Si le souci de tous est que la présidentielle de 2015 en Guinée soit pacifique et crédible, toute une série de questions, dont seulement certaines sont ici évoquées, doit être tranchées aussi vite que possible. Ces questions découlent aussi bien des engagements pris par les acteurs politiques que des difficultés rencontrées dans la gestion des législatives de 2013.
Depuis le 15 novembre 2013, date de la proclamation des résultats définitifs des dernières élections législatives par la Cour suprême, les Guinéens et tous ceux qui sont préoccupés par la situation en Guinée ont poussé, à juste titre, un soupir de soulagement. Après plusieurs reports, presque trois ans de tensions politiques et sociales, des dizaines de morts et une quantité probablement inestimable (1) de biens publics et privés détruits, les législatives censées se tenir durant le premier semestre 2011 ont finalement eu lieu le 28 septembre 2013. L’on peut comprendre que, après 3 ans de péripéties, les Guinéens (y compris les acteurs politiques) cherchent en ce moment un temps d’accalmie pour s’occuper d’autre chose que de politique. Il n’est malheureusement pas sûr qu’ils puissent s’offrir ce luxe.
Les Guinéens et les partenaires de la Guinée ne pourront pas se permettre de dormir sur leurs lauriers s’ils ne souhaitent pas, lors de la prochaine élection présidentielle prévue dans moins de deux ans, revivre les affres et les turbulences qui ont émaillé la préparation des législatives passées. En effet, si le souci de tous est que la présidentielle de 2015 soit pacifique et crédible, toute une série de questions, dont seulement certaines sont ici évoquées, doit impérativement être tranchées aussi vite que possible. Ces questions découlent aussi bien des engagements pris par les acteurs politiques que des difficultés rencontrées dans la gestion des législatives de 2013.
La première question majeure est relative au fichier électoral qui servira pour la présidentielle de 2015. Selon l’article 9 de l’Accord sur la préparation et l’organisation des élections législatives de juillet 2013, signé par toutes les parties prenantes du processus électoral en Guinée (y compris les partenaires au développement en qualité de témoins), "la sélection de l’opérateur technique qui aura la charge de la confection de la liste électorale pour l’élection présidentielle de 2015 fera l’objet d’un appel d’offre international …". Si cette disposition veut bien dire qu’il faudra reprendre la liste électorale biométrique (et non pas seulement réviser celle utilisée pour les législatives) avant la présidentielle de 2015, les Guinéens, surtout les acteurs du processus électoral, n’ont pas de temps à perdre. Au moins 12 mois, dans le meilleur des cas, sont nécessaires pour l’établissement d’une telle liste, de la sélection de l’opérateur technique jusqu’au traitement du contentieux. Mieux, ou pire, les difficultés d’ordre purement politique ne manqueront probablement pas au cours d’un tel processus. Or, l’année 2014 est déjà bien entamée.
La deuxième question majeure est liée aux mesures nécessaires pour corriger les insuffisances du cadre légal et institutionnel des élections révélées par les législatives de septembre 2013. Tous les observateurs nationaux et internationaux ont attiré l’attention sur les faiblesses de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), l’organe de gestion des élections, et ont recommandé que des aménagements lui soient apportés. Il en est de même du cadre légal des élections – Code électoral, Constitution – dont les insuffisances et les lacunes ont impacté négativement la conduite des législatives.
Les parties prenantes, à commencer par le Parlement et le gouvernement, doivent rapidement décider de la nature et de la profondeur des réformes électorales nécessaires. Autrement dit, qu’est-ce qui est nécessaire et pertinent au regard des défis à relever, notamment des urgences de l’heure ? Que peut-on faire, que faut-il faire et que doit-on faire impérativement étant donné le temps disponible et l’environnement politique ? etc.
Tout ceci devrait être identifié clairement en fonction des priorités et mis en œuvre dans toute la mesure du possible de préférence avant le début du processus de préparation de la présidentielle de 2015. Cette tâche impérieuse incombe au premier chef aux acteurs politiques. C’est à eux qu’il appartient d’apprécier la nature, l’étendue et la profondeur des réformes et d’opérer les choix nécessaires.
De façon plus concrète, au niveau de la Ceni, il est évident que le type partisan choisi n’a pas permis de régler le problème de la confiance des acteurs. Du coup, il est urgent de décider par exemple si l’on veut un nouveau type de Ceni, par exemple une Ceni purement technique, si l’on décide de réorganiser la Ceni actuelle de l’intérieur et/ou de prévoir un mécanisme externe dont la composition et les attributions sont de natures à rassurer les acteurs du processus électoral.
Bien entendu, chaque option proposée a ses coûts financier, technique et temporel. La logique reste la même si l’on prend la question de la refonte ou de l’amélioration du cadre légal, notamment la Constitution et le Code électoral. Ce qui doit présider au choix des réformes, c’est la nécessité impérieuse d’éviter que les débats politiciens prennent le pas sur la résolution concrète et pratique de ces questions et éloignent de ce qui est et reste essentiel. Il s’agit d’être ici résolument pragmatique.
La troisième question majeure est relative au manque criant de confiance entre les différents acteurs du processus électoral qui a caractérisé les législatives de 2013. Si des décisions crédibles et pertinentes sur les deux questions précédentes peuvent contribuer à réduire le déficit de confiance entre les acteurs-clés du processus électoral, d’autres mesures peuvent également y aider. La Constitution de 2010 prévoit des institutions supposées contribuer à garantir la sincérité, la régularité et l’égal traitement de tous durant le processus électoral. Il s’agit, par exemple, de la Cour constitutionnelle, chargée de la gestion du contentieux de l’élection présidentielle, et de la Haute autorité de la communication, en charge de la régulation des médias. L’adoption rapide des lois organiques réglant ces institutions (qui doit se faire avec une majorité des deux tiers de l’Assemblée, et donc avec le soutien de l’opposition) et leur mise en place (en tenant compte du caractère quasiment équilibré de l’Assemblée nationale) devrait contribuer à accroitre la crédibilité des élections à venir et la confiance des acteurs.
Toutes les parties concernées par les élections en Guinée ont un rôle à jouer dans la mise en œuvre des mesures urgentes suggérées ci-dessus si elles souhaitent une présidentielle paisible et crédible en 2015. Même si cette responsabilité revient en premier lieu au président de la République, au gouvernement et aux parlementaires, les organisations de la société civile peuvent contribuer. Elles peuvent éclairer l’opinion et les décideurs sur la nature et la profondeur des réformes électorales nécessaires (Code électoral, Constitution et Commission électorale) afin d’éviter que les acteurs politiques, trop préoccupés en Guinée comme ailleurs par leurs intérêts partisans, ne conduisent à l’enlisement du processus.
Les partenaires au développement, au-delà des appuis techniques et financiers classiques, doivent pour leur part contribuer à la recherche de solutions aux questions essentielles mentionnées ci-dessus et à l’application complète de l’Accord sur la préparation et l’organisation des élections législatives de juillet 2013 dont les dispositions demeurent valides même après la fin des législatives.
Bien que rien n’ai été dit ci-dessus sur les élections locales, il est évident qu’une décision rapide – de la part de tous les acteurs du processus électoral – est nécessaire ici aussi quant aux modalités – quand, avec quels outils (par exemple fichier électoral), comment – de son organisation.
NOTE
1) Les estimations publiquement annoncées, bien que très parcellaires, sont quand même très importants. Selon M. Cherif M. Abdallah, président du Groupe organisé des hommes d’affaires de la Guinée, les violences de février et mars 2013 ont coûté pour eux, près de 41 millards de francs guinéens, soit environ 6 millions de USD (http://bit.ly/OohepJ). Pour le Gouvernement, à juin 2013, la baisse des recettes de l’Etat due à l’instabilité politique pouvait être estimée à 1000 md de francs guinées, soit environ 143 millions de USD (http://rfi.my/1nXfPRd).
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