Refus de comparaître d’Hissène Habré : La présence de l’accusé à son procès est-elle un droit … ou un devoir ?

La question s’est récemment posée dans le cadre du procès d’Hissène Habré, ex-président du Tchad. Celui-ci, après avoir adopté une ligne de Défense visant à contester la légalité des Chambres africaines extraordinaires, poursuit sa stratégie de l’évitement en martelant son refus de comparaître lors du procès qui débutera le 20 juillet prochain.

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En théorie, les règles tant nationales qu’internationales du procès équitable mentionnent que la présence de l’accusé à son procès est un droit. L’article 21 du Statut des Chambres africaines extraordinaires ne déroge pas à cette règle. Toutefois, la pratique montre qu’un tel droit ne peut pas toujours être respecté : l’accusé peut être en fuite et n’avoir jamais été amené devant la juridiction, être malade, avoir été expulsé par les juges pour avoir troublé l’audience de manière significative ou enfin avoir décidé après comparution initiale de ne plus se présenter malgré son droit.
Dans ce dernier cas, l’accusé prend la décision pleinement volontaire de ne pas exercer son droit. De ce fait, il ne pourra, par la suite, s’en prévaloir afin de contester la légalité de son procès ou signaler le non respect de ses droits.
Or, si assister à son procès est bel et bien un droit, peut-on considérer, à l’inverse, que refuser d’y assister en est également un ? Les textes restent silencieux sur ce point. Toutefois, et toujours dans l’intérêt de la justice, si le procès dit « in absentia » est régulièrement appliqué, cela reste et doit rester une exception. En aucun cas l’absence de l’accusé ne pourrait être perçue comme le principe.

Le droit sénégalais, via l’article 301 du Code de procédure pénale (Cpp), consacre deux possibilités : passer outre la réticence de l’accusé et continuer le procès, ou mener l’accusé de force devant la Cour par décision du président de la Chambre africaine d’assises. Une telle mesure ne contrevient dès lors nullement aux droits de l’accusé. À l’image de son audition de déclinaison d’identité ayant eu lieu le 3 juin dernier, Hissène Habré pourrait être conduit, par les services judiciaires compétents, à son procès. À nouveau, cela se produirait sans violences, heurts ou atteintes à ses droits.
Dans l’hypothèse où les juges accepteraient de continuer les débats sans l’accusé, son droit à un procès équitable serait également respecté. En vertu de l’article 298 du Cpp, notamment, il disposerait de la présence d’un défenseur durant l’audience : celui de son choix ou, s’il ne se présente pas, un commis d’office par le président de la Chambre africaine d’assises. Cette présence est essentielle afin de représenter l’accusé et de l’informer. A chaque instant, ce dernier peut décider de comparaître à nouveau.
Des solutions ont également été apportées par le droit international. La Cour pénale internationale (Cpi), le Tribunal pénal international pour le Rwanda ou encore le Tribunal spécial pour la Sierra Léone ont ainsi consacré, dans leurs Statuts, la légalité des procès « in absentia » lorsque l’accusé refuse expressément de comparaître.

Récemment, dans l’affaire William Samoei Ruto, la Cpi a néanmoins eu l’occasion d’apporter des précisions quant à cette possibilité. M. Ruto, vice-président de la République du Kenya, avait présenté devant la Cour une requête visant à être excusé d’une présence continue à son procès, en raison de sa fonction de haut-dirigeant. Dans cette affaire, la chambre de première instance a accepté que M. Ruto soit excusé durant toute la durée de son procès, à la condition toutefois d’être présent à certaines audiences énumérées dans la décision. Quatre mois plus tard, une décision similaire était adoptée dans l’affaire Uhuru Muigai Kenyatta, président de la République du Kenya.

Par la suite, la Chambre d’appel, saisie dans l’affaire Ruto, a souhaité apporter quelques nuances quant à la dispense d’un accusé en faisant naître la condition de « circonstances exceptionnelles ». Cette condition, ultérieurement introduite dans le Règlement de procédure et preuve de la Cpi, reconnaît le droit de l’accusé de ne pas être présent à son procès lorsqu’elle s’accompagne de trois autres conditions : absence de mesures permettant de l’éviter, garantie des droits de l’accusé en son absence et renonciation explicite de ce dernier à son droit.

Le refus tacite de l’accusé n’est donc plus une condition suffisante. Dans ce cadre, tant au regard du droit national (Code de procédure pénale) que du droit international (Règlement de la Cpi), forcer Hissène Habré à comparaître ne saurait constituer une mesure illégale ou une brutalité de la part des Chambres africaines extraordinaires. À l’image de l’affaire Ruto susmentionnée, la Chambre pourrait ainsi décider d’obliger l’accusé à être présent à certaines audiences comme les déclarations liminaires et finales de toutes les parties ou encore les audiences relatives à la peine et aux réparations.

Finalement, l’accusé peut donc certes décider de refuser de comparaître, mais cette possibilité doit être et rester envisagée comme une exception encadrée et conditionnée. Il ne peut s’agir d’une option réelle et personnelle pour l’accusé. Dans son intérêt, et dans celui de la justice, Hissène Habré peut donc être légalement forcé de comparaître et, dans ce cadre, devrait davantage se consacrer sur sa défense que sur les moyens de contourner son procès.

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** MDorine Llanta est diplômée en droit humanitaire de l’université d’Aix-Marseille. Elle a assisté le Bureau du Procureur du Tribunal Spécial International pour l’Ex-Yougoslavie dans l’affaire Ratko Mladic.

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