La Chine a jusqu’à présent résisté aux discours et aux pressions continus exercés sur elle pour lui faire abandonner la gestion du yuan par l’Etat chinois (le gouvernement et la Banque Centrale de Chine). C’est grâce à cette résistance que la Chine est parvenue à enregistrer les plus forts taux de croissance du monde, d’une manière continue. Il n’y a aucune raison pour que des changes flexibles favorisent la croissance du commerce extérieur. Pourquoi la banque Hsbc propose-t-il le contraire de ce qu’il faut faire ?
Ces développements viennent en commentaires à des textes envoyés par des amis de Chine. Ces développements complètent mon article «Chine 2012» publié sur ce site sous le numéro 45.
Les propositions faites par Hsbc concernant la gestion du Yuan se résument dans une phrase : la Chine devrait adopter le système des changes flexibles, c'est-à-dire laisser le taux de change du Yuan être déterminé librement par le marché international des devises. Les bénéfices attendus de ce système sont énumérés à la page un du document :
- éliminer les risques liés au taux de change actuel ;
- réduire les coûts de transactions ;
- offrir à la Chine plus de liberté de manœuvre pour ses politiques nationales et internationales.
Or toute l’histoire des cinquante dernières années prouve que le système des changes flexibles n’atténue pas les fluctuations des taux de change, mais au contraire les rend volatils à l’extrême. Mais Hsbc fait comme si on devrait ignorer la réalité et souscrire inconditionnellement à la théorie dogmatique qui décrète que le marché libre est stabilisateur. On devra donc :
- Discuter cette théorie pour savoir si elle est vraie ou fausse,
- Découvrir les raisons qui amènent Hsbc à prendre cette position : quels sont les intérêts que cette banque et tous ceux qui proposent les changes flexibles défendent, ceux de la Chine, ou d’autres intérêts ?
La théorie selon laquelle les changes flexibles sont « stabilisateurs » est sans fondement scientifique. Il s’agit d’une théorie dérivée d’une analyse non pas du capitalisme tel qu’il existe réellement, mais de celle d’un système complètement imaginaire, défini par un « marché généralisé » où ceux qui offrent et ceux qui demandent (n’importe quoi : des marchandises, du travail, des liquidités monétaires, de la terre agricole, l’accès à des ressources etc.) sont des « individus » libres et rationnels. La théorie substitue ces « individus » (homo œconomicus) à la réalité de ce que sont les auteurs de ces offres et demandes : les entreprises productrices (parfois des monopoles), les « travailleurs », les paysans, les banques, etc. Il ne s’agit donc pas d’une théorie réaliste, qui part de réalité pour comprendre ; mais d’un dogmatisme idéologique a priori. Deng Xiaoping disait qu’il fallait toujours partir de la réalité. Cette « théorie » fait exactement le contraire : elle part d’un imaginaire idéologique qui n’a rien à voir avec la réalité. C’est donc une théorie dogmatique, pas scientifique. (voir Nota Bene)
Et la vraie question qui se pose alors c’est celle de savoir quels sont les intérêts que les défenseurs de cette théorie défendent en cachant leur existence.
Ces intérêts sont en fait ceux des grands monopoles financiers des centres impérialistes historiques (les Etats Unis, les pays européens, le Japon). Ces monopoles dominent les productions et les marchés qu’ils gèrent dans leur intérêt exclusif, qui est de maximiser leurs superprofits. Je vous renvoie ici à mon livre « L’implosion du capitalisme contemporain », traduit en chinois, et aux développements que j’y ai consacrés au système contemporain des « monopoles mondialisés, généralisés et financiarisés ». C’est çà la réalité fondamentale à partir de laquelle on peut analyser les caractéristiques du fonctionnement du capitalisme réel.
Les changes flexibles ont été adoptés par les puissances majeures (les Etats Unis, l’Europe, le Japon) en 1973-1975, puis graduellement « acceptés » par les pays du Sud (ou « imposés » à ceux-ci). Qu’ont-ils donné en fait, au cours de ces cinquante années ?
Premièrement, ils n’ont pas produit une stabilisation, même relative, des taux de change des pays majeurs (le dollar, la livre sterling, le mark puis l’euro, le franc suisse, le yen). Au contraire ils ont rendu ces taux de change volatiles, c'est-à-dire soumis à de très amples fluctuations : par exemple le taux dollar/euro a fluctué du simple au double dans un sens puis l’autre. Ces fluctuations énormes ne s’expliquent évidemment pas par des transformations des compétitivités relatives des économies concernées (ces transformations sont très lentes). Elles s’expliquent par le fait que l’adoption des changes flexibles a ouvert un champ d’action fabuleux à la spéculation à court terme sur les devises. Il faut poser la question : à qui a profité cette spéculation ? Ce sont eux qui défendent les changes flexibles.
Deuxièmement, pour ce qui concerne le taux des changes entre les devises majeures (le dollar, l’euro, le yen, la livre sterling, le franc suisse) et celles des pays du Sud, l’adoption des changes flexibles a produit une volatilité extrême des devises des pays du Sud et leur dévaluation continue. Cette dévaluation a permis au capital des monopoles du Nord « d’acheter » à des prix négligeables des actifs réels dans le Sud : des mines, des usines, des chaines de commerce, des compagnies bancaires, des terres. C’était l’objectif poursuivi. Pensez à l’exemple du Brésil : les changes flexibles ont-ils favorisé la croissance du PIB brésilien ? Celui-ci reste très modeste (3%). Veut-on réduire le taux de croissance de la Chine dans de telles proportions ?
Revenons donc sur qui sont les bénéficiaires réels de ce système. Oubliez leur discours idéologique : les changes flexibles sont favorables pour tous les pays, tous les peuples, tous les individus de la planète.
Le fait est que le système a produit pendant cinquante ans une croissance continue des superprofits des monopoles financiarisés (c'est-à-dire des monopoles qui opèrent sur les marchés financiers), en particulier des grandes banques des Etats Unis, de l’Europe, du Japon. A quel prix cette croissance ? A celui de la stagnation de la croissance de l’économie réelle des Etats Unis, de l’Europe, du Japon. C'est-à-dire au prix de l’installation dans une récession permanente (quand on passe de taux de croissance de 0,1% à 1,2% on crie victoire et on dit : on est sorti de la récession !).
Les défenseurs de ce système sont donc ceux qui en bénéficient, en premier lieu des grandes banques. Hsbc est l’une de celles-ci. C’est une vieille banque britannique coloniale, établie à Hong Kong au lendemain de la Guerre de l’opium. Cette banque n’a jamais été sensible aux « intérêts de la Chine » ! Elle le reste : étrangère à ces intérêts, sensible seulement à la croissance de ses superprofits.
La Chine a jusqu’à présent résisté aux discours et aux pressions continus exercés sur elle pour lui faire abandonner la gestion du yuan par l’Etat chinois (le gouvernement et la Banque Centrale de Chine). C’est grâce à cette résistance que la Chine est parvenue à enregistrer les plus forts taux de croissance du monde, d’une manière continue.
Bien sûr on peut toujours dire qu’il existe un risque, lié à l’incertitude du taux du Yuan, puisque les décisions que les autorités chinoises peuvent prendre concernant ce taux de change sont « inconnues ». Et je dirai même que ces autorités chinoises ont pu commettre et pourraient commettre à l’avenir des erreurs. Personne ne connaît de vaccin donnant l’infaillibilité. Mais ce risque est mineur – car les erreurs peuvent être corrigées – en comparaison du risque énorme de la volatilité imprévisible du taux de change du Yuan que l’adoption du système des changes flexibles entraînerait.
Si le théorème (« les changes flexibles sont stabilisateurs ») est faux, les corollaires qu’on peut en déduire sont également faux. Or Hsbc tire tous ses corollaires de l’acceptation de ce théorème faux. Est-ce que le taux flexible du Yuan réduirait les coûts de transaction ? Ou au contraire sa volubilité leur donnerait à leur tour davantage d’ampleur ?
Il n’y a aucune raison pour que des changes flexibles favorisent la croissance du commerce extérieur. Celle-ci dépend d’autres facteurs, beaucoup plus déterminants : la nature et le volume des productions de la Chine.
Et puis, pourquoi la Chine devrait-elle poursuivre un objectif de croissance de ces exportations sans limite, plus fort que le taux de croissance du Pib ? C’est absurde. La Chine doit inverser ce rapport et transférer le moteur de sa croissance de la demande de l’extérieur vers l’intérieur. L’avenir des industries chinoises c’est l’immense marché chinois, l’amélioration du niveau de vie des classes populaires. Et non la croissance des exportations au détriment du marché intérieur.
Pourquoi Hsbc propose-t-il le contraire de ce qu’il faut faire ? La petite colonie – Hong Kong – n’a pas de choix pour soutenir sa croissance autre que les exportations, et donc être compétitifs à tout prix pour réaliser l’augmentation continue et sans limites des exportations. Mais la Chine n’est pas Hong Kong. Elle a le choix. Imaginer faire de la Chine un « grand Hong Kong » c’est vouloir faire de la Chine une « grande colonie » qui sacrifie le niveau de vie de son peuple pour exporter. Des exportations dont les bénéficiaires sont alors les consommateurs étrangers. Cela produit un excédent de la balance commerciale, trop fort, sans utilité.
Est-ce que l’adoption des changes flexibles donne davantage de liberté de manœuvre pour les politiques économiques nationales ? La réalité est tout le contraire : la volatilité des changes crée une situation de fragilité qui réduit l’éventail des choix en matière de politique économique nationale, oblige de soumettre ces choix aux limites de ce que le système dominant (c'est-à-dire dominé par les monopoles des puissances majeures – Etats Unis, Europe, Japon) permet. Les pays « émergents » d’Amérique latine et d’Asie du Sud Est sont exactement les victimes de ce système, et leur marge de manœuvre est très réduite par comparaison avec celle de la Chine, qui est plus grande précisément parce que la Chine est restée hors de la mondialisation financière (hors du système des changes flexibles).
Derrière la Hsbc et les autres grandes banques se profile donc l’objectif politique stratégique des Etats Unis, de l’Europe et du Japon : faire échouer le projet souverain chinois, celui de construire une grande économie moderne indépendante, obliger la Chine à inscrire son projet dans une relation d’inégalité avec les puissances majeures, réduire le projet chinois à la soumission comme le sont les projets des autres pays du Sud, le Brésil etc.
Derrière Hsbc il y a Hong Kong. Or qu’est-ce que Hong Kong ? Ce fut une colonie britannique jusqu’à sa réintégration politique dans la nation chinoise. L’économie mise en place à Hong Kong était une économie coloniale, dominée par des firmes qui étaient et sont restées la propriété du capital étranger, même si de « riches Chinois » y sont associés, comme une bourgeoisie compradore. Hsbc est une banque de ce genre, propriété du capital étranger, avec des Chinois associés. Il n’est pas étonnant que cette banque propose une politique qui ferait de la Chine un grand Hong Kong : une économie dominée par le capital étranger, avec des Chinois associés. Que veut-on ? Aller dans ce sens ou au contraire transformer, lentement, Hong Kong pour qu’il devienne de plus en plus réellement chinois, de moins en moins étranger ? Comme la Chine, où les intérêts étrangers, dont on accepte la présence, sont soumis au commandement de l’Etat et des intérêts chinois, pas l’inverse.
Taïwan est dans une situation différente de Hong Kong. Car si Taïwan a été une colonie japonaise, le pouvoir que le Kuo Mintang y exerce a éradiqué celle-ci. Certes le Kmt est un parti réactionnaire et comme tel n’est pas imperméable aux influences en son sein de la bourgeoisie compradore. Mais le Kmt est également issu d’une révolution qui portait un projet national (fut-il bourgeois). Je n’irai pas plus loin, ma connaissance très insuffisante de Taïwan ne me le permet pas.
Hsbc croit renforcer son argument, en faveur de l’adoption des changes flexibles pour le Yuan, en disant : regardez Hong Kong, nous avons là une masse de capitaux flottants qui font, grâce à la spéculation en particulier sur les changes (Hsbc ne dit pas « spéculation », il dit : opérations financières), notre fortune. Oui la fortune des banquiers étrangers ! Est-ce l’équivalent de la fortune de la Chine ?
La position de Sopanha dans le second article que je commenterai, n’est pas celle de Hsbc. Elle est une position prudente, proche de la position officielle des autorités de Beijing. Sopanha constate que l’internationalisation est déjà à l’œuvre mais que la perspective de la convertibilité et de l’ouverture du compte capital reste encore lointaine (horizon 2020). Sopanha semble approuver cette politique prudente.
L’objectif, même lointain, reste quand même la convertibilité, les changes flottants et l’ouverture du compte capital. J’ai dit et je répète que réaliser cet objectif serait la catastrophe. Mais s’il faut aller dans cette direction catastrophique, il vaut mieux aller lentement que vite ! Au moins si on va lentement on aura la possibilité de constater les effets négatifs des avancées dans cette direction, de corriger et de s’arrêter !
C’est pour éviter qu’un pays puisse s’arrêter sur ce chemin catastrophique que les idéologues de Washington, du Fmi, de la Banque mondiale ont inventé la « choc therapy » : cassez tout et adoptez du jour au lendemain tous les principes du libéralisme économique tel qu’il est aux Etats Unis. La Russie avec Eltsine a accepté la « choc therapy » et le désastre a été total : la Russie aura beaucoup de peine, et il lui faudrait plusieurs décennies pour sortir du tunnel dans lequel la « choc therapy » l’a engagée.
D’ailleurs, à mon avis, si la Chine va lentement (vers 2020 ?) le danger de catastrophe risque bien d’avoir disparu à cet horizon. Car le système néolibéral fondé sur la liberté des marchés, la dérégulation financière, les changes flexibles est déjà très malade. J’ai dit et écrit que son implosion avait commencé et continuera à s’approfondir. Que sera ce système en 2020 ? Je crois qu’à cette date il aura disparu, pour être remplacé par je ne sais quoi, peut être meilleur, peut être pire. Par exemple, à cet horizon, l’Euro pourra avoir disparu, peut être même l’Union européenne sera disloquée (la Grande Bretagne en sortant la première). Ce n’est pas mon sujet dans ces commentaires. Je renvoie ici à mon livre « L’implosion du capitalisme contemporain ».
Sopanha termine en donnant son interprétation de la suggestion de Zhou Xiaochuan, gouverneur de la Banque centrale de Chine, faite en 2009, de faire des Dts (Droits de tirage spéciaux) une monnaie de réserve internationale, à côté des autres devises majeures (dollars, euro, yuan chinois, etc.). et que pour cela il faudrait que le yuan soit devenu convertible.
Ma lecture entre les lignes de la suggestion de Zhou est différente. Il me semble que, au-delà de la mesure à court terme (les Dts), Zhou pensait à plus long terme à la proposition faite par Keynes en 1945 : le bancor.
Le bancor aurait pu être la monnaie de réserve internationale, la seule et non pas une monnaie de réserve à côté d’autres. Le bancor aurait été défini comme un panier de monnaies clés nationales, pondérées par l’importance de chacune d’elles. Celle-ci aurait été mesurée par l’importance des transactions réelles opérées dans chacune de ces monnaies nationales. On doit entendre par transactions réelles les échanges commerciaux et les investissements directs à l’étranger, et exclure de celles-ci les mouvements financiers internationaux de spéculation. Car le bancor avait l’objectif de réduire la spéculation, et non pas de lui donner tout son champ de déploiement comme le lui offre le système des changes flottants. Les taux de change entre les devises retenues n’auraient pas été laissés au marché, mais fixés. Bien entendu ces taux fixes pouvaient être révisés de temps à autres, par décision concertée des pays concernés, pas au jour le jour. Car le système laissait sa totale autonomie aux politiques économiques nationales. Les résultats différents de ces politiques différentes auraient alors imposé la révision des taux de temps à autre.
Le système de Bretton Woods a rejeté le bancor. Il allait trop loin et limitait le pouvoir, alors énorme du seul dollar, auquel Keynes voulait associer la livre sterling sur pied d’égalité. Mais Bretton Woods a retenu une petite partie des idées de Keynes : des taux de change fixes mais révisables, la création – ultérieure – de Dts à côté des autres monnaies de réserve. Puis Bretton Woods a été abandonné en 1971, au profit des changes flottants.
Ce que j’ai lu – entre les lignes – des propos de Zhou, c’est, à long terme, le bancor. Mais j’avoue que ma capacité de lire entre les lignes ce que veulent laisser entendre les propos d’officiels chinois très haut placés, est limitée.
La question posée concernant l’achat par la Chine d’actifs à l’étranger mérite quelques développements. La Chine a donné la priorité première à la croissance de ses exportations, qui est plus forte que celle du Pib. Elle accumule alors un surplus croissant qu’elle plaçait presqu’entièrement en réserves liquides, tenues principalement en dollar, c'est-à-dire en achetant des bons du Trésor Us qui ne rapportent qu’un intérêt faible, négatif en réalité (inférieur au taux d’inflation).
Ce choix de la priorité aux exportations était probablement nécessaire au départ, pendant les années 1990. Il fallait à la Chine disposer vite d’un bon volume de devises pour importer des biens indispensables à sa croissance : équipements et technologies, matières premières, pétrole. Mais la Chine est allée trop loin dans cette direction puisque la réserve placée en dollar déjà énorme continue à augmenter sans cesse.
Alors faut-il continuer, mais seulement modifier la composition de l’usage du surplus : au lieu de placements liquides en dollar, acheter des actifs réels : des usines, des mines, des terres agricoles ? On peut être tenté par cette solution. Mais celle-ci comporte des dangers qu’il ne faut pas sous estimer :
- La vulnérabilité de ces placements est grande. Les pays impérialistes font des investissements de ce genre dans le Tiers monde. Mais l’investissement à l’extérieur est toujours dangereux pour un pays non impérialiste qui ne dispose pas de forces armées capables d’intervenir si nécessaire pour faire respecter ses « droits ». Un exemple : supposons que la Chine, suite à une grave catastrophe naturelle, ait besoin de tirer sur ses avoirs extérieurs, et pour cela, demande à Washington de lui rembourser une grande masse de bons du trésor Us. Si les Etats Unis refusent, que va faire la Chine ? La guerre ? Autre exemple : lorsque Allende a nationalisé le cuivre au Chili, les Etats Unis ont organisé le coup d’état de Pinochet. La Chine pourrait faire la même chose ? Surement non.
- Certains de ces achats d’actifs sont négatifs pour le pays où s’installe la Chine : la vente de terres agricoles africaines par exemple. Pratiquer cette politique c’est casser la perspective de la construction d’un large front des pays du Sud face à l’hégémonisme américaine et au pillage impérialiste. Il ne faut pas s’engager dans cette voie qui contribuera à isoler la Chine et donc, à terme, à faciliter l’agression américaine si Washington le juge nécessaire. Il faut donc étudier très concrètement les projets d’achat d’actifs à l’étranger et les associer à des projets d’intensification de la bonne coopération entre la Chine et les pays du Sud. Par exemple : la Chine achète une mine de cuivre à la Zambie. Elle associe cet achat à une participation à la construction d’industries en Zambie, ce que le « Club des donateurs » occidentaux refuse toujours. Ces industries sont en partnership, Chine/Etat local. Avantage : la Chine contribue à construire un « front du Sud » qui réduit son isolement que les Etats Unis poursuivent. Mais peut être hélas, on ne croît plus en Chine à cette possibilité. C’est une erreur grave.
Sur beaucoup des questions soulevées ici je vous recommande la lecture de l’excellent livre de : Yilmaz Akyuz, Financial crisis and global imbalance ; South Centre, Geneva, 2012.
Nota Bene
La prétendue science économique enseignée dans les universités occidentales, en particulier aux Etats Unis, est fondée sur un postulat : l’existence d’un « homo œconomicus » qui serait un être humain qui n’aurait pas connu d’évolution dans l’histoire, serait identique aujourd’hui à ce qu’il était il y a cinq mille ans, serait le même partout sur la planète et à tous les âges, n’appartiendrait ni à une nation ou un peuple particulier, ni à une classe sociale quelconque dont cette nation est constituée. Qu’il soit entrepreneur, propriétaire d’une usine ou d’une banque, ouvrier ou petit paysan, il est le même homo œconomicus. Et ce serait l’interaction de tous ces individus égaux et identiques, par leurs échanges sur le marché, qui constituerait le tissu social et le système de production économique. La science économique est réduite à cette anthropologie simpliste, la plus mauvaise des anthropologies concevables. Cette science économique exerce alors toute son intelligence à déduire des interactions sur les marchés ce que la logique permet de déduire d’elles.
Ce mode de pensée curieux n’est pas nouveau. Les anciens Chinois croyaient à l’existence des dragons. Des penseurs aussi intelligents que nous s’employaient à déduire de l’existence de ces êtres imaginaires, en leur attribuant des qualités (comme l’homo œconomicus est défini par son égoïsme et sa rationalité de comportement) tout ce qu’on peut en déduire pour comprendre comment le sort des Chinois dépendait de ces dragons.
Les Chinois n’avaient pas le monopole de ce mode de pensée. Les chrétiens européens du Moyen-âge croyaient aux anges. Des théologiens aussi intelligents que nous pouvaient disserter sur «le sexe des anges» parce qu’ils pensaient que la réponse à cette question aiderait à mieux comprendre le monde.
Identité de méthode : on déduit la connaissance à partir d’un postulat imaginaire. Mais également identité de modes de présentation des raisonnements concernés : usage d’un jargon inaccessible au commun, aujourd’hui le jargon des économistes. Moyen d’imposer la conclusion politique à laquelle on veut parvenir en invoquant la « science indiscutable des experts».
Il va de soi que, en partant d’un postulat imaginaire, on peut déduire n’importe quoi, tout et son contraire. L’homo œconomicus nous dit-on agit rationnellement en se fondant sur ce qu’il pense des actions et réactions des autres (ce sont les fameuses « anticipations »). Le résultat des interactions sur les marchés dépendra donc de ces anticipations, inconnue et qu’on peut donc imaginer comme on le veut.
Si vous vous posez une fausse question comme : quels sont les caractères du dragon, ou le sexe des anges, ou les anticipations de l’homo œconomicus ; vous ne pouvez pas utiliser votre intelligence d’une manière efficace et utile ; vous lui faites perdre le temps ; vous stérilisez l’usage de l’intelligence. Les universités américaines d’économie ne forment pas des experts intelligents ; elles stérilisent l’intelligence de leurs étudiants.
Cette science économique n’est qu’une para-science comme la science des dragons ou celles des Anges. Elle a été construite pour répondre à Marx et le réfuter. Marx avait en effet commencé à nous enseigner ce qu’est la réalité de la société en partant de concepts réels (existants) : la reconnaissance d’étapes successives et différentes de l’histoire des peuples et de l’humanité, celle de structures spécifiques d’organisation de la production et du pouvoir, celle des classes sociales etc. Marx est réaliste ; « l’économique » américaine ne l’est pas.
J’ai également voulu éviter le jargon qui sert à occulter la réalité et fait appel à une langue qui, je l’espère, est accessible.
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