On ne peut agir avec la même intensité sur l’ensemble des facteurs du développement car cela exigerait des moyens financiers et en ressources humaines considérables dont le pays ne dispose pas. Et c’est dans cela que réside la nécessité de faire des choix stratégiques pertinents d’actions, en termes d’efficacité des impacts positifs qu’elles entraînent, une fois qu’elles sont mises en œuvre de façon cohérente.
On entend souvent certains hauts responsables de notre pays, affirmer que l’on a toujours priorisé l’économie, au détriment du social et qu’il est maintenant indispensable de faire beaucoup plus du social et peut-être un peu moins d’économie compte tenu de la détérioration alarmante des conditions de vie de larges couches de la population ! Parler de cette façon, c’est tout simplement méconnaître la nécessité de raisonner en terme de développement qui est un concept multidimensionnel englobant les différents facteurs interdépendants et interactifs à savoir économique, politique, social, culturel, technologique, infrastructurel….
Il faut souligner, en effet, que si l’on néglige un facteur ou certains de ces facteurs ; cela provoque des disfonctionnements et des distorsions entraînant l’impossibilité de rationaliser la mise en œuvre de mesures et de réformes de politique visant la réalisation des objectifs de développement rapide, équilibré et durable, compte tenu de l’interdépendance et de l’interactivité de ces différents facteurs dont certains auront forcément, si on les néglige, des impacts négatifs sur l’efficacité des autres.
Il faut souligner, en effet, que si l’on néglige le facteur «économique » comme, par exemple, la promotion des entreprises de production, cela se traduit par des difficultés de créer des emplois, donc de revenus, nécessaires quand ils sont bien répartis, pour réduire progressivement les inégalités sociales.
De même, à l’inverse, on pourrait s’attendre, si l’on néglige les autres facteurs, autres qu’économique, à l’apparition de ce que l’on appelle le « Dutch Disease » ou la Malédiction des ressources naturelles qui consiste au fait que l’exploitation à grande échelle d’un important gisement minier - en l’absence d’un cadre macroéconomique stratégique intégrant des politiques intersectorielles et intra sectorielles bien conçues, - entraîne des effets pervers conduisant même à des résultats contraires à ceux attendus.
Ce qui précède a été largement développé dans les différents articles et livres que j’ai rédigés dont notamment : « Développement rapide et durable de Madagascar. Est-ce une utopie ? » et « Madagascar en péril. Un Projet de Société pour le sauver ».
Certes, l’on ne peut agir avec la même intensité sur l’ensemble des facteurs du développement car cela exigerait des moyens financiers et en ressources humaines considérables dont le pays ne dispose pas. Et c’est dans cela que réside la nécessité de faire des choix stratégiques pertinents d’actions, en termes d’efficacité des impacts positifs qu’elles entraînent, une fois qu’elles sont mises en œuvre de façon cohérente.
C’est ce que je propose humblement dans l’article qui va être développé ci-après.
Les résultats mitigés obtenus en termes de développement au cours des dernières décennies par beaucoup de pays africains dont, en particulier, le Nigéria, et ce en dépit de l’importance des moyens déployés, s’expliquent par le fait que les dirigeants de ces pays ont voulu tout faire en même temps et surtout en matière d’investissements en infrastructures, en l’absence d’un cadre stratégique permettant d’assurer une meilleure coordination générale des actions, de faciliter la recherche de synergie dans les actions entreprises, de permettre l’allocation optimale des ressources et au total d’obtenir des performances plus significatives dans la démarche visant l’accélération et l’harmonisation du développement.
Que pourrait-on proposer, alors, pour Madagascar ?
Depuis une dizaine d’années, j’avais suggéré la nécessité de procéder à la dynamisation et/ou la restructuration des pôles de développement régional qui constitue un excellent moyen devant permettre de contribuer à la réalisation des objectifs de développement humain, rapide et durable.
Ce concept de pôle de développement découle en fait de la prise en compte des côtés pragmatiques des théories développées par les économistes August Lösch, Jan Tinbergen et Albert Waterston se rapportant à la localisation spatiale des activités économiques et à l’exploitation optimale des potentialités d’une région.
Les propositions tirées de ces théories font ressortir que « créer un pôle de développement » signifie : localiser géographiquement l’implantation d’une ou plusieurs activités principales dans une région déterminée. Ces activités implantées conditionnent et impulsent directement ou indirectement diverses autres activités polarisatrices, sources de richesses, de revenus et d’emplois, conduisant, une fois qu’elles sont mises en œuvre de façon cohérente, à la réduction progressive des inégalités sociales.
Le choix de l’implantation de ces activités polarisatrices doit tenir compte :
- de l’étude des potentialités physiques liées, en particulier, à la nature des sols et aux possibilités d’exploitation optimale de la main-d’œuvre et des richesses naturelles de la région ;
- de la recherche de complémentarité et de synergie entre les activités développées dans les régions environnantes ;
- de l’étude spatiale des infrastructures existantes afin de les renforcer et d’améliorer leur rôle en matière de circulation des personnes et des biens ainsi qu’en tant que vecteur de croissance ;
- de la nécessité d’impulser une démarche progressive et itérative dans la mise en place de mécanismes et de structures adéquates de conception, de décision, de mise en œuvre, de suivi et de contrôle, impliquant la participation de l’ensemble des acteurs socio-économiques et des partenaires au développement, laquelle participation est fondamentale à l’efficience des activités entreprises ;
- de l’adoption d’une attitude pragmatique consistant à rechercher les possibilités d’exploitation optimale des réelles possibilités d’une région au lieu, avant d’agir, d’essayer de trouver les solutions optimales aux principaux problèmes qui se posent à cette région ;
- de la priorité à accorder également, en plus de la réhabilitation et/ou de la construction des routes, à la réhabilitation d’autres infrastructures complémentaires, tels les barrages et systèmes d’irrigation, ainsi que les infrastructures en matière de télécommunication, d’électricité et d’adduction d’eau, ou des marchés et des greniers communautaires.
La création et/ou la dynamisation des pôles de développement favorisent l’utilisation des matériaux locaux et l’amélioration du cadre social et l’épanouissement humain grâce à la prise de mesures concrètes assurant le fonctionnement effectif des écoles et dispensaires ainsi que des pharmacies villageoises installées dans ces régions. Elles contribuent, ainsi, à l’amélioration de l'accès de la population aux services sociaux de base dont, notamment, les soins de santé primaire et aux médicaments essentiels, à l’éducation et aux loisirs grâce à la création de centres sanitaires, culturels et sportifs.
Bref, la création et/ou la dynamisation des pôles de développement s’inscrit dans l’élaboration et la mise en œuvre de Schémas de développement régional (Sdr) avec des programmes chronologiques cohérents d’actions complémentaires en matière de construction ou de réhabilitation d’urgence de routes qui favorisent les communications inter pôles de développement.
Ces pôles de développement constituent ainsi un vecteur puissant d’accélération de la croissance, un outil d’amélioration de l’allocation des ressources et un facteur de polarisation de la main d’œuvre contribuant, par ce fait, à la solution des problèmes récurrents de migration incontrôlée.
Faire des choix stratégiques d’actions consiste ainsi en choix judicieux des pôles de développement régional à dynamiser et/ou à restructurer, compte tenu des critères évoqués supra. Des exemples (comme Faratsiho et Bealalana) ont été proposés dans mes précédents ouvrages, mais il serait trop long de les redévelopper ici.
LES CONDITIONS DE SUCCES
Les conditions de succès de la démarche à entreprendre impliquent, au niveau de toutes les instances, l’augmentation de la capacité de planification stratégique et, en particulier, l’adoption d’une attitude prospective permettant aux responsables (à tous les niveaux, dont notamment les chefs de région) d’inscrire les solutions aux problèmes identifiés, dans une vision de long terme.
Mais de façon pragmatique cela nécessite tout d’abord la prise de mesures de stabilisation cohérentes et efficaces destinées à stopper le mal qui continue de provoquer des conséquences désastreuses sur l’ensemble des activités économiques et sociales, et partant sur la dégradation insupportable des conditions de vie de la grande majorité de la population.
Ces mesures d’urgence concernent entre autres :
- La mise en place d’un système juridique, juste, transparent, fiable, crédible et luttant sans merci contre la corruption ;
- La mise en œuvre de mesures destinées à instaurer un climat d’apaisement politique et social et à accélérer la réconciliation nationale ;
- La libéralisation des médias sous réserve du respect des règles de déontologie en la matière et la signature d’un pacte social engageant tous les acteurs politiques et autres du développement ;
- La mise en place des structures et mécanismes chargés d’assurer un respect plus strict des Droits humains et l’initiation, dans les plus brefs délais, de façon réellement inclusive et consensuelle, d’un processus itératif visant la mise en place des fondamentaux d’un Etat fort et juste ;
- La réalisation urgente des actions d’éducation civique et de culture de la participation citoyenne et de l’intégrité, impliquant un changement de mentalité et de comportements de la part de tous les acteurs de la vie politique, économique et sociale et d’une manière générale, de tous les citoyens ;
- Le rétablissement de la sécurité aussi bien en milieu urbain que rural afin de redonner confiance aux investisseurs et à l’ensemble des producteurs ;
- L’amélioration des conditions de vie de la population, surtout les catégories les plus défavorisées et vulnérables, victimes des inondations et de la famine.
- Rien de concret et de positif ne peut être obtenu dans toute action entreprise tant que persiste le climat délétère qui prévaut actuellement dans le pays.
- Il faut cependant souligner la nécessité d’assurer la liaison entre l’urgence et le développement, c’est-à-dire, la nécessité d’assurer l’articulation logique entre les stratégies du court, moyen et long terme à partir de l’analyse approfondie des déterminants de la situation dans le passé et ce, afin de mieux comprendre le présent et de construire un futur meilleur désiré par tous. En d’autres termes les actions à entreprendre ne devront pas seulement être dictées par l’obligation de répondre à la dictature du court terme mais par la constante préoccupation de les inscrire dans une vision globale systémique et à long terme.
La plupart des grandes difficultés que l’on rencontre actuellement (déficit en matière d’infrastructures ; délestages ;surpeuplement de la capitale ; famine….) proviennent de la méconnaissance des recommandations, allant dans le sens précité, véhiculées lors de la rédaction du document « Madagascar, vision 2030 » par une trentaine d’experts malgaches pluridisciplinaires de haut niveau, dont je faisais partie, il y a une vingtaine d’années.
Pour renforcer ce qui est affirmé supra, il faut ajouter la nécessité de promouvoir le culte de l’excellence et de la discipline, associé au dynamisme, à la compétence et au sens du bien commun de la part des dirigeants ainsi qu’au degré élevé de civisme des administrés.
Ainsi il faudrait, par exemple, que tous les dirigeants pour mériter d’occuper des postes de haute responsabilité, soient pénétrés par l’obligation d’obtenir des résultats positifs et - être beaucoup plus en cela, des « Managers stratégiques » du développement qui n’excluent pas le fait qu’ils peuvent être en même temps, des politiciens au sens noble du terme.
Un point très important qu’il y a lieu aussi de souligner concerne la nécessité d’assurer la maitrise du mode opératoire c’est-à-dire la capacité à traduire en termes d’actions concrètes orientées vers des résultats palpables et vérifiables, la connaissance des itinéraires techniques, et ce, à partir des différentes études techniques qui ont été déjà entreprises dans différents domaines relatifs aux régions et qu’il suffit, bien souvent, de les compléter et/ou de les actualiser.
Des instruments comme la Gestion Axée sur des Résultats (GAR) pourraient donner en cela d’excellents résultats et j’ajouterais humblement que la mise en œuvre des différents documents (Politique Nationale de Développement ; Programme d’Urgence Présidentiel ; Politique Générale de l’Etat ; Axes Stratégiques du Programme Gouvernemental), gagnerait certainement en efficacité si l’on utilise de façon judicieuse ces instruments.
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** Razafindrakoto Raymond est ancien Economiste Principal du Pnud, Doyen des Ingénieurs statisticiens économistes malagasy
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