Leurs principaux dirigeants ont été récemment primés au niveau international pour leur gouvernance, mais ces honneurs les Tunisiens n’en ont cure. Face au taux élevé de chômage, à l’insécurité, etc., les déçus du «Printemps arabe» retrouvent des accents de révolte. D’aucuns en viennent même à dire que la vie était meilleure sous Ben Ali.
Le président intérimaire de la Tunisie, Dr Moncef Marzouki, ainsi que le président du parti au pouvoir Rachid Gannouchi étaient tous deux à Londres pour recevoir le "Chatham House Prize" 2012 (le 26 novembre). Chatham House, basé à Londres, est un prestigieux centre de réflexion sur les affaires internationales. Il a choisi de récompenser ces deux personnes pour "leur rôle à l’avant-garde de la nouvelle vague de démocratie au Moyen Orient et en Afrique du Nord". Le prix de Chatham House est décerné chaque année à un homme d’Etat dont il est estimé "qu’il a fait la contribution la plus significative à l’amélioration des relations internationales." Dr Marzouki a aussi été désigné par le magazine américain "Foreign Policy" dans sa liste annuelle comme étant le deuxième penseur le plus influent en 2012.
L’ironie veut que quelques jours seulement après l’attribution du prix, la violence a déferlé sur le gouvernorat de Siliana dans le nord-ouest de la Tunisie, quand les manifestants sont descendus dans la rue, critiquant les mêmes conditions économiques que celles qui ont conduit au déclenchement de violence au début de 2011 et à la chute de l’ancien président Ben Ali.
Plus de 250 personnes ont été blessées, dont certaines grièvement. Les forces de sécurité ont utilisé des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc pour disperser les manifestants. Des récits ont circulé, selon lesquels des personnes avaient été traitées pour des blessures par balles. Le feu couvait en Siliana, à environ 120 km au sud de Tunis, ainsi que dans de nombreuses autres parties du pays. Les populations, outrées parce que le maire n’a pas réussi à tenir ses promesses de créer des emplois, ont décrété la grève générale. Ils ont demandé sa démission ainsi que celle du cabinet. Dans différentes parties du pays, les gens sont déçus par le manque de progrès résultant de leur soulèvement, Le chômage a explosé et le prix des denrées alimentaires de base a augmenté de façon dramatique au cours de ces derniers mois. L’économie tunisienne, basée principalement sur le tourisme européen et l’exportation, a souffert suite au soulèvement et à la crise économique européenne. Le mardi 27 novembre, la Banque mondiale a accordé un prêt de 500 millions de dollars afin d’aider à la réforme du secteur financier pour encourager les investissements et la croissance.
Les habitants de Siliana ont aussi demandé la libération de 14 personnes qui ont été arrêtées il y a presque deux ans et sont toujours détenues sans procès. Les protestations ont été les plus dures depuis que des islamistes appartenant à la ligne dure des salafistes ont attaqué l’ambassade américaine à Tunis le 12 septembre, à cause d’un film américain anti-islam. Cette violence a coûté la vie à 4 personnes.
La Tunisie est le lieu de naissance du "Printemps arabe". Son processus démocratique est considéré comme une grande réussite et un modèle pour le reste du monde arabe. Toutefois, la plupart des Tunisiens parlent de la nécessité "d’une révolution après la révolution". Le président intérimaire lui-même, au début de sa présidence, disait avoir des cauchemars à l’idée d’une deuxième révolution. Lorsque je lui ai demandé ce qu’il faisait pour résoudre les problèmes de la paupérisation croissante, le chômage, la maladie et un degré sans précédent d’émigration illégale vers l’Europe via l’Italie, il m’a répondu qu’il travaillait jour et nuit avec le Premier ministre pour maîtriser ces problèmes et que, compte tenu de l’héritage du précédent gouvernement, cela nécessiterait du temps, de la patience et de la persévérance pour en venir à bout.
Dr Marzouki est le premier président élu par l’assemblée constituante du pays, dans le cadre d’un accord de partage du pouvoir entre Ennhada, centre-droit, le Congrès pour la République du centre-gauche, le parti de Marzouki et le parti Ettakattol, centre-gauche, une coalition connue sous le nom de Troïka. Mais la Troïka a dû faire face à des défis même de la part de ses membres. Leurs différends sont connus du public tunisien. Leur plus grand problème concernait l’extradition de l’ancien Premier ministre libyen vers la Libye pour comparaître devant la justice en juin dernier, une décision prise par le seul Premier ministre d’Ennadha, fâchant le président Marzouki qui insistait sur des garanties pour un procès équitable.
Anciennement médecin et militant des Droits de l’homme, le Dr Marzouki est catégorique : l’autoritarisme est une maladie qui doit être traitée. S’adressant à des membres de la communauté tunisienne en Grande Bretagne, il a souligné qu’il était impératif de tenir des élections au début de l’été 2013 afin de remettre le pays sur les rails. Il a aussi souligné la nécessité d’éviter les conflits idéologiques. "La Tunisie, a-t-il dit, est un véritable laboratoire dans lequel la transition démocratique pacifique doit être mise à l’épreuve et les acteurs politiques co-existent dans un contexte de coalition et de consensus". Il a dit son optimisme en affirmant que la Tunisie réussirait.
De nombreux Tunisiens sont sceptiques, pour qui l’avenir de leur pays leur semble sombre. Les évènements récents les portent à penser que les lendemains qui les attendent sont loin d’être paisibles ou stables et ils s’inquiètent de ce qu’ils considèrent comme l’avènement d’une nouvelle dictature avec l’actuel gouvernement. Un gouvernement susceptible d’avoir recours à des pratiques pires que le précédent pour opprimer et réduire au silence la dissidence. Ils sont aussi préoccupés par les meurtres de membres éminents de parti d’opposition dans des circonstances mystérieuses, l’emprisonnement de journalistes sans procès et la polarisation croissante de la société sur la question religieuse.
Un sondage récent montre que 42% des Tunisiens pensent que la vie était meilleure sous Ben Ali, soutenant qu’il y avait de la sécurité, que l’économie fonctionnait et que les groupes ultra religieux n’existaient pas ou ne représentaient pas une véritable menace. Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui regrettent d’avoir demandé que Ben Ali "dégage", disant que c’était une plaisanterie de leur part !
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** Mounira Chaieb est une journaliste tunisienne basée à Londres et qui avait travaillé pour la Bbc- Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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