Madagascar est face à un véritable choix de projet de société (1). La politique agricole en cours de définition par les autorités et décideurs va déterminer l’avenir du pays et de la nation.
Souhaitons-nous de grands domaines agricoles accaparés par de grandes entreprises nationales et étrangères qui n’emploieront que quelques rares paysans comme salariés agricoles aux conditions précaires, souvent de manière saisonnière ? Faut-il laisser ainsi s’accroître l’exode rural et la pauvreté ? Ou bien préférons-nous assurer une source de revenus et des emplois aux membres des familles paysannes majoritaires à Madagascar qui garantiront l’autosuffisance alimentaire du pays grâce à l’amélioration de leurs moyens de production et de leurs méthodes de travail ? Voulons-nous que nos campagnes restent peuplées et mises en valeur de façon durable ?
A Madagascar, le secteur de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche englobe 75% de la population, 86% de l’ensemble des emplois et 60% des jeunes (2). « Les deux tiers de la production agricole proviennent des exploitations familiales » (3). Il paraît alors logique et important de donner la priorité au développement de cette agriculture familiale paysanne et de garantir un soutien ferme aux petits paysans malgaches, agriculteurs, éleveurs et pêcheurs.
L’AGRICULTURE MALGACHE SE TROUVE DANS UNE SITUATION DIFFICILE
• Ces dernières années, l’appauvrissement de la population combiné à l’inefficacité des services de l’Etat a provoqué dans un premier temps une insécurité sous forme de vol des récoltes sur pied. Le phénomène s’est aggravé jusqu’à provoquer la fuite de certains villageois vers d’autres endroits pour échapper aux attaques et au massacre par des bandits lourdement armés et organisés depuis 2013.
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• Au changement climatique qui a compliqué la gestion des travaux dans les champs, s’est ajouté la dégradation généralisée des aménagements hydro-agricoles pour l’irrigation et l’arrosage des cultures, surtout dans les périmètres habituellement producteurs de riz sur des surfaces importantes.
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• Des cataclysmes et catastrophes naturels tels que la sécheresse, les cyclones et inondations, les invasions de criquets se sont succédé de manière intense dans plusieurs régions. Tout cela a détruit des cultures dans des proportions importantes et aggravé l’insécurité alimentaire dans les zones rurales et urbaines. En conséquence, la quantité de riz importé a triplé en deux ans, passant de 100 000 tonnes en 2011 à 300 000 tonnes en 2013, (4) sans compter les problèmes liés au calcul des spéculateurs.
Ces facteurs exogènes doivent être pris en compte dans l’appréciation des performances actuelles des agriculteurs malgaches dont certains se plaisent à caricaturer l’inefficience. Néanmoins, l’agrobusiness a aussi rencontré des échecs à Madagascar puisque 10 projets de plantation de jatropha à grande échelle ont été arrêtés. (5)
CHOISIR UNE VRAIE POLITIQUE AGRICOLE EN FAVEUR DES PAYSANS
Madagascar n’a pas de véritable politique agricole. L’ensemble des décisions prises dans ce secteur montre qu’au niveau national, l’Etat ne dispose pas d’une stratégie coordonnée cohérente. En fait, l’Etat a consacré seulement 3% (6) de son budget au secteur agricole et « chapeauté » divers projets souvent mis en place et appuyés par des partenaires techniques et financiers, des institutions internationales avec des associations de paysans (7).
Pour que la paysannerie malgache puisse se relever de la situation actuelle, la définition d’une politique générale agricole de l’Etat résolument axée sur la promotion de l’agriculture familiale paysanne sera indispensable. La stratégie et les plans de mise en œuvre devront inclure la création et/ou le renforcement de structures adéquates pour accompagner et soutenir l’agriculture familiale paysanne. De plus, il faudra investir en priorité dans les aménagements hydro-agricoles, dont la plupart date de la période coloniale, et dans les infrastructures routières, surtout dans les zones rurales, car leur mauvais état contribue à l’inaccessibilité de zones productrices et à la difficulté de commercialisation des produits (2).
La pauvreté extrême actuelle nécessitera un appui au redémarrage par la fourniture d’intrants - principalement en termes de semences et d’engrais biologiques – et de petits équipements ainsi qu’une large diffusion des techniques agro-écologiques.
Par ailleurs, des actions urgentes et efficaces pour sécuriser les familles paysannes sur leurs terres doivent être prises, aussi bien vis-à-vis des actes de banditisme que par la reconnaissance légale de leurs droits d’usage fonciers en vue de les protéger contre les accaparements de terres.
LES CLES DE LA REUSSITE D’UNE L’AGRICULTURE FAMILIALE PAYSANNE
Il existe déjà diverses initiatives et actions remarquables pour la promotion de l’agriculture familiale paysanne. Elles sont éparpillées dans quelques régions, dans le cadre de projets de partenaires techniques et financiers. Ces initiatives et actions méritent d’être appuyées pour une diffusion à plus grande échelle sur l’ensemble du territoire en les adaptant aux conditions de chaque région. Nous citerons quelques exemples significatifs :
• L’ATTRIBUTION DE TERRES AUX PAYSANS jeunes et moins jeunes pour accroître leurs surfaces de vie et de cultures est souvent découragée par les décideurs en raison de cas d’échec. Une analyse minutieuse des cas de réussite dans diverses régions s’avère nécessaire pour en tirer des leçons. Une migration de familles paysannes vers des zones inoccupées a réussi moyennant un accompagnement par la fédération d’organisations paysannes du Vakinankaratra (Vftv) et l’association Formation pour l’Epanouissement et le Renouveau de la Terre (Fert) dans différents domaines (8)
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• L’INSERTION DES JEUNES EN MILIEU RURAL vient de faire l’objet d’un projet Mampita Soa pour une durée de 3 ans dans 3 régions (9). La multiplication des conseillers agricoles en liaison avec la fédération Association pour le Progrès des Paysans Fifata sous diverses formes a également fait l’objet d’un bilan (10).
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• La fédération d’organisations paysannes Fifata a participé à une étude de la filière légumes dans quatre régions montrant que le maraîchage présente un intérêt pour le petit paysannat : « rentabilité économique, apport de trésorerie rapide grâce à des cycles courts, investissement financier limité pour la mise en culture » (11.a). L’association Hita Menabe valorise le maraîchage par la maîtrise de diverses techniques de transformation (11.b).
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• Pour lutter contre les conséquences de la déforestation et les diverses manifestations du changement climatique, des paysans malgaches de plusieurs régions ont déjà expérimenté de nouvelles pratiques d’agriculture de conservation telles que les systèmes de semis direct avec couvert végétal consistant en une gestion du sol et de sa fertilité (12) et d’agro-écologie qui « permettent d’augmenter la productivité de produits de meilleure qualité, tout en protégeant les ressources naturelles et la santé des agriculteurs, moins exposés aux intrants chimiques ». (13)
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• Dans diverses régions, les paysans s’organisent en coopératives pour exporter dans le cadre du commerce équitable du cacao, du sucre roux ou du jus de litchis, en partenariat avec des Ong (14). Aux produits de rente habituellement exportés (litchis, vanille, girofle,..) s’est ajouté récemment le poivre rouge (15)
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• LE RENFORCEMENT DES CAPACITES DES ORGANISATIONS PAYSANNES dans la gestion d’une exploitation paysanne (16) et la préparation de la relève des responsables d’organisations paysannes a fait l’objet d’une évaluation et d’une publication par le syndicat des organisations paysannes Réseau SOA.
LA VALORISATION DU METIER D’AGRICULTEUR auprès des jeunes, des décideurs et de l’opinion publique nécessite un effort soutenu à Madagascar. Une meilleure image du paysan devrait commencer par une attention plus importante des décideurs à leur développement, par une augmentation des moyens accordés par l’Etat pour les appuyer, pour augmenter leurs revenus dans le contexte actuel.
Les difficultés ou échecs rencontrés devraient faire l’objet de réflexion et d’un bilan constructif et non servir de prétexte pour délaisser ce modèle d’agriculture et céder aux sirènes trompeuses de l’agrobusiness et de l’agro-industrie.
Le programme de formation professionnelle et d’amélioration de la productivité agricole – Formaprod – vient de recevoir un appui financier de 64 millions de dollars d’organismes internationaux regroupés autour du Fonds international de développement agricole (Fida) (17). Des organisations de la société civile malgache ont lancé une alerte concernant des mesures de prudence relatives aux conditionnalités des aides et prêts. Ces alertes doivent être prises au sérieux (18). Le suivi pour que les fonds « soient utilisés à bon escient pour répondre directement aux besoins urgents et capitaux de la population malgache » (19) devra également être effectif et faire l’objet d’une restitution publique régulière.
IMPORTANCE DES ECHANGES ET DE LA COLLABORATION AVEC LES PAYSANS DES AUTRES PAYS
Pour renforcer l’agriculture familiale paysanne en lutte contre le modèle de l’agrobusiness, il ne faut pas négliger d’autres facteurs essentiels : les échanges d’information, l’organisation et la solidarité à l’échelle internationale.
En novembre 2013 des représentants d’organisations paysannes malgaches Vftm, Apdip et Soa ont assisté à une réunion internationale sur l’agriculture familiale organisée par les Agriculteurs Français et Développement International (Afdi) dans le sud de la France (20).
Au cours de cette rencontre, des agriculteurs et participants venant de plusieurs pays ont développé différents volets de « L’agriculture familiale, agriculture d’avenir ». Ainsi, des intervenants ont expliqué que dans l’agriculture familiale « les actifs ne considèrent pas la terre que comme un capital. Les agriculteurs familiaux ont cette volonté de transmettre quelque chose aux enfants qu’ils mettent au monde, quelque chose qui a un potentiel productif ». « Et cette notion de transmission est commune aux agricultures familiales du monde ». Pour sa part, le président du Réseau d’organisations paysannes malgaches Soa a déclaré que l’agriculture pouvait devenir un véritable atout pour l’économie nationale à condition de faciliter l’accès de la population aux ressources de production et à la formation. Après avoir parlé des travaux de réflexion et d’analyse en cours sur les différents types d’exploitations à Madagascar et sur leurs activités, il a déclaré que « les agriculteurs malgaches sont aujourd’hui inquiets face à la concurrence des agricultures de firme ».
L’inquiétude de ce responsable d’organisation paysanne malgache rejoint les résultats d’une étude qui vient d’être réalisée par l’Ong Grain intitulée « Affamés de terres : les petits producteurs nourrissent le monde avec moins d’un quart de l’ensemble des terres agricoles » alors que les grandes exploitations s’agrandissent (21).
Le continent africain est actuellement l’endroit où l’agriculture fait l’objet de grandes manœuvres mondiales et où les terres font l’objet d’une véritable ruée des investisseurs au détriment des populations locales (22). Face à cette menace et pour éviter l’isolement insulaire propre à Madagascar, il faudrait multiplier les visites et rencontres sur le terrain de groupes de paysans malgaches avec des paysans et organisations paysannes du continent, notamment venant de pays africains aux conditions climatiques similaires et producteurs de denrées alimentaires identiques. De tels échanges d’expériences peuvent être enrichissants dans tous les domaines. Cela permettrait aux paysans malgaches de faire connaître les méthodes innovantes qu’ils développent (23), et de découvrir de nouvelles techniques agricoles mais aussi ouvrirait des perspectives de solidarité et d’organisation pour mieux défendre leurs intérêts.
Depuis quelques années, l’agriculture et les terres sont devenues une valeur-refuge essentielle pour les investisseurs de la finance mondiale. Trop de responsables et décideurs malgaches se font complices des personnes et entités déjà riches dont la seule motivation est d’augmenter encore davantage leur patrimoine. Pour preuve, ils veulent céder des terres et de nouveaux privilèges en plus. Il est encore temps d’agir. C’est pourquoi le Collectif Tany plaide pour une politique qui aide de manière résolue et cohérente les cultivateurs, éleveurs et pêcheurs malgaches à augmenter leurs capacités de production.
Ne devrions-nous pas enfin nous occuper de cette majorité silencieuse et laborieuse qui subvient déjà, difficilement avec ses propres moyens si maigres, à une grande partie des besoins alimentaires des urbains ? Ne devrions-nous pas leur accorder toute l’attention et l’appui qu’elle mérite, pour qu’elle puisse assurer ses propres besoins alimentaires, et augmenter sa production ?
Faire ce choix, c’est permettre à l’agriculture familiale paysanne de vendre ses excédents, d’accroître ses revenus et de participer de manière encore plus significative au développement économique du pays. C’est ainsi que nous parviendrons à une meilleure répartition des bénéfices de la croissance entre toutes les couches de la société. Faire ce choix constitue le meilleur gage pour un développement inclusif, solide et durable.
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** Le Collectif pour la défense des terres malgaches – Tany
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REFERENCES
1) Note d’orientation politique 2014 à 2025 du Programme Sectoriel Agriculture Elevage Pêche (Psaep-Caadp)
2) Mission Fao/Pam d’évaluation de la sécurité alimentaire à Madagascar – Octobre 2013 : http://www.fao.org/docrep/018/aq115f/aq115f.pdf
3) Agriculture familiale paysanne ou agrobusiness : un choix de projet de société http://terresmalgaches.info/spip.php?article87
5) Agrocarburant – Echec d’une dizaine d’investisseurs : http://www.matin.mg/?p=1205
7) En 2014: http://bit.ly/1xtKkaA
11) 11.a Etude de la filière légumes sur les Hautes Terres de Madagascar : http://www.calameo.com/books/0005163318c20dc8edd5c
11.b. Valorisatiion du maraîchage dans la région Menabe : http://bit.ly/ZkdcUR
17) « 64 millions de dollars sur les 84 millions recherchés sont débloqués actuellement pour le Formaprod: financement mobilisé par le Fonds international de développement agricole (Fida) et ses partenaires tels que le Fonds de coopération espagnole pour la facilité et la sécurité alimentaire, l’Agence française de développement (Afd) l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), l’Ile de la Réunion pour le programme de formation professionnelle et d’amélioration de la production agricole à Madagascar (Formaprod) ». http://www.agriculture.gov.mg/formaprod/
18) http://www.cci.mg/index.php?p=journaux&id=9&id_det=7123
19) http://agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/36-_Madagascar_cle82f72a.pdf
20) Rencontres internationales Afdi: http://www.afdi-opa.org/fr/uploads/file/parolespaysannes-ria-2013.pdf
Vftm : Vovonan’ny Fikambanan’ny Tantsaha any Menabe : Fédération des organisations paysannes du Menabe
Apdip : Association des Paysans pour le Développement Interprofessionnel
21) http://farmlandgrab.org/post/view/23639-affames-de-terres
22) http://farmlandgrab.org/post/view/23669-la-grande-ruee-vers-les-terres-d-afrique
23) Lombricompostage : http://tata-ambohimanambola.blogspot.fr/2014_01_01_archive.html
Agriculture biologique : http://www.bimtt.mg/DocWeb/manuel_agribio.pdf
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