Crise migratoire, accaparement des ressources naturelles et d’insécurité dans les frontières : Quelles réponses citoyennes pour l’Afrique
Dans un contexte de crises et de conflits, de guerres et d'accaparement des terres et des ressources, les populations les plus vulnérables du monde se trouvent contraintes à des mouvements migratoires. Mais plus qu’une solution les migrations sont devenues un problème. Et l’Afrique se trouve en devoir de trouver ses propres solutions.
La migration est une donnée humaine, un comportement naturel que partagent tous les êtres vivants. Ainsi les animaux migrent, les poissons aussi, de même que les personnes depuis la nuit des temps. C'est sans doute pour cela que les concepteurs de la Déclaration universelle des Droits l’homme de 1848 en étaient arrivés à en faire un droit humain, reconnu dans son Article 13 qui stipule que "toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien et d'y revenir…" Mais, depuis un certain temps, la migration est perçue comme un problème et non plus comme un facteur de solidarité, de rencontre et d'échanges entre les peuples du monde.
Dans un contexte de crises et de conflits, de guerres et d'accaparement (des terres et des ressources), les populations, notamment les plus vulnérables du monde, sont de plus en plus contraints à des mouvements migratoires, souvent forcés et/ou nécessaires pour se prémunir des guerres, des crises économiques, climatiques et des conflits sociopolitiques. C’est tout cela qui explique ce qu'il est convenu d'appeler la crise migratoire, aggravée par une crise sécuritaire et diplomatique qui a secoué tous les continents du monde sans exception. L'Afrique, continent de migrants, par excellence, a été bien entendu frappée par cette crise.
En 2011, lorsque se préparait la tenue du Forum social mondial à Dakar, l’écrasante majorité des migrants provenaient des pays de l’Afrique subsaharienne comme le Niger, le Soudan, la Somalie, l’Érytrée, l’Ethiopie, le Mali, le Sénégal, le Ghana, mais aussi le Cameroun, les rives du Congo, la Centrafrique et le Gabon. La plupart d’entre eux passaient plusieurs mois, voire des années à travailler en Libye dans des conditions difficiles, le temps de gagner le prix de la traversée vers l’Europe (entre 1 000 et 2 000 dollars). Après la chute du régime Kadhafi et la multiplication des conflits au Proche-Orient, particulièrement en Syrie, la Libye est aussi devenue le pays de transit de ceux qui fuient la guerre.
De l'avis de certains observateurs, après le chaos libyen, l'immigration en Méditerranée est devenue un drame global. Sous la poussée des passeurs, les naufrages dans cette mer se sont accentués avec des milliers de migrants africains qui tentent d'emprunter cette route, après celles de l'océan Atlantique fermée par les contrôles de l'Agence Frontex. Par exemple, dans la première semaine du mois d'avril 2015, quelque 800 migrants étaient morts noyés en Méditerranée centrale.
Il s’y ajoute que la crise environnementale, avec les catastrophes naturelles, les conflits liés à l’accaparement des terres et des ressources naturelles, les déplacements forcés ou les flux de réfugiés liés aux changements climatiques privent les communautés, notamment les femmes rurales, les paysans, les pêcheurs et les pasteurs, de leurs moyens de subsistance et engendrent directement ou indirectement, des violations de leurs droits à la terre, à l'eau et à l’alimentation.
Face à une telle situation, avec un flux migratoire aussi important, mais aussi avec des conséquences dramatiques en termes de perte en vie humaine, beaucoup de voix se sont élevées pour dénoncer le silence coupable des hautes autorités des institutions africaines, face à ces drames. Ainsi, après les pirogues qui partaient de l'océan Atlantique pour les côtes espagnoles des Iles Canaries, voila que les routes du désert, entre la Libye et les pays sahéliens ont repris le relais qui fait dire à certains observateurs que le Sahara a été aussi meurtrier que la Méditerranée»
Si très peu de voix ont été entendues dans ces moments, l'Union européenne (Ue), quant à elle, a entrepris de nombreuses démarches afin de voir comment contenir les arrivées de ces migrants « indésirables » dans ses frontières. Et c'est dans ce cadre qu'elle a signé, le 28 novembre 2014, à Rome, avec plusieurs États africains – dont le Soudan et l’Érythrée - ce qu'il est convenu d'appeler le « processus de Khartoum ». Celui-ci est censé renforcer la coopération entre les pays de destination, de transit et de départ.
La Somalie, le Soudan du Sud, l’Éthiopie, Djibouti, la Tunisie, l’Égypte et le Kenya ont eux aussi paraphé la déclaration finale. Il s’agit pour l’Ue de former les policiers des États de la région et de leur apporter une assistance technique dans leur lutte contre les passeurs. Des campagnes d’information sur les risques de la migration irrégulière devraient également être lancées. Ces options, pour certains, sont un moyen pour l'Ue, d'externaliser la gestion des frontières en mettant en place un mécanisme de contrôle et de tri à partir déjà des frontières africaines.
Il faut rappeler aussi que le processus de Rabat a existé, avec des pays du Nord et du Sahel. Mais toutes ces initiatives n'ont pas empêché l'escalade de la migration dans le dernier semestre de l'année 2015. Une crise migratoire sans précédent a secoué le monde, et le tout sur fond de problèmes sécuritaires avec la montée du terrorisme, les guerres en Syrie, en Irak, et en Libye.
Le dernier Sommet de la Valette, qui a réuni les pays africains et européens, a été un moment pour la diplomatie des Etats-parties de se parler directement et de voir les pistes de solutions.
On sait aussi qu'après ce Sommet des initiatives ont été annoncées, venant de l'Union européenne qui entrevoit de dégager des fonds importants pour accompagner et soutenir les pays africains à mieux faire face aux conséquences de cette crise migratoire internationale.
Dans ce contexte de crise migratoire intense et lourde de conséquences, le Sénégal, comme beaucoup de pays en Afrique comme le Mali, le Niger, la Mauritanie, etc., ont lancé des processus d’élaboration de politique nationale migratoire et se sont inscrits, dans le cadre de la Cedeao, dans une démarche d'évaluation et de suivi du Sommet de la Valette.
Cependant, tout en saluant ces initiatives en cours, les membres des mouvements sociaux et organisations de la société civile se posent encore des questions de fond.
Au delà des drames de la Méditerranée, mais aussi de ceux du désert et dans les pays d’accueil, quelles réponses donner aux nombreuses inquiétudes des jeunes Africains qui continuent à prendre tous les risques de partir ? Quelles voix pourraient les convaincre à accepter qu'il doit être possible de trouver des alternatives sur le continent ? En sommes quelles politiques migratoires et de développement, devraient être élaborées et mises en œuvre pour trouver des solutions durables à cette crise migratoire ?
Voila autant de questions qui nous arrivent des groupes d'acteurs et autres citoyens. La caravane de la Cedeao sur la convergence des luttes contre l’accaparement des terres, de l’eau et des semences qui vient de boucler son parcours à Dakar, et qui a été une résultante de la 7e édition du Forum social sénégalais, en a posé le débat et proposé quelques pistes de solutions. De même, la dynamique de reconstruction et de relance du Conseil du Forum social africain (Fsa) est une autre illustration de l’engagement des mouvements sociaux à interpeler les décideurs sur les défis et enjeux de la migration en relation avec les problèmes de la gouvernance des ressources naturelles.
Afin de créer les conditions de pouvoir rassembler des éléments de réponses, le Forum social sénégalais qui travaille sur la question depuis des années et qui a été à la base de nombreuses initiatives comme la création du Groupe de travail des Ong, devenu et le Réseau Migration-Développement (Remidev) et plus tard la Plateforme Migration-Développement, a jugé utile d'organiser sa 8eme Edition annuelle sur le thème « Migration et Développement». Cette 8e édition du Forum social sénégalais, qui se tient (Ndlr : les 28 et 29 mars) dans un contexte de convergence des luttes et des dynamiques citoyennes en Afrique de l’ouest pour une meilleure gouvernance des ressources naturelles, vise à approfondir l’analyse du contexte et de la situation de la migration et du développement en vue des orientations et axes de la politique nationale de migration.
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