En 1989, tandis que Nelson Mandela accomplit sa 27e année de prison, Berne accorde sans sourciller une nouvelle ligne de crédit de 120 millions à Pretoria. C’est un des multiples exemples de l’hypocrisie occidentale quand la mort de Mandela a attiré un chœur de pleureurs et de louangeurs qui avaient accompagné et soutenu le système d’apartheid et ses crimes odieux.
La mort de Nelson Mandela a vu un formidable concert de chefs d’Etat saluer la mémoire du défunt. Barak Obama s’est alors bien gardé de s’excuser pour le rôle direct joué par la Cia dans l’arrestation du leader de l’Anc en 1962. De même, Ueli Maurer n’a pas évoqué l’étroite complicité de Berne avec Pretoria, en particulier dans la dernière décennie de l’apartheid. Ses collègues de l’UDC, Christoph Blocher et Ulrich Schlüer, n’étaient-ils pas d’ailleurs respectivement président et membre du comité du « Groupe de travail Afrique du Sud », un lobby fondé en 1982 afin de « corriger la désinformation mondiale concernant l’Afrique australe » ?
De son instauration (1948) à sa chute (1991), le régime d’apartheid n’a pas perturbé les relations économiques et politiques entre l’Afrique du Sud et la Suisse. Au contraire, alors que les sanctions internationales pleuvent sur Pretoria, la Suisse en profite pour multiplier par 9 (!) ses importations d’Afrique du Sud, de 1986 à 1989 (Journal de Genève, 22 mai 1990). De surcroît, ces chiffres ne tiennent pas compte des importations d’or, dont la statistique par pays est tenue secrète depuis 1981. Lucerne et Zurich deviennent alors les nouvelles capitales mondiales des pierres précieuses, au détriment de Londres, tandis que Swissair bénéficie du monopole de ce fret mirobolant.
En 1989, tandis que Nelson Mandela accomplit sa 27e année de prison, Berne accorde sans sourciller une nouvelle ligne de crédit de 120 millions à Pretoria.
Le 11 février 1990, Nelson Mandela sort de prison, mais il appelle la communauté internationale à maintenir les sanctions appliquées par les Etats-Unis, la Communauté européennes et nombre d’autres Etats. Deux jours plus tard, la Commission des affaires étrangères du Conseil national refuse pourtant une nouvelle fois d’y souscrire, par 13 voix contre 6.
Trois mois plus tard, le 22 mai, le président sud-africain Frederik de Klerk est reçu en grande pompe par quatre conseillers fédéraux, à Berne, puis par le gotha de l’économie privée, à Zurich. Les 1500 membres du « Club des amis de l’Afrique du Sud », proches des milieux bancaires, ont de quoi se réjouir, de même que le « Groupe de travail Afrique du Sud » et la « Swiss South-African Association », sorte de chambre du commerce regroupant les intérêts helvétiques au pays de l’apartheid.
On relira aujourd’hui avec profit les conclusions du rapport final du Pnr 42+, réalisé sur mandat du Conseil fédéral, de 2000 à 2005 (Georg Kreis, La Suisse et l’Afrique du Sud 1948-1994, éd. Zoé, Genève 2006). Exportations d’armes en toute discrétion, collaboration au programme nucléaire clandestin de Pretoria et échanges entre services secrets, notamment pour lutter contre le mouvement anti-apartheid, émaillent le quotidien de cette amitié sans faille. Le chef du Groupe des renseignement suisse, le divisionnaire Peter Regli, entretient ainsi des relations étroites avec l’armée sud-africaine, notamment avec Wouter Basson, qui sera mis en cause par la suite pour crimes contre l’humanité. Un rapport des services de Regli décrit ainsi le parti de Mandela : « L’Anc, parti illégal d’orientation communiste, est un mouvement terroriste bien organisé dont le but est de renverser le gouvernement pour instaurer un régime communiste ».
On rappellera que les auteurs du rapport sur l’histoire des relations Suisse-Afrique du Sud n’ont pu avoir accès à certaines archives publiques décisives (sans parler des archives privées des entreprises), sur décision exprès du Conseil fédéral, en avril 2003, par crainte de faire du tort à des sociétés suisses mises en cause devant la justice Us par des victimes de l’apartheid, notamment l’Ubs, le Crédit Suisse, Nestlé, Novartis, Sulzer, Unaxis (ex-Oerlikon-Buehrle), Schindler, Holcim et Ems-Chemie (la société de Blocher).
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** Jean Batou est professeur d'histoire internationale contemporaine à l'Université de Lausanne (Suisse) et directeur de l'Institut d'Histoire économique et sociale.Source : http://www.solidarites.ch/journal/
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