Sankara était non seulement un visionnaire, mais un précurseur réaliste et efficace. Il s’engageait de manière crédible avec des programmes concrets. Le fait qu’il ait réalisé tant de réformes dans cette courte période démontre ce qui est possible en Afrique et renforce ceux qui cherchent des voies de développement alternatives
Il y a 25 ans, la communauté internationale soutenait le meurtre brutal de Thomas Sankara, président du Burkina Faso, de manière active ou du moins en le passant sous silence. Par cet acte, une chose a définitivement été démontré : la « communauté internationale » n’a pas intérêt au développement indépendant de l’Afrique.
Blaise Compaoré, qui est au pouvoir depuis la mort de Sankara, est l’homme présumé avoir tiré les ficelles de l’assassinat – vraisemblablement, il a été appuyé par la France, la Côte d’Ivoire et la Libye. Aujourd’hui, Compaoré est internationalement courtisé comme pacificateur. Le régime de l’aide « humanitaire » et de l’aide « au développement » - pour Sankara la continuation des dépendances coloniales – semble avoir triomphé. Mais les visions sociopolitiques de Sankara sont vivantes comme jamais, surtout parmi les jeunes de l’Afrique et de sa diaspora.
Sankara, comme aucune autre personne, a démontré qu’un développement autocentré de l’Afrique par ses propres forces est possible. A l’occasion du 25ème anniversaire de sa mort, AfricAvenir appelle à célébrer l’œuvre de Sankara également en Allemagne. À l’occasion du 25ème anniversaire de la mort de Thomas Sankara, le 15 octobre 2012, AfricAvenir organise, en coopération avec le Cercle d’études Panafricanisme Munich (Arbeitskreis Panafrikanismus München), l’Association Sénégalaise au land Hessen (Senegalesische Vereinigung im Land Hessen) et l’Associoation Stoffwechsel à Karlsruhe, une série d’activités et une campagne de publicité sur l’impact politique, économique et social de l’œuvre de Sankara. Tous les organismes et groupes sont appelés de se joindre à cette commémoration.
Pendant son bref mandat comme président du Burkina Faso (1984-1987), Thomas Sankara a déclenché de nombreuses réformes, qui étaient toutes guidées par la volonté rigoureuse de l’amélioration de la condition de vie des Burkinabè. À la plus grande surprise de la « communauté internationale », ces réformes ont très rapidement abouti et ont eu un impact énorme, par exemple dans la mise en œuvre d’une gouvernance responsable, l’amélioration de l’éducation et de la santé publique ou la promotion des circuits économiques locaux et régionaux.
L’autosuffisance du Burkina Faso était une priorité essentielle pour Thomas Sankara. Sa politique ciblait non seulement la sécurité alimentaire, mais le principe beaucoup plus ambitieux de souveraineté alimentaire. Il considérait l’aide (au développement) comme la continuation des dépendances coloniales : « Nous devons mettre de côté ces aides par notre grande production. Il faut réussir à produire plus […] parce que il est normal que celui qui vous donne à manger vous dicte également ses volontés. » (1986)
En encourageant et en développant les structures de la petite paysannerie Sankara parvint à rendre ce pays climatiquement défavorisé qu’est le Burkina Faso indépendant de toute importation alimentaire. Plus que ça : le pays commençait même à exporter des denrées dans la région (!) – à peine imaginable aujourd’hui que le pays est totalement dépendant de ses importations d’aliments et souffre actuellement de nouveau d’une crise alimentaire.
Sankara ciblait aussi le développement et la promotion des chaînes et des réseaux de valeur ajoutée locales et nationales ainsi que des circuits économiques locaux et régionaux. Le Burkina devait produire au niveau local/national ce qu’il consommait et consommer ce qui était produit au niveau local/national – une motivation à renforcer la production du pays – afin d’acquérir une certaine indépendance économique et politique. Des entreprises publiques étaient redressés et assainies, ce qui était salué par la Banque Mondiale.
Pendant le mandat de Sankara, les dépenses de l’Etat (entre autres pour les véhicules coûteux du gouvernement et les billets d’avion 1ère classe) étaient drastiquement réduites, et les moyens libérés étaient investis dans des projets au profit de la population. Les fonctionnaires devaient faire l’exemple de l’homme d’Etat incorruptible et honnête ; aussi en référence au nouveau nom du pays : Burkina Faso, le « Pays des hommes intègres ».
Dans le domaine de l’égalité des sexes, Sankara était non seulement un visionnaire, mais un précurseur réaliste et efficace. Il s’engageait de manière crédible avec des programmes concrets renforçant l’égalité de la femme et la suppression des structures patriarcales obsolètes. Il responsabilisait les femmes par exemple en nommant plusieurs femmes compétentes à des postes des ministres – presque une nouveauté mondiale à l’époque ! « Si nous perdons le combat pour la libération de la femme, nous aurons perdu tout droit d’espérer une transformation positive supérieure de la société. » (1987)
Au niveau international, Sankara dénonçait la politique injuste de la dette, obstacle au développement des peuples – un sujet de grande actualité dans le contexte de la crise de l’Euro. Des concepts comme la viabilité et la légitimité de la dette qui entreront seulement beaucoup plus tard dans le discours politique du développement, Sankara les défendait déjà en son temps avec assurance et fermeté. « La dette sous sa forme actuelle, est une reconquête savamment organisée de l’Afrique, pour que sa croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangers. » (1987)
Il revendiquait une communication d’égal à égal avec les anciens colonisateurs, le FMI et la Banque Mondiale, mais échoua entre les fronts de la Guerre Froide et surtout face à la politique néocoloniale de la France. Le 15 octobre 1987, Sankara était assassiné dans un coup d’Etat militaire sous le commandement présumé de son ami et suppôt Blaise Compaoré – qui ce jour là pris le pouvoir et l’exerce jusqu’aujourd’hui (!).
Le fait que Sankara ait réalisé tant de réformes dans cette courte période démontre ce qui est possible en Afrique et renforce ceux qui cherchent des voies de développement alternatives au-delà des exportations de matières premières, du libre-échange et de la pérennisation des importations alimentaires. Didier Awadi, la star incontestée du hip-hop ouest-africain, l’exprime avec ces mots : « Sankara c’est mon idole, mon maître à penser. La trajectoire de sa vie m’inspire. C’est pourquoi j’essaie chaque jour d’en apprendre un peu plus sur lui et au fur et à mesure que j’avance tout me pousse à dire que c’est un bon modèle. Oui voilà, c’est le bon modèle ! » (2011)
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** Eric van Grasdorff est président de l'ONG AfricAvenir International
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