L’acquittement de George Zimmerman est douloureux pour l’Amérique noire parce qu’il montre que notre vieil ennemi - la suprématie blanche - est vivace et enragé, pratiquement invulnérables aux moyens légaux que nous pourrions utiliser. Nous avons connu cela auparavant - ou plutôt nous avons toujours été dans cette situation - mais pour les derniers quarante ans nous ont encouragés à imaginer que quelque chose de fondamental avait changé chez les Blancs américains. Trayvon nous ramène à la réalité. Nous devons nous organiser pour l’autodéfense.
Lorsque Trayvon Martin a été assassiné par un abruti quelconque en février 2012, des Afro-américains outrés se sont mobilisés pour contraindre l’Etat de Floride à faire comparaître le meurtrier devant la justice. Dix-sept mois après, selon les mots du président Obama, "un jury a parlé", confirmant la position initiale de la Floride disant que la mort de Trayvon n’est pas un acte criminel.
La Maison Blanche voulait aussi qu’on oublie Trayvon. Trois semaines après le meurtre, par la bouche de son attaché de presse, Obama déclarait : "Evidemment, nous n’allons pas patauger dans une affaire locale de droit commun." Quelques jours plus tard, il tentait d’apaiser l’opinion publique noire avec cette déclaration : "Si j’avais un fils, il serait comme Trayvon"
Immédiatement après l’acquittement du meurtrier, le service de presse d’Obama annonçait que le président n’allait pas se mêler de l’affaire, pendant que le procureur général, Eric Holder, prétendait explorer les possibilités d’accusation contre George Zimmerman relevant des droits civiques. Devant les membres de l’association Delta Sigma Theta, il soutenait que la mort de Martin était "tragique" et "inutile", mais que des suites judiciaires au niveau fédéral sont fort peu probables.
Le gouvernement aurait dû prouver que les motivations de Zimmerman étaient racistes, un fait aussi évident pour les Afro-américains qu’un lynchage à midi sur Times Square. Toutefois, excepté le fait qu’il ait tué un adolescent, il n’y a aucune preuve recevable par un tribunal pour dire que George Zimmerman est plus raciste que la plupart des Américains blancs. Raison pour laquelle la police et le procureur de Floride ont initialement refusé de l’arrêter. Raison pour laquelle il a été acquitté et pour laquelle la majeure partie des médias commerciaux ont soutenu la défense.
De façon générale, le public blanc partage le point de vue de Zimmerman - un regard hérité, enraciné dans celui qu’il porte sur le monde – selon lequel les jeunes Noirs sont dangereux de façon inhérente. De ce fait découle des réflexes comportementaux qui, pour la plupart des Blancs, relèvent du simple bon sens. Si les jeunes Noirs sont dangereux, ils doivent être surveillés sans relâche. L’hyper surveillance des Noirs est le premier pas pour l’incarcération en masse des Noirs aux Etats Unis. Zimmerman, le vigile autoproclamé du voisinage, a agi sur la base de ce même postulat raciste qui motive la police américaine dans tout le pays, raison pour laquelle celle-ci a été plus utile à la défense qu’à l’accusation. Il en va de même pour les procureurs et les juges dont une bonne part de l’activité quotidienne est centrée sur la dangerosité inhérente des jeunes hommes noirs.
Bien entendu, la police a témoigné qu’il n’avait découvert aucun caractère raciste à l’action de Zimmerman tout comme elle nierait que sa propre hyper surveillance des communautés noires est motivée par le racisme. Le jury, comme la vaste majorité des Blancs américains, approuve le régime de surveillance infligé aux Noirs autant qu’il approuve ces citoyens qui gardent l’œil ouvert pour débusquer les "criminels", synonyme d’"hommes noirs". Comme l’a formulé le juré B37, Zimmerman "a le cœur au bon endroit", signifiant ainsi que le ciblage et la traque de Trayvon par Zimmerman partaient d’une intention juste et d’un esprit civique dans lesquels la méchanceté n’avait certainement aucune part. Il y a juste "que quelque chose s’est terriblement mal passé", un regrettable incident mais certainement pas un crime. Le verdict unanime montre que les autres jurés n’ont pas non plus perçu de méchanceté - pas de motivation raciale - de la part de Zimmerman.
En fait, les Blancs ne pensent généralement pas que c’est du racisme ou la preuve de méchanceté que de croire, à priori, que les hommes noirs sont une menace. C’est juste un fait. Ainsi, il est parfaitement "raisonnable" que les citoyens et la police soient prêts à faire usage de force létale lors de confrontations avec des hommes noirs.
La réponse à la question « qu’est-ce que pourrait faire une personne raisonnable ? » est essentielle dans le droit américain. La police, les procureurs, les juges et les jurés fondent leurs décisions sur leur propre perception subjective de l’état d’esprit des personnes qui nuisent ou tuent et de la justesse de leurs actions. Pour la plupart des Blancs, il est raisonnable d’avoir le réflexe de soupçonner les jeunes hommes noirs d’avoir des intentions criminelles et raisonnable de craindre pour sa vie lors d’une confrontation avec une telle personne. "Pas coupable" est raisonnable lorsque tout le monde partage les mêmes présupposés que l’accusé.
Les Noirs ne peuvent pas remédier à cela. Nous ne pouvons par changer les perceptions tordues du monde de l’homme blanc bien que, Dieu sait, nous ayons essayé. Quarante-cinq ans ont passé depuis l’adoption de la dernière loi majeure concernant les droits civils, le Fair Housing Act, et pourtant la ségrégation dans le domaine du logement demeure générale, en raison principalement des décisions des Blancs du marché immobilier, fondées sur des présupposés racistes. La croyance raciste en la criminalité et l’infériorité des Noirs est si puissante que la seule présence d’Afro-américains dans une propriété ou dans sa proximité suffit à dévaluer le terrain. C’est là du racisme, avec la force pratique des lois de l’économie. Les mêmes "lois" produisent deux fois plus de chômeurs noirs que de Blancs depuis plus de deux générations, une situation si constante qu’elle doit être le résultat d’une culture politique (racisme) plutôt que des vicissitudes du marché.
La Décision Brown de la Cour Suprême, concernant la ségrégation dans les écoles, date de près de 60 ans. Pourtant, d’une certaine façon, la ségrégation est plus vivace que jamais, une fois encore en raison des décisions des Blancs. Non seulement la ségrégation à l’école est en hausse, mais la cartographie crée un système alternatif financé par de l’argent public et destiné aux enfants noirs et bruns. Dans de nombreuses villes, on ne peut retenir les Blancs dans les écoles publiques qu’en leur offrant les meilleurs moyens et programmes. La politique de déségrégation des écoles a généralement été abandonnée comme une cause perdue, en raison de "l’intransigeance" des Blancs - une euphémisme pour du racisme persistant –, du refus de partager l’espace avec les Noirs.
Mais le système judiciaire pénal est le terrain privilégié de la suprématie blanche, où la bride a été lâchée pour la haine raciale, la peur et les soupçons. Un prisonnier sur huit sur notre planète est un Afro-américain, preuve de la volonté générale des Blancs d’éliminer les Noirs du paysage national. Trayvon Martin a été la victime de l’élément extrajudiciaire de l’appareil à éliminer les Noirs.
Les Blancs ne pensent pas qu’ils sont méchants ou racistes. Ils pensent plutôt qu’ils sont simplement en train de se protéger des démons noirs (très raisonnable pensent-ils). Les études menées à Harvard et à Tuft University montrent que les Blancs se sentent menacés collectivement et pensent qu’ils sont les premières victimes de la ségrégation raciale en Amérique. Une telle folie est incompréhensible pour des personnes saines d’esprit, mais le racisme est une forme de maladie mentale dans laquelle le malade perçoit des choses inexistantes et devient aveugle devant ce qui sous son nez.
D’avoir à vivre sous l’influence de tels gens est un cauchemar. La majeure partie de l’histoire des Afro-américains a consisté à apprivoiser la bête raciste, à trouver un moyen de co-exister avec la folie des Blancs, d’essayer de la guérir ou d’être aussi indépendant que possible de sorte à ce qu’elle ne puisse nous nuire trop gravement.
L’acquittement de George Zimmerman est douloureux pour l’Amérique noire parce qu’il montre que notre vieil ennemi - la suprématie blanche - est vivace et enragé, pratiquement invulnérables aux moyens légaux que nous pourrions utiliser. Le sentiment d’impuissance est aggravé par la compréhension croissante que le président noir - un homme, qui dans son discours empoisonné de Philadelphie, a nié que le racisme a jamais été endémique en Amérique - ne peut ni ne veut faire payer quelqu’un pour le meurtre de Trayvon.
Nous avons connu cela auparavant - ou plutôt nous avons toujours été dans cette situation - mais pour les derniers quarante ans nous ont encouragés à imaginer que quelque chose de fondamental avait changé chez les Blancs américains. Trayvon nous ramène à la réalité.
Nous devons nous organiser pour l’autodéfense, dans tous les sens du terme et créer une dynamique politique des Noirs - un mouvement qui fera de la peur de nos ennemis la conséquence de leurs actions.
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** Glen Ford est directeur exécutif du Black Agenda Report où cet article a d’abord été publié. Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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