Après l’Afrique du sud en 2010, c’est au Brésil d’accueillir la prochaine Coupe du monde de football en 2014. De la même manière que les Sud-Africains étaient descendus dans les rues pour protester contre le capitalisme outrancier de la Fifa et l’exclusion des plus pauvres, les Brésiliens laissent exploser leurs colères. Ce sont les mêmes causes qui produisent ainsi les mêmes effets.
Au cours de la dernière quinzaine, les deux millions de Brésiliens descendus dans la rue dans 80 villes et qui soutiennent le Free Fare Movement ont fait savoir à quel point ils en ont en marre de faire de multiples sacrifices pour le néolibéralisme tel que revitalisé par un certain Sepp Blatter, l’empereur suisse de la Fédération internationale du football association (Fifa). Des opportunistes de la Droite se sont joints à certaines des manifestations récentes, mais le cœur des griefs semble émaner de la Gauche et de la jeunesse désaffectée.
Ecrivant depuis l’Afrique du Sud, mes compatriotes et moi ne devrions pas seulement offrir aux Brésiliens notre admiration, compte tenu qu’un "Grand Pacte" semble maintenant être en voie d’élaboration par la présidente Dilma Rousseff. N’ayant pas réussi à étouffer la rébellion par la force brute, elle semble prête à faire des concessions à grande échelle. C’est ainsi qu’elle l’a formulé : "Nous avons besoin d’oxygéner notre système politique, de trouver des moyens de retourner à nos institutions qui doivent être plus transparentes, plus résistante face aux mauvaises pratiques et plus ouvertes aux influences de la société".
Nous devons aussi saisir l’occasion de remuer nos propres mémoires pour ce qui est des évènements d’il y a trois ans. Après le vertigineux mois de juin 2010, notre gueule de bois post Coupe du monde requiert toujours de l’aspirine à haute dose pour calmer la douleur écrasante de nombreux Sud Africains résultant des éléphants blancs de Sepp Blatter qui ont forme de stades et d’infrastructures pour la seule élite.
On a peut-être oublié, mais il y avait aussi eu des milliers de Sud Africains qui sont descendus dans la rue juste avant le début de la Coupe du monde. Des émeutes si menaçantes que le régime de Jacob Zuma à Pretoria semblait prêt à appliquer la loi fasciste, version multinationale suisse.
Aujourd’hui, les budgets des principales municipalités sont toujours dans le rouge, avec des millions de dollars détournés pour subventionner les coûts de fonctionnement des stades, ce qui a conduit Danny Jordaan, membre du comité local de la Fifa, a présenter humblement des excuses. Il a été récemment révélé que dans la tradition interminable de copinage corrompu de la Fifa, les grands cartels de la construction se sont entendus de façon illégale pour pratiquer des coûts excessivement surfacturés pour ces monuments du sport presque vides.
Bien que le Train rapide, construit pour la Coupe du monde - notoirement déconnecté des transports pour la classe ouvrière - était supposé servir 110 000 voyageurs quotidiens, il a toujours besoin de 80 millions de dollars de subsides annuelles parce que les planificateurs, obnubilés par la Fifa, ont surestimé de deux tiers le nombre de voyageurs. L’aéroport King Shaka à Durban est une "aéropolis" ruinée d’un royaume de la fantaisie qui a coûté 1 milliard de dollars pour recevoir un trafic aérien qui ne s’est jamais matérialisé.
Après qu’on a été harcelés pour construire des palais hédonistes, des trains à grande vitesse et des aéroports, pendant que la majorité souffre tant, les crimes de Blatter contre la société sud-africaine et l’économie restent impunis. Sa mafia a ramené plus de 3 milliards de dollars de revenu à Zürich sans payer de taxe et sans se soumettre au contrôle de change. Pendant ce temps, la dette étrangère de l’Afrique du Sud a explosé de 70 milliards de dollars juste avant la Coupe du monde se montant à 135 millions de dollars aujourd’hui
Le Brésil souffre déjà de la même gueule de bois dont la douleur est considérée comme intolérable. La plupart des chantres des marchés émergents - y compris la Turquie superficiellement forte - ont été surpris par l’explosion de fureur populaire. Lorsque Dilma a visité Durban récemment, à l’occasion du sommet des Brics, sa confiance et son momentum politique étaient évidents.
Après tout, elle et son prédécesseur Lula da Silva - un ancien ouvrier de la métallurgie - ont traité leur société et l’environnement bien mieux que les quatre autres, semblait-il. Le Brésil est le seul parmi les pays des Brics à avoir vu les inégalités se réduire de façon substantielle grâce au doublement des salaires minimum et des dons aux familles. A l’opposé de ses partenaires présents à la conférences, beaucoup moins propres, le Brésil, selon le Yale Columbia Environmental Performance Index, s’est amélioré sur beaucoup de points. Ce qui a permis à Dilma de recevoir triomphalement le Sommet des Nations Unies pour la Terre, Rio+20.
Son parti des travailleurs ayant largement neutralisé le mouvement syndicaliste Cut, ainsi qu’une bonne partie de l’intelligentsia de gauche et des Ong, le Brésil a projeté de fournir la matière à des impressions progressistes fallacieuses à l’Afrique du Sud, alors que nous recherchons désespérément des exemples à valoriser qui soient, au moins, socio-démocrates, écologiques et évolués sur les questions de genre. En septembre dernier, dans le sillage du massacre de Marikana, le congrès des syndicalistes pragmatistes d’Afrique du Sud a passionnément discuté de la nécessité d’avoir " un moment Lula" afin d’appliquer des politiques similaires. Je doute d’entendre encore cette phrase.
A Brasilia, l’orgueil a vite dominé. On pouvait entendre l’élite se taper dans le dos et se féliciter de recevoir la Coupe des Confédérations de la Fifa, la Coupe du monde de 2014, les Jeux olympiques de 2016. Sans oublier les campagnes couronnées de succès, avec des Brésiliens maintenant à la tête de l’Organisation mondiale du commerce et de la Fao. Se tournant vers l’extérieur à grand prix, Dilma et la Parti des travailleurs ont passé leur société à l’essoreuse, ce dont j’ai été témoin il y a un an lorsque j’étais à Rio pendant un mois, séjour qui a culminé avec une marche de protestation rassemblant 80 000 personnes contre le Rio+20 et son économie verte en faveur des multinationales.
Lors de cette manifestation, on pouvait voir des centaines de pancartes représentant une Dilma à l’air sinistre, qui portait une tronçonneuse, détruisant l’Amazonie pour le profit des plus grandes multinationales, Vale et Petrobras, assistée par la gigantesque Bndes, banque nationale du développement. Des conflits ont de nouveau éclaté le mois dernier, lorsque Vale et Bndes ont détruit l’habitat de la population autochtone avec le projet de Belo Monte, un méga barrage. A côté de chez nous, au Mozambique, la même colère de milliers de paysans bouillonne contre Vale et son initiative d’accaparement du charbon.
Puis est survenu Blatter, avec ses demandes outrancières et son arrogante remarque : "Ils ne devraient pas utilise le football pour faire entendre leurs exigences". Ce qui a été comme un drapeau rouge agité sous le nez de l’homme de la rue brésilien.
Nous connaissons trop bien ce rufian : son règne ici, en Afrique du sud, a servi à justifier des révoltes similaires. Au cours de la période préalable à juin 2010, il y a eu des plusieurs douzaines de manifestations quotidiennes, dirigées surtout contre la défaillance des services pendant que le gouvernement détournait des fonds devant assurer des besoins de base pour satisfaire les Suisses. De nombreuses manifestants visaient explicitement la façon dont la Coupe du monde était préparée, y compris 1500 militants communautaires et syndicalistes à Durban, le 16 juin, qui exigeaient "une coupe du monde pour tous" (pas seulement pour les profiteurs et les spectateurs du pays les plus riches).
Dans l’Est du pays, plus de mille élèves ont manifesté contre le stade Nelspruit’s Mbomela, parce que des écoles déplacées par sa construction n’ont pas été reconstruites. La petite ville était parsemée de corps portant l’empreinte de la Fifa, à travers des hommes de main nourris par la corruption de politiciens qui donnent les ordres et les factions rivales.
D’autres manifestations liées à la Fifa ont été le fait des tenants du commerce informel à Durban et au Cap, exclus des opportunités commerciales offertes par la Coupe du monde, contre les fonctionnaires de Johannesburg, par les voisins du Soccer City dans le township pauvre de Riverlea, contre les compagnies de construction par les travailleurs, par les invalides eux-mêmes contre le design des accès pour les fauteuils roulants des personnes handicapées et contre les fonctionnaires nationaux par les militants de quatre villes qui tentaient de déplacer les frontières de leur province afin de placer leur municipalité dans des provinces plus riches.
Les grèves des travailleurs menaçaient, faisaient rage ou avaient justement trouvé une solution concernant l’augmentation des prix de l’électricité au niveau national, Eskom, les salaires du secteur du transport et les griefs des employés municipaux. Faisant usage de leur pouvoir d’empêcher des centaines de navires d’accoster dans le port de Durban, dont certains transportaient les 2,3 millions de mascottes "Zakumi," le léopard en peluche cousu à Shanghai par des travailleurs gagnant juste 3 dollars par jour, le syndicat des transport et de l’Allied Workers Union d’Afrique du Sud ont obtenu une augmentation de salaire au double du taux de l’inflation.
Au cours de la compétion, Blatter a insisté pour une zone sans manifestation, avec des contrôles de police visant à empêcher des marches de protestation - comme l’innocente marche pour "Education pout tous" que la Fifa a co-sponsorisé, le groupe (One goal) ayant demandé la permission pour leur marche - jusqu’à ce qu’une résistance suffisante se fasse jour pour surmonter le harcèlement. Les deux réseaux nationaux de télévision ont exercé l’autocensure contre le film "Farenheit 2012" sur les faits d’exploitation par la Fifa.
Devant paranoïa officielle atteignant un tel degré, les Forces de défenses nationales sud africaines et le système de défense aérienne ont été mobilisées contre les attaques terroristes. Plus terre à terre, deux autres militants et moi-même avons été arrêtés à Beach FanFest à Durban, pour avoir simplement distribué des pamphlets contre la xénophobie à la mi-temps du match Ghana-Urugay en quart de finale. L’accusation a été celle de "commerce clandestin". La manie du copyright de la Fifa a même empêché l’utilisation de la phrase "Coupe du monde 2010" pour les produits fabriqués par des artisans du township.
Néanmoins d’autres petites victoires ont été enregistrées tout au long du chemin et pas seulement le droit de souffler dans les horribles vuvuzelas au point de vous rendre sourd. Des milliers de travailleurs construisant les stades se sont battus pour de meilleurs salaires et ont souvent gagné. Les éducateurs contre le sida, qui avaient initialement été empêchés de distribuer des préservatifs près des stades ont protesté et réussi à contrer les traits puritains de la Fifa.
A Durban, le soir du 13 juin, plusieurs centaines d’employés à la sécurité du nouveau stade se sont révoltés après le match Allemagne-Australie, exigeant le paiement du bonus promis. Ils avaient reçu 20 dollars pour douze heures de travail alors que la surexploitation avait pourri les relations des employés dans ce secteur souvent dangereux de la sécurité. La police a fait usage de gaz lacrymogène et de grenades incapacitantes pour casser la manifestation.
Dans quatre autres stades, les travailleurs ont posé leurs outils pour protester contre les responsables de la sécurité au travail, ce qui a conduit à des licenciements massifs et a contraint la police nationale, plus coûteuse, à venir au secours de la sécurité interne de la Fifa.
Outre les manifestations des travailleurs, quelques unes des mobilisations les plus impressionnantes ont eu lieu sur le front le plus dur : la culture pop. Pour démontrer le défi, le musicien somali K’naan a fait usage de son hit "Waving flags" (agiter le drapeau) pour promouvoir l’idée qu’un petit garçon sur un terrain de foot poussiéreux peut simplement boire du Coca-Cola et devenir un joueur de classe mondiale, comme le véhiculait une vidéo omniprésente. K’naan a remixé les sons, ce que la Fifa avait censuré dans ses versions préalables plus dures, pour sa lyrique anti-guerre
Ainsi, en provenance des censeurs culturels, les Playing Field Collective du Cap, est venue une délicieuse nouvelle prose intitulée : "Wavering of the flag" (le drapeau hésitant)
Lorsqu’ils seront plus âgés
Nos enfants se demanderont
Pourquoi nous nous sommes vendus
Au nom de l’étendard de la Fifa
Lorsque je redeviens sobre
De tout ce football
Il y aura la Fifa
Et devinez qui va se faire tout cet argent ?
Ils ne rendront rien ?
Ils ne rendent jamais rien ?
Ils ne rendront rien ? Nooooon
Toutefois il y a une musique de protestation plus percutante, par Nomadic Wax, Dj Magee et Dj Nio, les Chomsky AllStars (Beautiful Gain) et par un réseau d’artistes qui se sont rassemblés pour soutenir le Khulumani Support Group, réseau des victimes anti-Apartheid qui porta plainte contre les multinationales devant les tribunaux des Etats-Unis pour avoir exporté le profit et les intérêts alors qu’il y avait des sanctions économiques à l’encontre l’Afrique du Sud.
Iain Robinson (Ewok) de Durban a contribué avec son excellent "Shame on the beautiful game" qui a vite rejoint tout un Cd de protestations hip-hop produit par Defboyz. Ils ont rassemblé des musiciens "du monde entier et dans une variété de langues pour faire passer le message : ceux au pouvoir doivent rendre compte de leurs actes".
Une autre manifestation de la défense de la culture populaire et peut-être la protestation la plus explicitement contre l’influence de la Fifa a été celle des centaines de commerçants informels confrontés à l’expulsion du Early Morning Market centenaire. Sans une résistance soutenue pendant plus d’une année et d’une bataille rangée contre la police au milieu de 2009, ils auraient été déplacés par le City Manager Mike Sutcliffe afin que les sycophantes de l’Anc puissent construire leur centre commercial dépourvu d’espace à des prix abordables pour la vente de fruits et légumes. Mais les petits commerçants ont triomphé et sont encore, à ce jour, à Warwick Junction.
Des pêcheurs au bas revenu, qui pendant des générations ont offert leur marchandise sur le célèbre front de mer de Durban ont été banni par Sutcliffe le snobinard, juste avant le début des jeux et n’ont toujours pas recouvré leurs droits.
La même bataille pour la sauvegarde de l’espace public, contre la privatisation qui profite aux sycophantes, est ce qui a motivé les centaines de milliers de protestataires pour défendre la place Taksim à Istanbul contre le projet de centre commercial du régime de Erdoğan
De même, au Brésil, selon la politologue Ana Garcia, " le mouvement pour le transport gratuit fait partie depuis longtemps du mouvement estudiantin. Ils ont commencé les manifestations de rue à São Paulo contre l’augmentation des tarifs et ceci est rapidement devenu une protestation spontanée contre la privatisation des services publiques, contre les énormes sommes données à des consortium privés pour la Coupe du monde, qui s’inscrit en faux contre la mauvaise qualité des services publics de santé, des écoles et des transports publics urbains".
Le mouvement brésilien des paysans sans terre est l’un des plus important mouvement social du monde et selon son secrétariat national, expliquant l’exaspération du public, "les protestions sont la conséquence de graves crises urbaines structurelles, causées par le capital financier spéculatif qui a pour conséquence l’augmentation des loyers, des ventes massives de voitures financées par les banques et le trafic chaotique privé de transport public, où les gens passent deux heures pour se rendre à leur travail ou à l’école".
Ce que Blatter ne veut pas voir c’est davantage de manifestions ciblant ces matches de football préliminaires, la Coupe des Confédérations, dont les posters sont arrachés dans la plupart des villes. Et même pire pour lui, quand le public fait le lien entre ses griefs et sa cupidité. Et si Blatter fabule sur ce qui s’est passé il y a trois ans ("la Coupe du monde en Afrique du Sud a été un immense succès financier pour l’Afrique, l’Afrique du Sud et pour la Fifa"), les Brésiliens devraient se souvenir que cette fable n’été possible que parce que notre société, en 2010, n’a pas fait la relation entre tous ces authentiques griefs.
N’ayant pas appris grand-chose depuis lors, nos citoyens les plus mécontents continuent de s’engager dans des manifestations "pop corn" locales, au rythme le plus soutenu au monde, sans toutefois avoir la capacité de s’unir entre communautés, en partie parce que les syndicats restent fidèles à leur alliance avec le parti au pouvoir, tout comme au Brésil
Si dans les jours qui viennent, Dilma ne parvient pas à remettre le couvercle sur le chaudron en ébullition et si les manifestations contre les gigantesques évènements anti-pauvres annoncent une nouvelle tendance, alors la préférence pour le pain au détriment du cirque va augmenter dans toutes nos sociétés. Alorsle peuple brésilien aura gagné une autre Coupe du Monde, celle d’un sérieux progrès social
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** Patrick Bond dirige le Ukzn Centre for Civil Society et, conjointement avec Ashwin Desai et Brij Maharaj, a co-produit "Zuma’s own Goal" qui passe en revue la Coupe du monde 2010 – Texre traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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