Ndiaye (Mali), Kehinde Olosula Olayode (Nigeria), Souley Adji (Niger), Ibrahim Abdullah (Sierra Leone), Modou Diome (Sénégal).
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