Annoncées depuis la fin de l’année 2012, les élections législatives et locales n’ont toujours pas eu lieu au Togo. Et pour cause. La classe sociopolitique est plus que jamais divisée et une crainte de débordement règne actuellement dans la capitale Lomé.
Au jour d’aujourd’hui, il est très difficile de dire quand auront lieu les élections législatives et locales au Togo, qui sont d’une importance capitale pour l’avenir de ce petit pays de l’Afrique de l’Ouest. Au-delà des parlementaires qui seront choisis pour les cinq prochaines années, ce sont les élus locaux et les maires qui constituent l’autre grand enjeu de ces élections. Cela fait plus de vingt ans que les communautés togolaises sont gérées par les délégués spéciaux choisis par le gouvernement en place. Manquant de légitimité auprès des communautés et surtout des moyens pour agir, ces délégués spéciaux se retrouvent pris en étau entre les besoins de leurs localités et les exigences du régime au pouvoir. D’où l’importance des prochaines élections.
Mais force est de constater que même avec la mise en place d’une Commission électorale nationale indépendante (Ceni), les dates des prochaines consultations ne sont pas encore connues. Ce constat montre que le Togo traverse une crise sociopolitique qui rappelle les évènements de 2005. Plusieurs points de discorde entre le parti au pouvoir et l’opposition bloquent le processus. L’absence de dialogue sincère et constructif, avec au centre l’intérêt national, semble montrer que le dénouement n’est pas pour demain. C’est dans cette atmosphère délétère que le gouvernement a introduit un projet de loi à l’Assemblée nationale pour renforcer le pouvoir de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac) qui aura la prérogative désormais de sanctionner la presse. Il est donc difficile de ne pas faire le lien entre ce projet de loi et les élections législatives et locales à venir.
Le Togo est un pays connu pour sa mauvaise gestion de la gouvernance institutionnelle et le non respect des Droits de l’homme. En témoignent les recommandations faites par les instances des Nations unies pour la protection des Droits humains (examen périodique universel, Comité contre la torture) et la Commission vérité, justice et réconciliation (Cvjr). Vues les périodes électorales compliquées que le pays à toujours traversées, la presse togolaise comme partout ailleurs à un rôle crucial à jouer. Pour la transparence du scrutin et sa liberté, le 4ème pouvoir est plus qu’indispensable pour relayer les informations sur le déroulement de tout le processus. Lors d’un processus électoral, le seul élément secret est le vote lui-même. Donc à part le vote, tout le reste doit être connu et doit être claire pour tous les citoyens. La presse est là, pour jouer ce rôle capital. Ceci n’est pas toujours du goût du régime au pouvoir au Togo.
LES PREROGATIVES DE LA HAAC DANS LA NOUVELLE LOI ET LES DISPOSITIONS DE LA CONSTITUTION
La nouvelle loi qui vient d’être voté à l’Assemblée nationale ce mardi 19 février 2013 stipule clairement qu’«en cas d’inobservation des recommandations, décisions et mises en garde par les titulaires des récépissés de parution des publications, la Haute autorité peut prononcer l’une des sanctions suivantes : la suspension de parution pour quinze jours de la publication pour les quotidiens ; la suspension de parution pour un mois de la publication pour les autres types de publications ; la suspension de parution pour trois mois de la publication avec retrait de la carte de presse ; la suspension de parution pour six mois de la publication avec retrait de la carte de presse ». Elle ajoute que « La Haute Autorité après une mise en demeure restée sans suite, peut infliger, aux directeurs, promoteurs des agences de production, de publicité ou fondateurs des vidéoclubs les sanctions suivantes selon la gravité de la faute : la suspension de l’autorisation pour un mois au plus ; la suspension de l’autorisation pour trois mois au plus ;la réduction de la durée de l’autorisation dans la limite de six mois ; le retrait provisoire de l’autorisation pour une durée d’un an ; le retrait définitif de l’autorisation avec saisie des équipements. »
Or la Constitution togolaise, en son article 26 alinéa 3 dit, clairement ceci : «La presse ne peut être assujettie à l’autorisation préalable, au cautionnement, à la censure ou à d’autres entraves. L’interdiction de diffusion de toute publication ne peut être prononcée qu’en vertu d’une décision de justice ».
Donc en donnant plus de pouvoir à la Haac pour prendre des sanctions contre la presse, le gouvernement montre sa détermination à rendre le quatrième pouvoir silencieux et totalement soumis. Ceci constitue une entrave à la liberté de la presse et une régression de la liberté d’expression et d’information. Alors que le Togo vient de perdre quatre places en ce début d’année 2013 sur le classement de la liberté de presse, le gouvernement de ce pays s’illustre encore une fois de manière négative. La suspension d’un média ou le retrait de son autorisation d’exploitation sont des actes graves qui doivent demeurer exceptionnels. La Haac n’étant pas un organe juridictionnel, elle ne peut être habilitée à adopter des sanctions à l’encontre des médias. En plus, les pouvoirs de sanctions attribués par ce projet de loi à la Haac sont d’une telle gravité qu’ils ne peuvent être justifiés par aucune considération "d’urgence ou de manquement aux obligations" légales. La Haac, qui "a pour mission de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la presse", ne doit pas devenir une instance de censure. Il est donc clair que cette loi votée par les députés, viole la Constitution qui est le texte fondateur de ce pays. Ce qui ramène le Togo en arrière de presque 10 ans ou la violation de la constitution en 2005 avait plongé le pays dans un bain de sang soldé par plus de 500 morts selon les Nations unies.
La nouvelle loi a été introduite le vendredi 15 février à l’Assemblée nationale et a été votée ce mardi 19 février. Pris de court la presse togolaise s’est mobilisées et a programmé un sit-in devant le Palais des congrès de Lomé, siège de l’Assemblée nationale ce même mardi 19 février. Cette manifestation dite pacifique et silencieuse a reçu rapidement le soutien des organisations de défense des Droits de l’homme du Togo et des organisations de presse internationale telle Reporters Sans Frontière.
Ce sit-in, comme on pouvait s’y attendre, n’a pas eu lieu. Car les forces de l’ordre ont interdit l‘accès devant l’Assemblée nationale aux nombreux journalistes qui ont fait le déplacement avec le soutien de la population de Lomé. Préférant éviter l’affrontement avec les forces de l’ordre, les journalistes après quelques heures ont quitté le Palais des congrès vers 11h.
POURQUOI UNE MOBILISATION GENERALE CONTRE LA NOUVELLE LOI ?
Plusieurs raisons soutiennent la mobilisation des journalistes et des défenseurs des Droits de l’homme contre cette nouvelle loi introduite par le gouvernement. En premier lieu, son anticonstitutionalité. Voter cette loi amène les députés qui sont les élus du peuple à violer la constitution (ce qui n’est pas une première dans ce pays). En second, cette loi donne un pouvoir démesuré à la Haac au détriment de la justice. Tertio, la Haac est une institution dite indépendante, or son actuel président n’est que l’ancien ministre de la Justice, Garde des sceaux et surtout membre du bureau politique du parti Rpt, transformé depuis peu en Unir. Cette appartenance au parti au pouvoir ne donne aucune légitimité au président actuel qui ne reçoit quasiment aucun soutien des hommes de médias. Et avec la nouvelle loi qui est sur le point d’être votée, la relation entre la presse togolaise et la Haac risque d’être plus tendue qu’auparavant.
Plusieurs observateurs de la scène politique togolaise voient en cette loi une opportunité pour la Haac de museler certaines radios et presse écrite du pays. Les radios Légende Fm et Victoire Fm, les presses, l’Alternatives, les Triangles des Enjeux ou encore Liberté sont menacées. Alors que le pays croupi déjà sous le poids de la pauvreté et de la misère, les droits fondamentaux qu’est la liberté de presse continuent d’être bafoué. A cette allure, la démocratie, l’Etat de Droit et la bonne gouvernance sont des notions que les générations actuelles ne verront pas effectives au Togo. Et les élections libre, transparentes et apaisées aussi.
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** Bernard Anoumo Dodji Bokodjin est sociologue, journaliste, activiste des Droits Humains
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