Présenter le conflit en République de Centrafrique comme religieux est une explication simple, facile à utiliser et a un sacré avantage… celui de cacher les responsabilités de la France.
Si les milices de la Seleka se déchirent avec les anti-Balaka, c’est que les uns sont musulmans et les autres chrétiens. C’est donc d’abord et avant tout de la responsabilité des populations. La France, elle, par devoir humanitaire tente par tous les moyens de ramener la concorde à l’intérieur du pays. La vérité est bien différente de cette image d’Épinal qui permet un consensus politique à l’Assemblée nationale (Ndlr : française).
Si la dimension religieuse existe, elle est à relativiser fortement. En effet, étrange pour une guerre de religions : les chefs religieux eux-mêmes, Mgr Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui, Oumar Kobine Layama, imam, président du Comité islamique de Centrafrique et Nicolas Guerekoyame, pasteur, représentant des églises protestantes ont appelé ensemble dès le début du conflit à cesser les violences [1] et ils poursuivent leurs efforts pour enrayer ce cycle meurtrier. De plus, et plusieurs observateurs l’ont fait remarquer, les croyances religieuses des Centrafricains restent, pour beaucoup, ancrées dans un animisme séculaire. Les différents gris-gris et autres amulettes portés par les uns et les autres en sont un signe. En outre, l’absence d’agenda religieux, qu’il s’agisse d’objectifs ou de revendications, prouve que cette dimension, si elle existe, est loin d’être déterminante dans ce conflit.
UN ETAT ABSENT POUR JOUER UN ROLE DE MEDIATEUR
En effet, d’autres clivages existent dans la société centrafricaine, par exemple une division économique, où l’essentiel des commerces de gros, est tenu par des habitants d’origine tchadienne. C’est ce qui explique d’ailleurs le discours populiste des anti-Balaka centré sur l’accaparement des richesses par les musulmans. Une division géographique aussi où, pour schématiser, le Nord a toujours été laissé à l’abandon : lorsque les populations voyaient l’État, c’était le plus souvent sous la forme d’incursions des forces armées centrafricaines qui ont fait des milliers de morts en se rendant coupables de crimes de guerre.
Enfin une autre opposition et non des moindres, est celle entre éleveurs et agriculteurs. En effet lors des transhumances, le bétail est accusé de détruire les champs et les récoltes, occasionnant de violents conflits. Ce type de division n’est évidement pas l’apanage de la Centrafrique et est présente dans de nombreux pays, pas seulement africains. Mais la différence notable en Rca, est l’absence d’État pour jouer un rôle de médiation et éventuellement de justice pour régler ces différents conflits.
DES DIRIGEANTS QUI ATTISENT LES DIVISIONS ETHNIQUES
Au-delà de la faillite de l’État, un autre élément majeur d’explication est la politique des dirigeants qui n’ont eu de cesse d’attiser les divisions ethniques. Pas seulement entre musulmans et chrétiens mais entre chrétiens eux-mêmes, pour reprendre les termes de nos médias. En effet, Bokassa a favorisé son ethnie, les Mbanda, puis ce fut au tour de Kolingba qui favorisera les Yakoma, de Patassé ensuite qui s’appuiera sur les Sara et enfin de Bozizé dont la politique a profondément aggravé les tensions entre le Sud et le Nord en envoyant à maintes reprises l’armée qui a terrorisé les populations civiles. Plus récemment, lors de l’avancée de la Seleka, il n’a rien trouvé de mieux que de distribuer des armes et des machettes à une jeunesse désœuvrée en leur enjoignant de combattre les musulmans.[2]
Quant à la Seleka, composée en grande partie de mercenaires soudanais et tchadiens, le pillage et les violences contre les populations chrétiennes n’ont fait que légitimer le discours de haine ethnique.
Actuellement, ce sont les membres du clan Bozizé qui fournissent et arment les milices anti-Balaka qui ne cachent pas leur objectif de nettoyage ethnique.
Si la République Centrafricaine est dans un tel état, c’est évidemment de la responsabilité de ses dirigeants, mais c’est aussi et surtout de la responsabilité de la France qui a soutenu à bout de bras ces différents dictateurs rendant impossible le jeu démocratique. L’alternance ne pouvait donc être obtenue que par la force, qu’elle vienne des milices ou de l’armée. Dès le début de l’indépendance, la France est systématiquement intervenue, à tel point que sous Kolingba c’est Jean-Claude Mantion, colonel des services secrets français, qui dirigea effectivement le pays. On peut évidemment rappeler le soutien de Paris dans le sacre ridicule de Bokassa comme empereur qui a favorisé dans les pays occidentaux un racisme anti-africain éculé et sinistre.
La situation de la Centrafrique n’est que le fruit de la politique de la France et des ses nombreuses interventions militaires. Doit-on rappeler que Bozizé est arrivé au pouvoir par un coup d’État en 2003 soutenu par l’armée française et tchadienne ? L’aviation est intervenue à plusieurs reprises en 2006 pour bombarder les colonnes des rebelles de l’Ufdr dirigé par Michel Djotodia à Birao. Si le Tchad est si présent en Centrafrique interférant régulièrement dans sa politique intérieure, c’est parce que la France lui a donné carte blanche.
En Afrique Centrale sévissent des dictatures qui sont toutes soutenues par la France : les Déby au Tchad, les Sassou-Nguesso au Congo Brazzaville, les Biya au Cameroun… Paris, depuis des années, est passé maître en double langage parlant de démocratie dans les instances internationales mais soutenant sans faille les pires dictatures qui, à terme détruisent, l’État et provoquent les pires chaos où les populations s’entredéchirent dans un déchaînement de violence. Refuser d’entériner des parodies électorales en Centrafrique, appuyer la vie démocratique, soutenir la société civile aurait permis un autre avenir pour ce pays.
DES POLITICIENS DE BANGUI ONT TENTE DE DECLENCHER LES TUERIES
Le cas de la ville de Bangassou, située dans le Sud à 750 kilomètres de Bangui, est à maints égards exemplaire : c’est le seul endroit, à notre connaissance, où depuis le début de la crise, la dérive de la violence a été stoppée. Les autorités ont arrêté le colonel Abdallah et quatre de ses complices responsables d’une milice de la Seleka qui harcelait la population et l’ont envoyé à Bangui. Parallèlement, les autorités et les notables de la ville ont mis en place un comité de médiation qui permet d’aplanir les tensions et régler les problèmes. Ces notables ont témoigné qu’à plusieurs reprises des politiciens de Bangui sont descendus pour tenter, en vain, de déclencher les tueries. Cet exemple montre que l’État, ici l’autorité de la ville, en arrêtant les responsables des violences, a permis d’éviter les massacres qui se sont déroulés dans d’autres régions. Ce qui fut possible dans une ville l’est dans un pays, mais la France a choisi une autre voie, celle de soutenir les potentats irresponsables et criminels avec l’argument qu’elle évoque chaque fois pour se justifier : la stabilité du pays.
Les puissances occidentales peuvent bien s’alarmer de la situation et produire des déclarations, elles restent sans effet car les actes ne suivent pas. En effet la Centrafrique est en train de souffrir d’une crise alimentaire qui va en s’amplifiant. Les produits alimentaires font défaut du fait la destruction des circuits commerciaux, ce qui produit une très forte augmentation des prix et empêche la grande majorité de les acquérir. La plupart des troupeaux ont été détruits, ou sont partis dans les pays voisins, et les paysans faute de semences (elles ont été pillées), n’ont pu commencer la saison agricole. Pourtant seulement 20 % de l’aide promise par les pays occidentaux, lors des différents conclaves internationaux, ont été effectivement débloqués.
Pour éviter que d’autres pays africains sombrent dans le chaos à l’image de la Centrafrique, il faut tant au Nord qu’au Sud, unir nos efforts et nos luttes pour mettre à bas ces politiques impérialistes.
NOTES
1] http://bit.ly/1w2uJeN
2] http://bit.ly/1kUB9of
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** Paul Martial (afriquesenlutte.org)
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