L’observation révèle une liste variée de tâches auxquelles les transitions sur le continent se sont attelées. Ces moments sont souvent favorables à des changements urgents pour la poursuite de l’expérience de démocratisation il appartient aux acteurs de la transition d’opérer les choix pertinents surtout au regard du temps limité dont ils disposent.
Décidément, les Burkinabès ne finissent pas de nous donner des leçons sur la manière de conduire une transition. Après avoir négocié le passage de la révolution à la Transition avec beaucoup moins de casse que ce à quoi l’on aurait pu s’attendre, du moins en comparaison avec les expériences récentes sur le continent, ils continuent de poser des actes qui rassurent par rapport aux chances de succès de la Transition. Par exemple, la société civile maintient une veille permanente pour éviter la promotion de Burkinabès dont le passé ne rassure pas ou semble équivoque. Elle réfléchit et fait également des propositions sur les tâches auxquelles la Transition devrait se consacrer.
C’est justement sur ce dernier point, ces défis que la Transition doit relever, que porte la présente réflexion. Elle a pour principal objectif de partager les expériences récentes de transitions en Afrique de l’Ouest et ailleurs sur le continent africain avec l’espoir qu’elles servent éventuellement de source d’inspiration. Bien que l’observation révèle une liste variée de tâches auxquelles les transitions sur le continent se sont attelées, ce papier porte essentiellement sur trois catégories de tâches, compte tenu du contexte spécifique burkinabè : l’organisation des élections, la réforme constitutionnelle et ce que nous appelons, faute de mieux, les "réformes généralement non souhaitées par les acteurs politiques".
En ce qui concerne les élections, il peut y avoir au moins deux catégories de difficultés. La première concerne la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et la confiance dont elle jouit auprès des parties prenantes du processus électoral. Selon les expériences de ces dernières années, les options disponibles sont au nombre de trois, tout au moins : soit laisser la Ceni telle qu’elle est actuellement, soit mettre en place un mécanisme de surveillance de la gestion de la Ceni (exemple : un comité) dont la composition (qui pourrait refléter la "configuration politique du moment") et les attributions rassurent les uns et les autres, ou alors la renouveler purement et simplement. Naturellement, chaque option présente des avantages et des inconvénients et il appartient aux acteurs de la transition d’opérer le choix pertinent surtout au regard du temps limité dont ils disposent.
Ceci est d’autant plus important que, ce faisant, il est utile d’avoir présent à l’esprit que, d’une part, les résultats des élections qui vont sanctionner la Transition dessineront une nouvelle configuration politique qu’il faudrait nécessairement traduire à travers de nouveaux ajustements à la Ceni. D’autre part, il est bon de savoir que la tendance observée ces dernières années va à la professionnalisation et la dépolitisation des organes de gestion des élections et non à la politisation débridée desdits organes observée surtout dans les pays francophones.
L’ordre dans lequel les différentes élections – locales, législatives et présidentielle – doivent être organisées constitue l’autre catégorie de difficultés liées aux élections. Le Niger, lors de sa dernière transition (février 2010-mars 2011), a organisé dans l’ordre et dans la foulée, les locales (11 janvier 2011), les législatives (31 janvier 2011) et la présidentielle (les 31 janvier et 12 mars 2011). La Guinée qui a organisé d’abord la présidentielle (en juin et octobre 2010) n’a pu tenir les législatives d’ailleurs émaillées de violences que trois ans après, tandis que les locales attendent toujours. La Côte d’Ivoire, qui a organisé la présidentielle d’abord (en octobre 2010), a vu le boycott des législatives et des locales par l’opposition tandis que les locales ont bien eu lieu, mais émaillées de violences.
Et si l’on veut remonter à beaucoup plus loin, au Bénin d’après la Conférence nationale de 1990, dans un contexte un peu différent, les législatives ont eu lieu en février 1991, la présidentielle en mars 1991 tandis que les premières élections locales n’ont pu finalement avoir lieu qu’en 2003, quasiment douze ans après ! Une fois encore, il appartient aux Burkinabès, que l’on sait si soucieux de la paix, de la préservation de l’intérêt général et de la stabilité de leur pays, de choisir l’ordre d’organisation des élections qui réduise au maximum les risques de violences et d’instabilité.
En ce qui concerne la constitution, deuxième catégorie de tâches de la Transition, l’expérience des récentes transitions dans la sous-région révèle une sorte de constante. La quasi-totalité des transitions en Afrique de l’Ouest (et même au-delà) ont opéré des réformes constitutionnelles. Il en a été ainsi au Niger, en Guinée, au Nigéria, au Bénin, au Kenya, etc. Cela permet symboliquement de tourner la page de l’ancien régime et de profiter de ce que pendant la Transition les intérêts purement politiciens ne sont pas encore installés et/ou, du fait que les forces politiques ne sont pas les seules maitresses du jeu dans cette phase, pour soustraire les choix fondamentaux de réformes aux calculs et arrière-pensées politiciennes. Une fois la transition terminée, il devient évidemment bien plus difficile de conduire ce genre de processus, le contexte devenant totalement différent.
Les exemples sont légions, que ce soit par rapport à la Constitution ou même à des réformes législatives simples. A ce titre, on peut mentionner, entre autres, le cas du Mali (même si la situation est légèrement différente), le cas de la Côte d’Ivoire et de la Guinée où même les réformes légales nécessaires pour la gestion transparente des élections sont difficiles à mettre en œuvre. Ici aussi, c’est aux acteurs de la Transition qu’incombe la lourde responsabilité d’opérer les choix nécessaires et, en l’occurrence, de décider s’ils veulent une réforme constitutionnelle pendant la Transition ou s’ils préfèrent la reporter plus tard.
Enfin, pour ce qui est de la troisième catégorie de tâches essentielles de la Transition, notamment ce que nous avons appelé plus haut "les réformes généralement non souhaitées par les acteurs politiques", un seul exemple sera donné ici. Il s’agit de la loi sur l’accès à l’information publique, une loi nécessaire dans toute démocratie qui a le souci de la reddition des comptes. L’expérience montre qu’il vaut mieux travailler sur ce genre de textes pendant la Transition, parce qu’après cela devient très difficile. Bien qu’au Niger et en Guinée, cette loi a été adoptée pendant la transition, sa mise en œuvre, depuis la fin de la transition dans ces deux pays, est problématique. Au Nigéria, par exemple, où cela n’a pas été réglé par la transition, il a fallu douze ans de lutte pour son adoption, en Sierra Léone au moins 4 ans et au Libéria au moins 7 ans (d’autres disent même plus de 20 ans). Depuis dix ans au Bénin, et 7 ans au Ghana, cette loi reste à adopter et/ou à promulguer, etc.
La liste des tâches de la Transition n’est certainement pas exhaustive. Au-delà des trois catégories de tâches ici prises en considération, la Transition peut choisir de s’atteler à d’autres tâches qui paraissent urgentes pour la poursuite de l’expérience de démocratisation au Burkina Faso, compte tenu de son contexte spécifique. Ces tâches peuvent inclure la réforme du système judiciaire, la réforme du secteur de la sécurité ou encore s’attaquer à l’impunité du régime passé. Il suffit de garder présent à l’esprit que la Transition ne dispose que de quelques mois encore et qu’elle doit prioriser les tâches qu’il vaudrait mieux accomplir pendant la Transition, celles qui seraient par la suite plus vulnérables aux calculs, aux arrière-pensées politiciennes ainsi qu’à l’évolution des rapports de forces sociopolitiques et, de ce fait, susceptibles d’être reportées aux calendes grecques.
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** Mathias Hounkpe est Administrateur du programme de Gouvernance politique à Open Society Iniative for West Africa)
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