A l’époque où la plupart des pays occidentaux faisaient bloc avec le régime d’apartheid qui régnait à Pretoria, malgré les condamnations des Nations unies, et que l’aura de Nelson Mandela était encore faible, une solidarité active s’engagea en France, dans les milieux syndicalistes et autres, qui fut déterminante dans l’implantation de l’Anc et sa lutte intérieure.
La disparition de Nelson Mandela, l’ex-président sud-africain, a beaucoup marqué la génération qui s’était fortement mobilisée dans les années quatre-vingt en faveur de sa libération et de la fin de l’apartheid. Pour beaucoup, l’entrée en politique se fit autour de ses combats.
Mais sait-on que, dès les années soixante, des hommes s’étaient retrouvés autour de cette lutte et avaient apporté une aide matérielle à l’Anc, le Congrès national africain ? Issus pour la plupart de l’expérience acquise au travers de l’aide apportée aux combattants de l’indépendance algérienne ou de celle plus lointaine de la Résistance, ils décidèrent, sous la conduite d’Henri Curiel, de fournir une assistance concrète aux militants de l’Anc. À travers l’organisation Solidarité qu’ils constituèrent, ils mirent en œuvre pendant plus d’une dizaine d’années une assistance internationaliste.
Il faut se souvenir qu’à l’époque, la plupart des pays occidentaux faisaient bloc, malgré les condamnations des Nations unies, avec le régime d’apartheid qui régnait à Pretoria et n’hésitait pas à collaborer avec son sinistre appareil de répression, le Boss. La France n’accueillait aucune représentation officielle de l’Anc dont les militants étaient considérés comme des terroristes.
La direction de l’Anc, présidée par Oliver Tambo, avait dû s’exiler, pour cause de répression, à Londres où elle était tolérée. Et un bureau s’était ouvert à Alger, animé par Jo Makatini.
Très vite, la solidarité s’organisa. D’abord, faire connaître le combat anti-apartheid et, à cette fin, diffuser en français l’organe de combat, « Sechaba ». La traduction s’organisa et chaque mois, après un premier tirage à Paris, les stencils, protégés de chiffons humides pour que l’encre ne sèche pas, étaient acheminés sur Alger et installés sur la ronéo. Travail routinier et très utile qui dura cinq ans.
Puis l’aide organisationnelle monta en puissance. Les Sud-Africains noirs devaient disposer d’un pass, pour se déplacer à l’intérieur du pays, qui indiquait leur identité, adresse et employeur. Contrainte majeure à tout déplacement des cadres de l’Anc. Il fut donc décidé d’imprimer en France 2 000 pass et de les acheminer jusqu’en Afrique du Sud. Ce qui fut fait. On imagine combien cela changea les conditions de la lutte.
À la demande de l’Anc, un militant français fut envoyé en Afrique du Sud pendant plusieurs semaines pour repérer les filières de passage possibles avec les pays de la « ligne de front » et prendre des contacts avec les milieux anglophones blancs plus ouverts sur la question de l’apartheid. Moisson de renseignements pour la direction du mouvement coupé de l’intérieur.
Pour pallier la difficulté des liens entre intérieur et extérieur, une piste de travail s’ébaucha sur la possibilité d’utiliser les mouvements de la marine marchande. En effet, des navires provenant d’Afrique du Sud faisaient escale au Havre et à Dunkerque. Avec l’appui du syndicat Cgt de la marine marchande et des aumôneries portuaires, des pachas de bateaux furent approchés et des filières mises en place. Restait à faire de même au Cap.
Dans un combat, la connaissance de l’ennemi est importante. Une question nous taraudait tous : comment ce régime honni de la communauté internationale, condamné par l’Onu, mis sous embargo, pouvait-il continuer, les années passant, à afficher une solide santé économique ? Sous couvert de recherche universitaire, il fut décidé de repérer tous ces fils que le régime d’apartheid avait tissés à l’échelle du monde pour consolider son système.
La moisson fut belle. Ainsi furent livré à l’Anc des éléments prouvant l’implication de l’Allemagne dans la mise sur pied d’un complexe militaire nucléaire, ainsi que la photocopie de centaines de pages de rapports des conseillers de l’ambassade de France à Pretoria qui renseignaient non seulement des échanges de la France avec l’Afrique du Sud, mais aussi signalaient les agissements de la concurrence, comme les voyages de délégations du patronat allemand.
À tout cela s’ajoutait l’accueil en France de militants de l’Anc, acheminés par des périples compliqués et des passages de frontières pris en charge, pour suivre des stages de formation destinés à leur lutte. Très vite, il fallut se rendre à l’évidence, l’Anc devait constituer lui-même une école de cadres. Une réflexion s’engagea avec Oliver Tambo sur l’aide à apporter. Ainsi fut monté le projet d’une aide à la formation d’une école de cadres de l’Anc.
Il ne s’agissait plus de former des stagiaires, mais de les aider à mettre sur pied une telle école en formant ses futurs animateurs. Un an de travail préparatoire pour définir le périmètre des cours, la liste des intervenants. Puis accord réalisé sur le projet, passage à l’organisation matérielle de l’acheminement à la prise en charge d’une dizaine de stagiaires, en internat sur plusieurs semaines, sans compter les problèmes de traduction.
Grande fut la tristesse de savoir qu’un tiers de ces stagiaires, dont la vie fut partagée pendant ces semaines et avec lesquels des liens forts s’étaient créés, de retour au pays, n’avaient pu tenir plus de six mois avant l’arrestation.
Point n’est besoin d’insister sur les liens de confiance tissés tout au long de ce travail avec la direction de l’Anc. Bien que la France de l’époque se situât aux côtés du régime d’apartheid et que l’aura de Nelson Mandela était encore faible, il fut relativement facile de trouver des personnes disposées à s’engager au service de l’Anc, tant le sens de son combat était une évidence et ne pouvait laisser personne insensible dès lors qu’un cadre organisationnel s’offrait à l’action efficace.
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** Michel Rogalski est Directeur de la revue Recherches internationales
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