Au cours de sa courte vie, avant qu’il ne soit sauvagement assassiné, Patrice Lumumba s’était engagé en faveur de plusieurs principes et idées importantes qu’une nouvelle génération d’Africains doit revisiter.
Patrice Lumumba a été le héros national de la République démocratique du Congo. Il a réuni tous les groupes ethniques, a arraché l’indépendance à la Belgique et est devenu le premier dirigeant congolais démocratiquement élu. Pour la Belgique, l’ancienne puissance coloniale, le Congo était comme un fruit pas mûr mais que le vent de l’histoire a contraint à tomber. En fait, la proclamation de la Nouvelle République de Chine et la guerre d’indépendance en Algérie ont eu une grande influence sur le mouvement d’indépendance au Congo.
Lumumba était un "évolué". C'est-à-dire un membre de l’élite congolaise qui a si bien assimilé les façons de vivre occidentales. Suite à sa participation à la All African People’s Conference qui s’est déroulée à Accra, du 5 au 13 décembre 1958 (le Ghana étant le premier pays africain qui a obtenu son indépendance le 6 mars 1957), lors de laquelle il a rencontré Kwame Nkrumah, le premier président du Ghana, Lumumba est retourné au Congo transformé, pour devenir un nationaliste et un panafricaniste convaincu. Nkrumah est souvent considéré comme le père spirituel de Lumumba.
LA PERTINENCE CONTINUE DE LUMUMBA
S’adressant à l’audience lors de la conférence, Lumumba a déclaré :" En dépit des frontières artificielles qui nous séparent, nous avons tous la même conscience africaine et nous ne sommes préoccupés que par une seule chose : faire de l’Afrique un continent libre, heureux et libéré de toute domination coloniale. Nous sommes heureux de constater que nous avons un objectif commun, souligné par cette conférence : la lutte contre tous les facteurs internes et externes qui constitue un obstacle à l’émancipation de nos pays et à l’unification de l’Afrique y compris le tribalisme, le séparatisme religieux lesquels sont de sérieux obstacles à la naissance d’une société africaine harmonieuse et fraternelle". Ces propos de Lumumba sont vrais aujourd’hui encore. Même les Belges étaient persuadés que Lumumba était le seul chef congolais au-dessus de la mêlée des conflits ethniques et des préoccupations qui ont détruit tous les autres partis.
A son retour au Congo, Lumumba a organisé une réunion publique le 28 décembre 1958 à Kinshasa, alors dénommée Léopoldville, à laquelle 10 000 membres du Mouvement national congolais (MNC) ont pris part. C’était une grande réussite. L’association des Bakongo (Abako), un parti politique rival mais centré sur l’ethnie, conduit par Joseph Kasavubu, jaloux du succès de Lumumba dans son propre fief, organise alors sa propre réunion publique le 4 janvier 1959. La rencontre ne fut pas autorisée par le gouvernement colonial. Une révolte s’en est suivie et les supporters de Lumumba ont été attaqués. La police a ouvert le feu et 300 personnes ont été tuées. Ce qui a déclanché une insurrection des masses congolaises qui a duré jusqu’à ce que les Belges acceptent des pourparlers et fixent une date pour une table ronde à Bruxelles pour parler de l’indépendance. Le 30 juin 1960, le Congo est devenu indépendant.
La coalition de Lumumba a gagné les élections mais le nationaliste Lumumba, afin de sceller la réconciliation, a convaincu ses partenaires de la coalition de nommer Joseph Kasavubu président honoraire de la République, pendant que le véritable pouvoir serait dans les mains du Premier ministre Lumumba.
FIER DE NOTRE IDENTITE AFRICAINE
La première leçon que nous pouvons apprendre de Patrice Lumumba aujourd’hui, en dépit de tous les malheurs de l’Afrique, est qu’il a toujours été fier d’être un Africain et un Congolais. Donc, en dépit de l’ardente guerre psychologique que les médias occidentaux livrent à l’Afrique, les relations publiques et le monde universitaire, nous ne devrions pas avoir honte d’être africains. Si nous plions devant cette intoxication massive et ces manipulations et tournons le dos à notre continent, qui va le rendre meilleur pour nous ? Même la Chine, notre véritable amie est seulement là pour nous soutenir. La Chine ne peut pas tout faire pour nous. La Chine n’est pas le sauveur de l’Afrique.
Oui, Patrice Lumumba a toujours été fier d’être Africain et Congolais. Voilà ce qu’il a dit : "Je n’ai ni père ni mère. Je n’ai pas de tribu et je n’ai pas de religion. Je suis une idée. Le Congo m’a donné la vie et a fait de moi ce que je suis. C’est mon tour de faire du Congo un endroit où l’on peut vivre mieux". Lumumba parlait toujours d’un Congo meilleur parce que le Congo a une histoire terrible. Depuis la traite des esclaves jusqu’à nos jours, la population n’a eu droit à aucun répit en raison des immenses riches minérales et naturelles dont le pays regorge.
LUMUMBA DIT LA VERITE AUX PUISSANTS
Lors du jour solennel de l’indépendance, le roi Baudoin a retourné le couteau dans la plaie dans son discours lorsqu’il a déclaré : "l’indépendance est le résultat du travail ingénieux du roi Léopold. Le roi Léopold n’est pas venu vous conquérir mais il est venu vous civiliser et vous libérer de l’esclavage et des guerres tribales. Prenez grand soin des valeurs spirituelles, morales et religieuses ainsi que des institutions d’Etat que nous vous léguons. Nous serons toujours là si vous avez besoin de nous…"
La réponse du président Kasavubu a été : "La présence de votre auguste majesté ici ce jour est un nouvel exemple et un témoignage lumineux de votre sollicitude pour le peuple congolais que vous aimez et protégez. Quatre-vingts ans de contact avec la Belgique nous ont apporté beaucoup de bienfaits : la langue, la législation et la culture. Nous allons construire sur ces fondations pour des progrès futurs"
Lumumba, qui curieusement ne devait pas prendre la parole, s’est levé et s’est adressé directement au secteur le plus opprimé de la société : les paysans, les travailleurs et les chômeurs du Congo qu’il avait mobilisés pour l’indépendance totale : "Hommes et femmes du Congo, combattants victorieux pour l’indépendance, aujourd’hui victorieux, je vous salue au nom du gouvernement congolais"
La vision panafricaine de Lumumba est clairement manifeste dans son discours :
"L’indépendance du Congo est un pas décisif dans la libération de tout le continent", a-t-il dit. Puis il a entrepris de remettre le monde à l’endroit et déclarant :
"C’était notre destin pendant 80 ans de régime colonial. Nos blessures sont trop récentes et douloureuses pour que nous puissions les chasser de notre mémoire. Nous avons connu le travail épuisant, en échange d’un salaire qui ne nous permettait pas de manger à notre faim, ou de nous habiller ou de nous loger décemment ou d’élever nos enfants comme des créatures chers à notre cœur. Nous avons connu les moqueries, les insultes, les coups que nous avons subis chaque matin, midi et soir, parce que nous sommes noirs. Qui oubliera qu’en s’adressant à un Noir on dit "tu", certainement pas en ami, parce que le "vous", plus respectueux", était réservé au seuls Blancs ?
« Nous avons vu nos terres saisies au nom de lois soi-disant légales, lesquelles en fait ne reconnaissaient que le pouvoir de la force. Nous avons vu que la loi n’est pas la même pour les Noirs que pour Blancs - cruelle et inhumaine pour les premiers et accommodantes pour les seconds. Nous avons été les témoins de souffrances atroces de ceux condamnés pour leur opinions politiques ou leurs croyances religieuses, exilés dans leur propre pays, leur sort pire que la mort. Nous avons vu que dans les villes il y a des maisons magnifiques pour les Blancs et des taudis qui tombent en ruine pour les Noirs, que les Noirs ne sont pas admis au cinéma, dans les restaurants, dans les magasins des Européens, qu’un Noir voyage avec les bagages, au pied des Blancs dans leur cabine luxueuse. Qui pourra oublier les massacres au cours desquels tant de nos frères ont péri, les cellules dans lesquelles ont été jetés ceux qui refusaient de se soumettre à l’oppression et à l’exploitation ? » (applaudissements)
Les nouvelles théories politiques selon lesquelles l’Afrique devrait oublier le passé doivent être rejetées. Nous avons besoin de gens qui, à l’instar de Patrice Lumumba, énonce la vérité en Afrique
UN DIRIGEANT QUI A DES PRINCIPES
Le roi n’a pas trouvé drôle ! Lumumba a par la suite été destitué lors d’un coup d’Etat . Il a été emprisonné et exécuté par peloton d’exécution le 17 janvier 1961 à Katanga par des puissances occidentales (Etats-Unis, Belgique, France, Grande Bretagne et les Nations Unies). Celles-ci étaient en collusion avec des chefs locaux comme Moïse Tshombé et Joseph Désiré Mobutu, "utilisant une main africaine pour neutraliser un frère africain insoumis". Cette stratégie a toujours fonctionné en Afrique.
Par l’assassinat de Lumumba, la jeune démocratie congolaise a été décapitée par les mêmes puissances occidentales qui prêchaient à l’Afrique la démocratie et le christianisme. "Sommes-nous vraiment les enfants du même Dieu alors que ce sont les Africains qui souffrent de l’esclavage et du colonialisme ? Si nous ne pouvons pas choisir librement nos partenaires commerciaux, où est notre liberté ? Nous ne pouvons choisir celui qui nous offre la meilleure affaire selon les principes fondamentaux de l’économie de marché et ne commerçons qu’avec les anciennes puissances coloniales".
LES DISCOURS MALVEILLANTS DE L’OCCIDENT
Il y a un discours en Occident qui dit : "Nous ne savons pas quel genre de dirigeant Lumumba aurait été". Moi non plu, je ne sais pas. Mais je vais vous dire cinq choses actuelles. Premièrement : dans son discours d’indépendance Lumumba a dit : " Nous allons ouvrir un œil vigilant sur les terres de notre pays afin qu’elles profitent véritablement à nos enfants. Nous allons restaurer d’anciennes lois et en promulguer de nouvelles qui seront justes et nobles. Nous mettrons un terme à la suppression de la libre pensée et ferons en sorte que tous nos citoyens bénéficient des droits fondamentaux stipulés dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (applaudissement). Nous allons nous défaire de toutes les discriminations de quelque variété qu’elles soient et garantir à chacun une position à laquelle il a droit de par sa dignité, son travail et son engagement. Nous allons gouverner, non par la paix qui est au bout du fusil mais par celle qui vient du cœur et de la volonté." (applaudissements)
Deuxièmement : il ne s’est pas laissé corrompre par le président Eisenhower lors de sa visite aux Etats-Unis. Dans sa dernière lettre à son épouse, Pauline Opango, Lumumba a écrit : "Ni la brutalité, ni les mauvais traitements ou la torture ne m’ont jamais amené à demander grâce parce que je préfère mourir la tête haute, avec ma foi intacte et ma profonde confiance dans la destinée de mon pays, plutôt que de vivre soumis en reniant les principes sacrés. Un jour viendra, lorsque l’histoire parlera, on entendra ni la voix de Bruxelles, ni celle de Paris ou de Washington ou encore des Nations Unies, mais celle qui enseignera à tous les pays émancipés du colonialisme et ses fantoches ".
Troisièmement : la coalition de Lumumba a gagné les élections et a formé le premier gouvernement. Toutefois, le nationaliste Lumumba, afin de conforter la réconciliation, a convaincu ses partenaires de nommer Joseph Kasavubu président honoraire de la République pendant que le véritable pouvoir restait dans les mains du Premier ministre.
Quatrièmement : Lumumba a été le premier dirigeant africain à nommer un jeune à la tête du ministère de la Jeunesse et une femme à la tête du ministère des Femmes.
Cinquièmement : Lumumba croyait en l’égalité des opportunités pour tous les jeunes sans considération ethnique. Après tout, Mobutu, qui a trahi Lumumba, a obtenu une bourse au nom du parti de Lumumba pour aller étudier en Belgique.
Par conséquent, il appartient à chacun de vous de tirer ses propres conclusions et de juger si Lumumba allait devenir un dictateur.
LUMUMBA DOIT ETRE INTERNATIONALEMENT CONNU
Le progrès passe par l’unité africaine, parce que le Congo est le moteur du développement selon les termes de la coopération sud-sud. Les Africains doivent user de leur pouvoir pour aborder le reste du monde selon leurs propres termes et pour le bénéfice la population africaine. Afin de rééquilibrer la balance qui n’est actuellement pas en leur faveur, les pays africains doivent donner la priorité aux accords sud-sud et à des coopérations win/win.
Après l’assassinat de Lumumba au Congo, Mao Tsé Toung a fait une déclaration personnelle de solidarité avec le peuple congolais. Des millions de personnes ont manifesté en Chine et la Chine a soutenu les luttes armées d’indépendance au Congo, menées par des personnes comme Pierre Mulele et Laurent Kabila. J’encourage les jeunes chercheurs chinois à approfondir la recherche sur la vie de Patrice Lumumba pour qu’il soit connu de la population chinoise
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**Antoine Roger Lokongo (nom chinois : Long Gang) est né en République démocratique du Congo. Il est journaliste et doctorant au centre for African Studies, School of International Relations, à l’université de Pekin, Beijing – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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