Organisé par la Fondation Gabriel Péri, le Parti de l’Indépendance et du Travail du Sénégal et la Fondation Rosa Luxemburg, en partenariat avec la revue Recherches internationales, le 4e Colloque international de Dakar ambitionne de traiter les questions de la crise de la représentation et des luttes démocratiques en Afrique, avec pour fil conducteur celui de l’intervention citoyenne, comme vecteur de la sortie des crises politique, sociale, économique, voire civilisationnelle
En ce début de 21e siècle, le cœur du capitalisme mondialisé vit une crise majeure qui affecte tous les aspects de la vie en société, la sphère politique en particulier. En effet, partout, les citoyens constatent les limites de leur intervention dans le champ politique. Les conquêtes démocratiques pour lesquelles les peuples continuent de se battre avec la plus grande détermination dans de nombreux pays se heurtent à la puissance des élites politiques, économiques et à des carcans institutionnalisés.
En Europe, les citoyens se rendent de plus en plus compte que le vote ne leur permet plus véritablement d’exprimer leurs préférences et d’influencer significativement l’agenda politique. En Afrique, la transition vers des régimes démocratiques n’a pas toujours permis d’améliorer les conditions de vie des populations. Bien au contraire, l’exercice du pouvoir politique conduit souvent à des dérives. Les institutions démocratiques sont malmenées. Ce qui a conduit à déstabiliser des Etats dont les fondations étaient déjà fragiles.
Partout les élites politiques suscitent une méfiance croissante auprès des populations. Parmi les raisons qui expliquent le fossé grandissant entre la classe politique et le reste de la société, il y a l’idée que le politique aurait abdiqué face à la domination de l’argent, des marchés et du capital. Les représentants du peuple ne semblent plus représenter que les intérêts de ces puissances oligarchiques. Dans les pays occidentaux, cette confiscation de la démocratie peut être appréciée par la tendance, depuis ces dernières décennies, à l’accroissement des inégalités sociales. A l’échelle internationale, elle se traduit également par un nouvel assaut lancé par les opérateurs économiques et les gouvernements sur les eldorados riches en ressources humaines et naturelles, la plupart situés en Afrique. La déstabilisation de régions entières de la Libye au Sahel, en passant par le Soudan, la République démocratique du Congo, jusqu’à la guerre récemment déclenchée au Mali, en témoigne.
Face à la crise du capitalisme et de la représentation politique, on observe parallèlement un retour à l’engagement, un désir de s’impliquer, d’intervenir comme citoyen, notamment chez les jeunes, en Europe et en Afrique. Il suffit de se référer à la période électorale que vient de traverser le Sénégal, les « printemps arabes », les mouvements sociaux au Burkina Faso, au Togo, au Bénin. En Europe, on peut penser par exemple au mouvement des Indignés.
Le politique anticipe-t-il les crises ou les nourrit-il ? Cette question, commune à l’Afrique et à l’Europe interroge aussi le rapport que nous avons à la démocratie, qui dans sa dimension représentative est plongée dans une crise fonctionnelle, et au progrès, notion au cœur du combat démocratique et des luttes pour la transformation sociale qui ont marqué l’histoire de la gauche : pourquoi faisons-nous société ? Quelle est la finalité au développement ? Quel type de progrès et quels types d’arrangements institutionnels voulons-nous ? En somme, il s’agit de réfléchir sur la question politique, c’est-à-dire sur l’organisation des pouvoirs dans des sociétés pluralistes et interconnectées ainsi que sur les finalités de l’association civile.
La dynamique progressiste, démocratique et de libération nationale, qui a donné un sens et une espérance à l’engagement de millions d’hommes et de femmes et à la mobilisation populaire, est aujourd’hui elle-même en crise, alors que partout s’invente et se réinvente une participation, une intervention citoyenne, des mouvements sociaux aux formes diverses et variées. La lutte contre les inégalités au croisement des luttes sociales et politiques prend une nouvelle dimension. La politique doit y être à l’écoute, s’en nourrir pour proposer des alternatives, elle doit se réinventer. C’est l’articulation entre le mouvement social et la question politique du pouvoir qui peut ouvrir de nouvelles perspectives, et semble déterminer la capacité d’une dynamique populaire à changer le cours des événements. De ce point de vue, l’avenir des printemps arabes, qui portent les revendications de dignité, de travail, de justice sociale, de liberté, réside dans la capacité des citoyens à orienter le processus en fonction de leurs objectifs initiaux.
Mais la « révolution citoyenne » ne se décrète pas. Il faut mieux prendre en compte les évolutions internes des sociétés, ne pas perdre de vue notamment l’influence renouvelée des religions, leur poids dans la vie publique en Afrique et leurs rapports au politique. Il faut essayer de comprendre pourquoi le manque ou l’absence d’outils adéquats favorisant l’intervention citoyenne conduit au repli sur soi, à des croyances parfois désuètes voire dangereuses, à l’usage de la violence et à l’accroissement des inégalités.
Dans des régimes qui ne tolèrent ni opposition, ni alternance, pratiquant la répression, et dans des sociétés où la classe politique est lourdement discréditée, la « société civile » est devenue un refuge et le territoire de l’intervention du citoyen, qui plutôt que d’espérer un changement global, travaille à faire avancer telle ou telle cause : l’environnement, l’éducation, la santé, l’égalité, etc. Lieu de protection, de dissimulation pour se mettre à l’abri de la répression et travailler les couches populaires, les organisations de la société civile peuvent faire irruption dans l’espace public à tout moment. La lutte politique se fait donc nécessairement sur plusieurs niveaux. Seuls, les associations, organisations, syndicats, etc. ont-ils les moyens d’un changement structurel ? Comment les partis qui se réclament progressistes se saisissent-ils de ces enjeux ? Comment construire les convergences nécessaires ?
Pour sa quatrième édition, le Colloque International de Dakar organisé par la Fondation Gabriel Péri, le Parti de l’Indépendance et du Travail et la Fondation Rosa Luxemburg en partenariat avec la revue Recherches internationales, ambitionne de traiter ces questions avec pour fil conducteur celui de l’intervention citoyenne, comme vecteur de la sortie des crises politique, sociale, économique, voire civilisationnelle.
Sans mobilisation populaire large autour d’un projet commun, le changement souhaité par les peuples peut-il être au rendez-vous ? Comment comprendre d’ailleurs la notion de progrès aujourd’hui, à l’ère de la révolution écologique ?
En 2010, la troisième édition, intitulée « La crise globale et l’Afrique : quels changements ? », interrogeait l’avenir : que va-t-il se passer pour l’Afrique avec la crise ? Sera-t-elle toujours objet d’un pillage concerté entre acteurs extérieurs et acteurs locaux ? La quatrième édition tentera d’analyser les processus politiques qui se dessinent actuellement en Afrique. Au moment où le continent est célébré comme celui du XXIe siècle, les modèles politiques sont mis à rude épreuve par le déficit de légitimité des élites ainsi que les nouvelles menaces sur la souveraineté des nations introduites par les rivalités entre les grandes puissances et la « guerre » contre le terrorisme. Mais, comme partout ailleurs, de nouvelles formes de citoyenneté ont commencé à émerger en Afrique. Elles révèlent un besoin de justice, de moralité publique, de retour du politique. Elles incarnent la revendication de droits et de liberté.
Ce colloque se tient sur trois jours avec plusieurs sessions thématiques :
1. QUELLES LECTURES DE LA CRISE GLOBALE DE LA DEMOCRATIE REPRESENTATIVE ? CONFRONTER LES ANALYSES ET PARTAGER LES EXPERIENCES :
Comment la crise politique et de la politique s'exprime-t-elle dans des contextes historiques, culturels, sociaux originaux, et en même temps inscrits dans la mondialisation des échanges, la circulation des idées et de l'information ? Quelle est la perception en Afrique des mouvements en Europe et en Europe des expériences citoyennes en Afrique ? Quelles parentés et convergences éventuelles existe-t-il entre les contestations des politiques néolibérales et pour le changement, en Afrique et en Europe ? Quelles questions générales nouvelles posent-elles sur les rapports entre mouvement populaire et transformation dans les conditions concrètes et historiques présentes ?
2. REINVENTER LA POLITIQUE ET LA CITOYENNETE : QUELS ROLES POUR LES MOUVEMENTS SOCIAUX ET LES FORCES PROGRESSISTES ?
Comment favoriser l’intervention citoyenne pour un nouveau système démocratique ? Où en sont les forces de gauche démocratiques et progressistes ? Quels défis soulève la place des religions dans la vie publique ?
3. REPENSER LE PROGRES : COMMENT CONCILIER DEVELOPPEMENT, DEMOCRATIE ET SOUVERAINETE NATIONALE ?
L’Afrique, nouvel eldorado des investisseurs ? Comment organiser une maîtrise publique des ressources ? Articuler croissance, développement et démocratie. Conquérir l’égalité sociale, économique et politique.
Le colloque rassemble les responsables de partis politiques, des intellectuels, universitaires, chercheurs, des acteurs des mouvements sociaux et organisations des sociétés civiles associées aux précédentes éditions (Dakar I : « France-Afrique : vers une nouvelle donne ? » ; Dakar II : « Afrique – Europe : néocolonialisme ou partenariat ? » ; Dakar III : « La crise globale et l’Afrique : Quels changements ? ») ou invités à rejoindre le réseau qui s’est constitué entre progressistes de France, d’Europe et d’Afrique.
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** Ndongo Sylla est chargé de recherche et de programme au Bureau Afrique de l’Ouest de la Fondation Rosa Luxemburg
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