Dette, extractivisme, gâchis, aux racines de l’injustice globale
Il faut changer toute l’organisation basée aujourd’hui sur l’extractivisme, le productivisme, le consumérisme et les profits. C’est en imposant un prix aux objets, prenant en compte les coûts cachés comme la raréfaction des matières premières, l’augmentation des déchets, des pollutions, du réchauffement, des désastres environnementaux causés par l’extraction et de la pauvreté de plus de la moitié des habitants de la planète, que nous pourrons sortir de ce système.
La société de consommation qui rêve de se transformer en une société de développement durable est comme un sprinter de 100 mètres qui imagine pouvoir conserver la même vitesse pendant les 42 km d’un marathon. Cette civilisation européenne, fondée sur l’extraction de ressources naturelles, doit son exceptionnelle puissance à une accélération du pillage et du gâchis généralisé de toutes les richesses de la planète.
Le pétrole – âge 500 millions d’années - n’est largement utilisé par notre monde que depuis 50 ans et le pic de production est déjà dépassé. La croûte terrestre trouée de toutes parts est comme une outre percée dont nous sommes en train d’aspirer les dernières gouttes sans penser à demain. La rareté qui s’annonce ne pourra que provoquer un effondrement économique et social d’un système qui s’était construit sur l’abondance pour un petit nombre au détriment de la majorité des habitants. Comment imaginer, alors que la consommation moyenne d’un Occidental est de 100 tonnes par an de matières extraites, que ce système puisse être durable.
Le rapport Meadows de 1972, pour le club de Rome, « donnait soixante ans au système économique mondial pour s’effondrer, confronté à la diminution des ressources et à la dégradation de l’environnement ». Le Smithsonian Institute dans une nouvelle analyse avec de nouveaux outils, le confirme 40 ans après, “tout se déroule comme prévu pour que survienne le désastre” vers 2020-2030.
Notre société de gâchis et d’injustice sociale va s’autodétruire. Basée sur la compétition du chacun contre tous et la privatisation des profits, elle est génétiquement incapable de répartir, économiser, coopérer. Le pillage sans limite des richesses naturelles, est comme une vie sans rêve. En privatisant les biens communs, nous transgressons les fondations sociales ancestrales des hommes, « donner, recevoir, rendre », qui leurs permettaient de vivre les uns avec les autres. La base de notre vie en société est l’échange entre tous et avec la nature, la « terre mère » des indiens d’Amérique du sud. Car, comme le dit Albert Jacquard, « ce sont les autres qui me font ».
Ce ne sont pas les réalisations les plus magnifiques de l’architecture, les tours infinies ou les découvertes de la science, les fusées et les smartphones qu’apprécieront nos lointains successeurs comme nous sommes ébahis par les pyramides d’Egypte, les ruines d’Angkor ou la capsule Apollo. Confrontés au réchauffement climatique, aux mers vides, aux déserts galopants, aux terres agricoles ruinées par le productivisme, aux ressources fossiles et métalliques disparues, aux déchets nucléaires ingérables, au septième continent fait de bouts de plastique qui flottent entre deux eaux au milieu du pacifique, à la pollution généralisée des eaux douces, à l’acidification des océans qui ne peuvent plus absorber suffisamment de C02, à l’effondrement de la biodiversité, à la fonte rapide des grands glaciers qui irriguaient les terres de milliards d’humains en Asie, à la disparition des grandes massifs forestiers qui régulent les pluies, nos descendants seront trop en colère pour apprécier le peu de choses positives que nous leurs laisseront. Pourront-ils survivre moralement à un tel legs ? Je ne sais, mais j’enrage contre cet aveuglement volontaire, cet égoïsme de ceux qui imaginent pouvoir exister sans les autres, sans la nature, abrité par un mur d’argent fait de billets en papier et de bits informatiques.
Nos gouvernements qui prônent encore la croissance économique en 2012 pour sortir de la crise nous chantent de faux rêves. Ils nous poussent encore plus vite vers le grand effondrement de « l’anthropocène », cette nouvelle période géologique commencée il y a moins de trois siècles. La pauvreté chronique de plus de la moitié de l’humanité n’est-elle pas déjà un terrible affaissement moral quand d’autres vivent dans la consommation et le superflu matériel et alimentaire ?
519 ans après l’arrivée de Christophe Colomb dans les Caraïbes, la conquête extractiviste s’amplifie encore. En ce début du 3ème millénaire, le pillage des ressources naturelles et le pillage du travail des hommes qui sont asservis à l’extraction des richesses, n’ont jamais été aussi intenses. Au temps des colonies, l’extractivisme se faisait à la main, aujourd’hui ce sont des machines énormes, abreuvées de pétrole, qui font la plus grande part du travail. Cette comparaison qui montre la différence d’échelle dans le pillage des ressources naturelles, doit être mise en parallèle avec l’augmentation des profits capitalistes obtenus par la financiarisation du monde, un autre moyen d’extraction surpuissant. La dette publique est - comme le bras de ces pelleteuses gigantesques dans les mines à ciel ouvert - le levier qui permet de capter toujours plus de la valeur ajoutée produite par les salariés du nord.
Le gaspillage généralisé aboutit à ce que 20% des habitants consomment 80% des richesses naturelles, quelles soient minérales, fossiles, ou agricoles. Et il en va de même pour l’eau et l’air pollués, le réchauffement et les désastres environnementaux dont 1/5ème de la population est très majoritairement responsable. La vitesse entraîne une immense dépense d’énergie inutile dans les transports comme les aller et retour en avion, surtout là où le train existe. Les TGV électronucléaires sont-ils réellement un progrès quand on sait qu’un train légèrement moins rapide consommerait deux fois moins d’énergie ? Comment comprendre que 90% des voitures, pesant plus d’une tonne de ferraille et de plastique, roulent avec une seule personne à bord, alors que le pétrole se raréfie et qu’elles produisent beaucoup de CO2 ? Quant aux camions ! On connaît le gaspillage incroyable que représentent les divers éléments d’un yaourt qui parcourent souvent 10.000 kms. Mais n’est-il pas encore plus effarant de voir l’immense gâchis d’énergie, de bitumes, de caoutchouc, de matériels de transport qu’entraînent les milliers de camions transportant des automobiles, neuves et quasi semblables, qui se croisent sur les voies montantes et descendantes des autoroutes, nuit et jour ?
Comment accepter que toutes les maisons et autres édifices soient encore des passoires qu’il faut chauffer l’hiver - 30% avec des chauffages électronucléaires, une aberration - et refroidir l’été ! En plus d’être un délire écologique c’est une folie financière : l’essentiel du déficit commercial de la France en 2011, 72 milliards d’euros, est du à l’importation de pétrole et de gaz, cela sans prendre en compte les conséquences dramatiques qu’entraîne le réchauffement du climat. Alors qu’il n’y a aucun problème technique pour construire des bâtiments qui ne nécessitent quasiment ni chauffage, ni refroidissement, et que l’on peut très largement améliorer l’habitat ancien, tout en créant des centaines de milliers d’emplois.
Et que penser de l’obsolescence programmée qui nous oblige à renouveler tous les objets, volontairement non réparables, que nous utilisons, alors que l’on sait parfaitement faire autrement. Une automobile, un téléphone, un frigo, une machine à laver pourrait rendre des services pendant 20 ans, voire beaucoup plus en se réservant la possibilité de leur greffer des améliorations, sans nouvelles extractions de ressources naturelles. Mais dans un système où la consommation de masse fait les profits des détenteurs de capitaux et les emplois des salariés, c’est évidemment impossible.
Il faut donc changer toute l’organisation basée aujourd’hui sur l’extractivisme, le productivisme, le consumérisme et les profits. C’est en imposant un prix aux objets prenant en compte les coûts cachés comme la raréfaction des matières premières, l’augmentation des déchets, des pollutions, du réchauffement, des désastres environnementaux causés par l’extraction et de la pauvreté de plus de la moitié des habitants de la planète que nous pourrons sortir de ce système. Pour éviter la catastrophe, nous devons aller vers une société post-extractiviste qui protège autant les ressources naturelles que le climat, l’environnement et qui saura répartir les richesses entre tous les humains. Décroissance matérielle volontaire ou effondrement, un choix indispensable est à faire pour éviter la grande catastrophe.
Quant à l’alimentation des 20% les plus riches, deux choses la caractérisent : la première est le gaspillage colossal de nourriture et d’énergie au détriment du scénario de la faim et de la pauvreté pour beaucoup d’autres, la seconde est l’augmentation des maladies modernes - cardiovasculaires, obésité, diabète, cancer – dont la surconsommation de malbouffe est en grande partie responsable. L’économie libérale a réussi à nous convaincre que les protéines animales étaient meilleures, au goût et pour la santé, que les protéines végétales. Elle a fait cela en violant l’imaginaire de sobriété de nos parents et grands parents, au nom d’un pseudo modernisme, grâce à des publicités décervelantes martelées sans arrêt.
Il y a un demi-siècle, la plupart des gens mangeaient en majorité des protéines végétales, aujourd’hui le modèle alimentaire carné a été imposé. Or comme, il faut huit protéines végétales pour en faire une d’origine animale, 70% des terres de la planète sont consacrées à cette production. Il suffit de penser aux massives importations de soja OGM qui servent à nourrir le bétail européen pour s’en convaincre. Mais là où on atteint le délire c’est que 50% de la nourriture mondiale est gâchée du champ à la bouche. Pour couronner le désastre, ce modèle alimentaire à dominante de protéines animales des occidentaux est responsable de 50% des GES émis dans le monde.
Il y a 5 siècles, les forces armées ont permis le pillage des ressources d’Amérique du sud, des montagnes de richesses sont arrivées dans les royaumes d’Espagne et du Portugal. Ensuite l’esclavage et le commerce transatlantique ont élargi l’extractivisme, le pillage des matières premières et du travail des hommes. Ce qui a profité à l’ensemble de l’Europe. Les armées ont été employées ensuite pour étendre la prédation en asservissant les peuples de tous les continents jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale.
Malgré la perte progressive des colonies par les européens et les déclarations d’indépendance, extractivisme et pillages, pollutions et asservissement des peuples n’ont pas cessé. La corruption organisée des nouveaux gouvernants du sud et les assassinats politiques des récalcitrants ont permis aux pays de la Triade et à leurs entreprises transnationales d’assurer la continuité du transfert des richesses naturelles vers leurs usines. Mais c’est la création du grand système des dettes publiques qui a remplacé, dans les années 1980, les armées d’occupation coloniales. Ces dettes, destinées à enrichir les nouvelles bourgeoisies du sud, ont permis un double enrichissement des pays du nord.
Les gouvernements corrompus par le détournement des emprunts ont accepté des remboursements infinis de dettes illégitimes. Ensuite ils ont utilisés le fruit du travail de leurs peuples en prélevant des impôts pour payer les intérêts en dollars exportés vers les pays riches. Cette lourde ponction sur les budgets a entraîné de nouveaux prêts illégitimes du FMI et de la BM. Ces derniers les ont utilisés pour pousser les gouvernements à accroître encore les extractions-exportations de matières premières au nom des indispensables remboursements. Ces ressources étaient surtout nécessaires au développement de la nouvelle société consumériste et gâcheuse du nord, et à la croissance des profits de l’oligarchie.
Ce système dette a tellement bien fonctionné, d’un point de vue extractiviste, que les gouvernements du nord l’utilisent aussi dans leur propre pays. Les dettes publiques ont été accumulées par des gouvernements contraints d’emprunter aux banques privées. Ainsi, par une décision de Pompidou en 1973, confirmée par le traité de Maastricht en 1992, l’Etat, pour combler les trous du budget, ne peut plus emprunter à la Banque centrale publique. Or ces déficits étaient creusés plus profondément chaque année par les cadeaux fiscaux faits aux plus riches. On retrouve le même système d’extraction adapté aux réalités du nord. Là ce ne sont plus des matières premières mais une plus grande part des plus values issues du travail des salariés qui sont en jeu.
Sauver les banques, sauver l’économie capitaliste de la crise en augmentant très fortement le stock de la dette - en France sous l’ère Sarkozy il augmente de 50% - c’est à coup sûr faire croître les impôts payés par les travailleurs. Payer les intérêts supplémentaires va déposséder encore un peu plus les citoyens de leurs services publiques de santé, et de retraite, et finir par une privatisation au nom de la soi-disant bonne gouvernance. Les capitaux étant prêtés par des institutions privées, on retrouve le même transfert de richesses des peuples vers les détenteurs de capitaux, ou pour le dire autrement des plus pauvres aux plus riches, au nord comme au sud. Une dette publique n’a pas à être remboursée si elle n’a pas profité à la population. Ces dettes sont donc illégitimes. Elles ont été accumulées dans le but de déposséder les populations de leurs conquêtes sociales et de renforcer l’exploitation des travailleurs. Au nom de ces remboursements qui prennent chaque année une part plus grande du budget de l’Etat, « les caisses sont vides » les Etats justifient ces dépossessions.
La première chose à faire consiste à imposer aux responsables de la crise des subprimes et de toutes les spéculations, de toutes les banques et autres détenteurs de capitaux qui profitent de l’accroissement de la dette, le paiement des dégâts. Comment ? En annulant les dettes illégitimes. L’audit des dettes publiques est un combat politique, c’est une lutte de nous tous, chacun à sa manière et collectivement qui permettra de sortir de l’asservissement par la finance. De la même manière, nous devons lutter contre l’extractivisme et la dette des pays du sud qui affament et appauvrissent plus de la moitié des habitants de la terre.
Comment pouvons-nous résister ? L’audit de la dette est un mouvement citoyen international qui refuse de payer les remboursements des emprunts illégitimes faits par les gouvernements. Alors qu’ils n’ont profité qu’à une minorité, qui s’est enrichie de façon injustifiée depuis que la contre révolution conservatrice a commencé dans les années 80. L’audit repose autant sur une analyse des comptes publics de nos états et collectivités locales, que sur un travail de déconstruction du discours dominant nous accusant d’avoir vécu dans le luxe et le confort, telles des cigales. Ce qui est faux. Les dépenses publiques en pourcentage du PIB n’ont quasiment pas variées depuis 20 ans. La vérité est que la somme des cadeaux fiscaux faits aux plus riches et aux grandes entreprises estimée à plus de 100 Mds euros, plus l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux équivalant à l’impôt sur le revenu en France, soit 50 Mds euros, font que chaque année 150 Mds euros manquent au budget de l’Etat. Du coup les intérêts de la dette atteignent 50 Mds euros qui le grèvent encore plus. Dire que la dette est illégitime, même si elle est légale, car elle a été votée par le parlement, c’est démontrer qu’elle est un outil au service de l’extraction des richesses des 99% vers le 1% qui échappe à l’impôt, le voit réduit par le parlement ou (et) reçoit les intérêts des sommes qu’il a prêté à l’Etat.
La dette illégitime au sud contraint les pays et leurs travailleurs à extraire toujours plus de matières premières pour la rembourser, la dette illégitime au nord qui ponctionne de plus en plus lourdement les salariés, les oblige à travailler plus pour rembourser plus. Les gâchis, la vitesse, l’obsolescence organisée, la suralimentation les poussent à consommer toujours plus d’énergie, de biens matériels ou de nourriture. Faire de la croissance, c’est extraire encore plus d’énergie pour produire encore plus d’objets inutiles et de nourriture gâchée. Ils iront chercher les dernières gouttes de pétrole à 10.000 mètres de profondeur, tant pis si les eaux sont polluées, si le climat se détraque encore plus, les profits n’ont pas de prix. On veut créer des emplois en détériorant encore plus la planète, quelle courte vue ! Il serait largement préférable de répartir le travail entre tous, d’annuler les dettes illégitimes au sud comme au nord, de diminuer nos besoins, de cesser de faire de la consommation un moyen de se réaliser, et ainsi de pouvoir redonner au milliard d‘humains qui meurent de faim, l’espoir d’une plus juste redistribution des richesses.
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** Nicolas Sersiron (Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers Monde)
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